
Disparu le 3 janvier près de la frontière thaïlandaise avec le Myanmar, l'acteur chinois Wang Xing a été retrouvé par les autorités thaïlandaises, dans les jours suivant l'intervention diplomatique de Pékin. Capture d'écran de la chaîne d'information ABS-CBN sur YouTube.
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Ce reportage a été réalisé par James Lee et publié dans le Hong Kong Free Press le 12 janvier 2025, et a été actualisé par un reportage supplémentaire les 13 et 16 janvier 2025. La version éditée suivante est publiée dans le cadre d'un accord de partenariat de contenu.
Aux yeux d'un Hongkongais, cela ressemblait à un emploi de rêve – un acheteur transportant des marchandises de la Thaïlande vers le Japon. Rapidement, cela s'est transformé en cauchemar.
En arrivant en Thaïlande l'été dernier pour réceptionner des « produits », ce Hongkongais s'est vu confisquer ses documents d'identité et a été refoulé vers le Myanmar, au-delà de la frontière.
Des jours plus tard, un proche de la victime, sous le pseudonyme de Kelvin, recevait un appel. En mandarin, la voix à l'autre bout du fil exigeait une rançon de 500 000 dollars américains pour la libération de son proche de la « ferme de l'arnaque » au sein de laquelle ce dernier était contraint de travailler, ne pouvant que rarement parler à sa famille.
« Nous n'avons pas cette somme », a déclaré Kelvin à la presse le 8 janvier, avant de déposer une demande d'aide auprès du consulat thaïlandais à Hong Kong.
Cette situation n'est pas inhabituelle.
La disparition de l'acteur chinois Wang Xing, rapidement retrouvé [th] par les autorités thaïlandaises et chinoises une semaine après sa disparition, a suscité une lueur d'espoir, a déclaré Andy Yu, ancien conseiller de district du parti civique, aujourd'hui dissous, au sein duquel six familles ont été épaulées dans le cadre d'affaires de traite d'êtres humains.
Le 3 janvier, Wang Xing a été porté disparu le long de la frontière thaïlandaise avec le Myanmar, sa petite amie avait signalé sa disparition sur Weibo le 5 janvier. Après des échanges entre les autorités thaïlandaises et chinoises, l'acteur chinois a été retrouvé le 7 janvier, et est retourné en Chine le 10 janvier.
Kelvin souhaite que les autorités prennent également des mesures pour venir en aide à son proche :
I urge the Hong Kong government to more actively engage with mainland authorities, as diplomatic affairs fall under the purview of the central government. [Wang’s] rescue only took a few days from the time his case was reported. I can’t say that it was because he was well known and attracted a lot of attention, but my family member is an ordinary citizen that no one would take notice of. I hope the Thai government will help my family member and rescue them as soon as possible.
J'invite le gouvernement d'Hong Kong à coopérer plus activement avec les autorités continentales, étant donné que les affaires diplomatiques relèvent de la compétence du gouvernement central. Le sauvetage de Wang Xing a pris seulement quelques jours à partir du moment où son affaire a été signalée. Je ne peux pas affirmer que c'est parce qu'il était célèbre et avait attiré beaucoup d'attention, tandis que le membre de ma famille est un citoyen ordinaire sur lequel personne ne se penche. Je souhaite que le gouvernement thaïlandais apporte son aide aux membres de ma famille et les sauve le plus rapidement possible.
Hausse de la traite d'êtres humains
Le nombre de Hongkongais victimes de la traite des êtres humains vers le Myanmar a augmenté ces derniers mois, après une vague de cas signalés en 2022.
À l'instar d'autres formes de criminalité transnationale, la traite d’êtres humains s'est intensifiée depuis que l'armée du Myanmar a chassé l'administration, démocratiquement élue, d'Aung San Suu Kyi en 2021, déclenchant une guerre civile avec des milices ethniques armées.
Pour en savoir plus : Coup d'État au Myanmar en 2021
Depuis, le pays s'est hissé au premier rang mondial des foyers de criminalité transnationale, selon l'indice mondial de la criminalité organisée (Global Organized Crime Index).
Wendy, dont un proche est également détenu au Myanmar, partage les mêmes frustrations que Kelvin :
As ordinary citizens, we have experienced almost half a year without being able to save [our family members], and we are really helpless. It’s good that some people have been rescued, but as family members, the more we see such successful cases, the more helpless we feel.
En tant que citoyens ordinaires, nous avons passé près de six mois sans pouvoir sauver les membres de notre famille, et nous nous sentons vraiment impuissants. C'est une bonne chose que certaines personnes aient été sauvées, mais pour nous, les proches, plus nous observons ces succès, plus nous nous sentons désemparés.
Syndicats d'escrocs
Plusieurs victimes ont été recrutées par le biais d'emplois ponctuels servant de couverture à la traite d’êtres humains, a déclaré l'ancien conseiller municipal Andy Yu à la presse le 8 janvier.
Les victimes acceptaient généralement ces emplois via les médias sociaux ou les plates-formes de messagerie, y compris Telegram. Certaines ont été recommandées par des amis, a déclaré Andy Yu à la HKFP, sans savoir si ces amis étaient conscients de favoriser la traite d’êtres humains.
Les trafiquants adoptent de nouvelles tactiques, dit-il, en expliquant aux personnes ciblées qu'elles travailleront à Taïwan ou au Japon – deux destinations de vacances populaires pour les Hongkongais – dans l'espoir qu'elles relâchent leur vigilance.
S, un proche de la famille de Wendy, se trouve au Myanmar depuis plus de quatre mois. Sous un pseudonyme, de peur que S ne soit identifié, Wendy a déclaré qu'elle avait pu localiser un signal téléphonique vers la Thaïlande, puis vers le Myanmar, après que S soit parvenu à appeler chez lui.
« Je pouvais entendre la peur dans leur voix », a déclaré Wendy, elle-même sous couvert d'un pseudonyme, lors d'un entretien téléphonique avec le HKFP.
S a été contraint de travailler pendant plus de quatre mois dans l'une des fameuses « fermes d’arnaque » du Myanmar, située à la frontière méridionale du pays. Des victimes de plusieurs nationalités sont forcées d'organiser des escroqueries à la romance en ligne et risquent des châtiments physiques lorsqu'elles ne parviennent pas à atteindre les objectifs de leurs ravisseurs.
Grâce aux enregistrements de messages trouvés sur un ordinateur appartenant à S, Wendy a découvert que ce dernier avait envoyé des SMS à un numéro de Hong Kong à propos d'un voyage de travail en Thaïlande en tant que représentant des achats, avant de partir en avion. S était censé récupérer un colis en Thaïlande, puis se rendre au Japon.
Rançons ou circuits diplomatiques ?
S et un parent de Kelvin figurent parmi les 12 Hongkongais au moins retenus en captivité au Myanmar, à la fin de l'année 2024.
Au total, 28 cas ont été signalés aux autorités de Hong Kong depuis la mi-2024, et 16 d'entre eux sont rentrés à Hong Kong, selon le Bureau de la sécurité. Le mois dernier, Chris Tang, responsable de la sécurité, a déclaré aux législateurs que les autorités fourniraient « une assistance totale » pour rapatrier les victimes, sans toutefois donner de détails sur les moyens mis en œuvre.
En 2022, 46 habitants de Hong Kong ont sollicité l'aide du gouvernement après avoir été victimes de la traite d'êtres humains vers l'Asie du Sud-Est et mis au travail. En novembre, toutes ces personnes, sauf trois, étaient revenues à Hong Kong, selon le Bureau de la sécurité.
Ces chiffres n'inspirent pas confiance, selon Wendy, car les autorités de Hong Kong n'ont pas spécifié si les personnes rapatriées ont obtenu leur liberté par la voie diplomatique ou par le paiement des rançons qui leur sont souvent demandées.
Après la découverte de S envoyant des SMS à leur groupe WhatsApp familial, Wendy a indiqué que leurs ravisseurs avaient exigé une rançon de 500 000 dollars américains pour leur libération, soit la même somme que celle demandée à Kelvin. Cependant, il n'était pas question de payer l'équivalent de 4 millions de dollars hongkongais, sa famille n'ayant aucun moyen de réunir ces fonds. Elle a ajouté :
Even if we could, there’s no guarantee that the traffickers would hand S over.
Et même si nous le pouvions, il n'y a aucune garantie pour que les trafiquants nous rendent S.
S et les membres de la famille de Kelvin se trouveraient dans plusieurs complexes installés le long de la frontière sud du Myanmar, notamment le projet KK Park, la zone Dongmei ou le projet de ville nouvelle de Shwe Kokko.
Le « corps des gardes-frontières Karen » (Karen Border Guard Force), aujourd'hui rebaptisé « Armée Nationale Karen » (Karen National Army, KNA) dans le but apparent de se démarquer des forces du coup d'État avec lesquelles il était auparavant allié, est associé à ces trois zones. Selon un document publié par un groupe d'activistes, « Justice for Myanmar », des « fermes d'escroquerie » gérées par l'ANK ont été reliées à des syndicats criminels chinois.
L'année dernière, les documents relatifs aux entreprises du Myanmar divulgués par un site d'alerte sans but lucratif, « Distributed Denial of Secrets » (Déni distribué de secrets), ont également révélé l'implication d'entreprises enregistrées à Hong Kong dans ces projets.
Tirer les ficelles
Pékin a sévi contre les syndicats du crime l'année dernière, obligeant les « centres d'escroquerie » du nord du Myanmar à lui remettre des ressortissants chinois, victimes pour la plupart de trafics d'êtres humains. En avril, quelque 45 000 personnes avaient été rapatriées, selon l'Institut américain de la paix (United States Institute of Peace).
Pourtant, Wendy n'a reçu aucune information concrète depuis qu'elle a porté le cas de S à la connaissance de la police et du département de l'immigration, lesquels ont contacté Interpol, ainsi que les autorités thaïlandaises et du Myanmar. Les questions diplomatiques de Hong Kong sont traitées par les autorités de la Chine continentale.
En définitive, Pékin pourrait exploiter ses intérêts économiques au Myanmar et ses relations avec le gouvernement du coup d'État et les milices armées ethniques, a déclaré Debby Chan, maître de conférences à l’École des politiques publiques Crawford (Crawford School of Public Policy) de l'université nationale australienne (Australian National University). Debby Chan s'est adressée à HKFP par courrier électronique :
The mass deportation operations of Chinese scammers from Myanmar to China showcased Beijing’s influence on the military-affiliated ethnic armed groups. Beijing could pull its strings to achieve its strategic goals even in a volatile political environment in Myanmar.
Les opérations d'expulsion massive d'escrocs chinois du Myanmar vers la Chine ont mis en évidence l'influence de Pékin sur les groupes armés ethniques affiliés à l'armée. Pékin a pu tirer les ficelles pour réaliser ses objectifs stratégiques, en dépit de l'instabilité de l'environnement politique au Myanmar.
En réponse à la pétition, le Bureau de sécurité de Hong Kong (Hong Kong Security Bureau) a dépêché une équipe spéciale en Thaïlande :
In view of recent developments, SB officials will lead members of the dedicated task force from the Hong Kong Police Force and the Immigration Department to Thailand today (January 12) to further follow-up on the request for assistance cases.
Compte tenu de l'évolution récente de la situation, les fonctionnaires du Bureau de sécurité (SB) conduiront aujourd'hui (12 janvier) en Thaïlande des membres de la cellule spéciale des forces de police de Hong Kong, et du département de l'immigration afin de poursuivre le suivi des dossiers de demande d'assistance.
L’équipe spéciale a ainsi rencontré des fonctionnaires de l'ambassade de Chine en Thaïlande, des représentants du ministère thaïlandais de la justice siégeant au sein d'un comité de lutte contre la traite d’êtres humains, ainsi que d'autres autorités thaïlandaises.
Enfin, le 14 janvier, l'une des victimes de la traite, en détention depuis près de quatre mois, a été libérée après que sa famille a versé une rançon au groupe criminel.