
Une infirmière vaccine un bébé à Accra, au Ghana, en 2020. Cette image relève du domaine public
Écrit par Keletso Thobega, traduit par Emi Lecret
En août 2020, l'Afrique a été déclarée exempte du poliovirus sauvage, une maladie qui paralysait chaque année des milliers d'enfants sur le continent. Il s'agit d'une étape importante dans la lutte contre la polio, ayant débuté dans le cadre de l'initiative mondiale d'éradication de la polio de l'Organisation mondiale de la santé en 1988. Cette initiative a permis de réduire de 99 % le nombre de nouveaux cas de polio dans le monde.
Toutefois, une nouvelle mutation de ce virus, dérivée d'un vaccin, est apparue en Afrique australe, en grande partie en raison de la faible couverture vaccinale au sein des populations locales.
Lors d'un entretien en ligne avec Global Voices, certains experts de la santé œuvrant sur le continent ont mis en évidence plusieurs obstacles à l'éradication complète de la poliomyélite. Ils ont insisté sur le fait que les efforts pour éradiquer la maladie doivent aller au-delà des campagnes de vaccination : il est nécessaire de consolider les systèmes de chaîne d'approvisionnement, afin de garantir que les efforts de sensibilisation et les vaccins contre la polio atteignent même les communautés les plus éloignées et les plus rurales partout en Afrique.
Village Reach, une organisation à but non lucratif dont la mission principale est d'améliorer l'accessibilité des produits et services de santé dans les communautés à faibles revenus et à faibles ressources, a partagé les raisons et la manière dont elle a renforcé ses systèmes de chaîne d'approvisionnement.
Luciana Maxim, directrice de la chaîne d'approvisionnement et du renforcement des systèmes de laboratoire à Village Reach, a expliqué à Global Voices qu'à la fin de l'année 2021, l’Initiative mondiale pour l'éradication de la poliomyélite (IMEP) avait financé la réalisation d'évaluations nationales du système d'orientation et de transport des échantillons de laboratoire pour la poliomyélite dans plusieurs pays d'Afrique. Selon elle, de nombreuses régions d'Afrique (en particulier les zones rurales) disposent d'infrastructures de transport médiocres, ce qui rend difficile l'accès aux communautés.
Par exemple, dans certaines régions, certaines routes ont des nids-de-poule ou ne sont pas goudronnées, ce qui rend l'accès difficile pour les véhicules. Dans ces territoires, les professionnels de santé doivent trouver d'autres moyens de distribuer les vaccins, ce qui peut être chronophage et coûter cher, par exemple en utilisant des vélos ou des hélicoptères.
Les mêmes problèmes logistiques se posent en ce qui concerne la rapidité et la qualité du transport des échantillons de laboratoire, y compris les échantillons humains et environnementaux suspectés de polio. Les professionnels de santé rencontrent ainsi des difficultés à respecter les directives de l'OMS selon lesquelles les échantillons infectés doivent être transportés vers un laboratoire national ou international spécialisé dans la polio dans les trois jours suivant la collecte des échantillons.
Tsedeye Girma, coordinatrice de l'UNICEF pour l'intervention en cas d'épidémie mondiale de polio, a expliqué à Global Voices qu'en fonction du contexte, différents modes de transport étaient utilisés pour acheminer les vaccins contre la polio jusqu'aux centres de santé les plus éloignés. « Nous avons recours à des camions réfrigérés, des motos, des bateaux, des bêtes de somme, mais aussi des déplacements à pied », a-t-elle précisé. Elle a ajouté que dans certains pays, comme le Malawi et le Mozambique, ils ont même utilisé des drones pour livrer les vaccins.
Tsedeye Girma a expliqué comment les récents cas de polio d'origine vaccinale en Afrique australe ont été rapidement maîtrisés :
Lorsque le poliovirus sauvage a de nouveau été détecté, en particulier au Malawi et au Mozambique au début de l'année 2022, tout le monde s'est mis en mode d'urgence pour contenir ces épidémies. Il était impératif d'envoyer les échantillons aux laboratoires le plus rapidement possible, de sensibiliser les communautés et les professionnels de santé, et de s'assurer que tous les enfants étaient vaccinés contre la polio après la pandémie de COVID19. Nous avons participé à ces efforts et les épidémies de poliovirus sauvage ont été rapidement endiguées la même année, a-t-elle indiqué.
Luciana Maxim a souligné que 13 des 15 pays dans lesquels ils travaillent depuis lors ont connu des épidémies de poliomyélite d'origine vaccinale. Un poliovirus dérivé d'une souche vaccinale (PVDV) est une souche rare de poliovirus qui évolue à partir du virus vivant affaibli utilisé dans le vaccin antipoliomyélitique oral (VPO). Ce virus vivant est conçu pour stimuler le système immunitaire et renforcer la protection contre la polio. Toutefois, s'il circule suffisamment longtemps dans des populations insuffisamment ou non vaccinées ou s'il se réplique chez un individu atteint d'un déficit immunitaire, il peut muter et retrouver la capacité de provoquer la maladie.
Elle a ajouté :
Nous nous sommes rapidement rendu compte que, pour contribuer à l'éradication des épidémies, nous avions besoin d'une approche intégrée qui garantisse que les échantillons de toutes les maladies susceptibles de se déclarer parviennent aux laboratoires en quelques jours seulement. Nous avons saisi toutes les occasions d'intégrer les ressources, le personnel et les données pour toutes les maladies et toutes les fonctions du système de santé.
Tsedeye Girma a déclaré qu'il était essentiel d'établir une présence décentralisée et des liens avec les communautés.
Elle a expliqué :
Nous adoptons une approche centrée sur les populations en engageant les communautés locales en tant que partenaires actifs dans la lutte pour l'éradication de la polio. Nous avons recruté et formé des milliers de membres des communautés locales, y compris des chefs traditionnels, des chefs religieux, des survivants de la polio, des groupes de femmes, des jeunes et d'autres personnes influentes au sein des populations, pour qu'ils œuvrent à la sensibilisation et à la mobilisation contre la polio.
Dans la plupart des foyers africains, les femmes sont les soutiens de famille et la majorité des mobilisateurs pour la poliomyélite au sein des communautés sont des femmes. Ceci est essentiel dans les régions où les normes culturelles empêchent les professionnels de la santé masculins d'entrer dans les foyers composés uniquement de femmes.
Cette approche fait toute la différence lorsqu'il s'agit de faire passer le message et s'assurer que les enfants sont vaccinés, a ajouté Tsedeye Girma.
Pour améliorer la portée des campagnes de vaccination, l'UNICEF et d'autres parties prenantes se sont efforcés de rédiger des messages dans de nombreuses langues locales, mais la barrière de la langue persiste dans les campagnes de vaccination contre la polio. Ces messages sont souvent diffusés à l'aide de mégaphones par les annonceurs de la ville et avec des camionnettes mobiles d'annonces publiques qui se déplacent d'une communauté à l'autre.
La désinformation sur les vaccins reste également un obstacle important pour atteindre les enfants. Selon Tsedeye Girma, les mobilisateurs communautaires jouent un rôle clé en répondant aux préoccupations des parents et des soignants concernant les vaccins au cours de leurs visites.
« Nous utilisons également des outils d'écoute sociale pour suivre et stopper les fausses informations sur les vaccins, en ligne et hors ligne. Le programme d'engagement de la communauté numérique de l'UNICEF mobilise plus de 70 000 volontaires en ligne dans le monde pour lutter contre la désinformation et fournir des informations exactes et opportunes sur les vaccins. » Parmi les fausses informations les plus courantes : les affirmations selon lesquelles les vaccins sont douloureux et provoquent des maladies, affaiblissent le système immunitaire, sont conçus pour nuire aux jeunes, ou ne sont pas acceptables d'un point de vue culturel ou religieux.
Dans un message adressé à l'occasion de la Journée mondiale contre la polio 2024, la directrice régionale de l'OMS pour l'Afrique, Matshidiso Moeti, a indiqué que 134 cas de polio de type 2 avaient été détectés dans la seule année 2024 à la date du 5 septembre. Le variant en circulation a été identifié au Burkina Faso, au Cameroun, en République centrafricaine, au Tchad, au Mali, au Niger et au Nigeria.
Alors que les efforts d'éradication de la polio se poursuivent, Luciana Maxim et Tsedeye Girma espèrent que les gouvernements, le secteur privé et les organisations non gouvernementales (ONG) collaboreront pour lutter contre la désinformation sur les vaccins. Elles soulignent également l'importance d'accorder la priorité au financement pour renforcer les systèmes de chaîne d'approvisionnement, afin de garantir un accès équitable aux vaccins et aux services de santé sur l'ensemble du continent.