Révocation du fact-checking par Meta: quelles conséquences sur le continent africain?

Capture d'écran de la chaîne YouTube de News Agency of Nigeria

La révocation du fact-checking par Meta, la plateforme de réseaux sociaux, va durablement impacter le travail des professionnels engagés dans la lutte contre la désinformation et les fausses informations.

Le 7 janvier 2025, Mark Zuckerberg, fondateur du groupe Meta, réunissant Facebook, Instagram et Whatsapp, met fin au programme de fact-checking. Cette décision du géant des réseaux sociaux porte un coup dur à plusieurs années de lutte contre les fausses informations, surtout en Afrique où des organisations comme Africa Check font un travail de veille en la matière.

Afin de comprendre les répercussions d'une telle décision, Global Voices a interviewé, par Whatsapp, Ass Momar Lo, chercheur sénégalais à Africa Check.

Jean Sovon (JS) : Meta vient de révoquer le fact-checking sur sa plateforme. Quelles sont les conséquences de cette décision sur le continent africain ?

Ass Momar Lo (AML) : Meta a révoqué le fact-checking sur sa plateforme aux USA, ce qui n'est pas sans conséquences. Premièrement, je pense qu'il y a le risque immédiat de voir surgir des informations erronées sur la plateforme, alors que Meta s'était lié à plusieurs organisations de vérification des faits à travers le monde pour lutter contre les informations erronées.

D'ici au mois de mars 2025, la décision d'arrêter le fact-checking sur Meta va entrer en vigueur. Il annonce que les fact-checks vont être remplacés par un système de notes de communauté qui n'est pas encore très clair. On n'en sait pas grand-chose sur comment les notes de communauté vont être choisies, sur quelle base, le niveau de pertinence des réponses suggérées. Tout ça reste ambigu. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a un risque de voir surgir une surabondance de fake news.

JS: Quels sont les genres de fake news qui semblent avoir le plus d’impact sur le continent?

AML : Il est difficile de dire avec certitude quel genre de fake news semble avoir le plus d'impact, mais sur la base de notre expérience à Africa Check, on se rend compte que beaucoup de fake news qui touchent aux sujets d'ordre social ont beaucoup d'impact. Je cite un exemple récent au Sénégal qui date de juillet 2024. Des fake news ont été partagées disant que le président de la République offrait des logements gratuits aux populations qui sont dans la précarité, surtout celles qui ont du mal à trouver un logement. Cette fausse annonce a poussé des personnes à aller occuper illégalement des maisons d'un promoteur privé qui avait terminé des maisons qui n'étaient pas encore occupées.

En 2021, une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux montrait des ressortissants ivoiriens torturés au Niger. Malheureusement, des populations de certains quartiers d'Abidjan en Côte d'Ivoire, ont cru à cette fake news et se sont attaquées aux ressortissants nigériens qui se trouvaient dans ces quartiers. Il y a eu des rixes qui ont occasionné un mort.

Sur la base de ces deux exemples, je peux dire que les fake news qui touchent aux sujets d'ordre social et parfois à la race, à l'ethnie sont des domaines très sensibles et semblent avoir beaucoup d'impact.

Photo de Ass Momar Lo, utilisée avec permission

JS: Les fake news opèrent-elles différemment selon les langues sur le continent?

AML: Peu importe la langue, les fake news ont plus ou moins les mêmes modus operandi. Les auteurs des fake news essaient de jouer sur la psychologie de ceux à qui ces fausses informations sont destinées. Souvent, ce sont des informations qui cherchent à toucher l'émotion du public cible pour les pousser à la réaction. Le sociologue espagnol Manuel Castells a prouvé à travers ses analyses que les gens réagissent à l'information non par la raison, mais par l'émotion. C'est pourquoi, à mon avis, peu importe la langue, que ce soit en wolof, bambara, hausa, yoruba, français, anglais, le mode opératoire est le même.

JS: La société civile africaine réussit-elle à alerter les gouvernements sur ces questions et à proposer des solutions adaptées au contexte africain?

AML: Sur la base de mes observations, la société civile africaine mène diverses actions et projets afin de pousser les autorités à prendre au sérieux la question de la désinformation. Par exemple, au Sénégal, je peux citer Sénégal Vote, des activistes très actifs en période électorale pour lutter contre la désinformation. Au Cameroun, il y a Defy Hate Now. Mais sans une réelle volonté politique, ces plaidoyers portés par la société civile peinent à porter leurs fruits. Il faut réellement une volonté, un accompagnement des politiques pour que ces actions proposées par les sociétés civiles puissent avoir un réel impact.

JS: Existe-t-il des alternatives pour éviter la prolifération des fake news sur le continent ?

AML: Comme alternatives, il faut plus d'éducation aux médias et à l'information, la sensibilisation: ce sont les principales alternatives au fact-checking. Les journalistes fact-checkers ont compris que le fact-checking à lui seul, ne pourra jamais régler le problème de la désinformation. C'est comme vouloir arrêter la mer par ses bras. C'est pourquoi nous, fact-checkers, à Africa Check, à travers nos articles, nous prenons le soin d'expliquer à nos lecteurs comment, étape par étape, nous vérifions les informations qui sont fausses. L'objectif sur le long terme est d'outiller le public pour qu'il soit indépendant et doté de réflexes pour éviter de tomber dans le piège de la désinformation, même sans Africa Check. Notre objectif est que ceux qui nous lisent parviennent eux-mêmes de manière indépendante à pouvoir séparer la réalité de la fiction et ne pas tomber dans le piège de la désinformation.

JS: Qu'en est-il de la question de la liberté d'expression même face aux fake news?

AML: Des lois qui encadrent la liberté d'expression interdisent formellement le fait de diffuser des fake news. Il y a des gens qui passent leur journée à créer des fake news de toutes pièces, soit pour nuire, pour induire une erreur, soit pour porter une cause. Les lois interdisent à raison cette pratique-là.

Dans de nombreux pays, plusieurs lois encadrant la loi d'expression, surtout dans la presse, ont été introduites, pas forcément pour contrer la désinformation, mais surtout pour faire taire des voix critiques, surtout quand ce sont des journalistes ou des activistes qui sont contre le régime.

Mais une personne peut diffuser une fausse information par erreur. Cela arrive surtout chez les journalistes, mais on a vu des pouvoirs politiques instrumentaliser ces lois-là, qui sont censées réguler la désinformation pour faire taire des voix critiques.

C'est aussi une des conclusions du rapport “Meeting the challenges of information disorder in the global information” (Relever les défis du désordre de l'information dans l'hémisphère Sud) publié en 2022 par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) :

State-led efforts to ameliorate the spread of “fake news” in sub-Saharan Africa have led to the introduction of laws that have done more to repress freedom than to lessen mis- and disinformation. In fact, such actions have further contributed to information disorder, as they are often justified by claims that are themselves forms of mis- or disinformation.

Les efforts déployés par les États pour lutter contre la propagation des « fausses nouvelles » en Afrique subsaharienne ont conduit à l’introduction de lois qui ont davantage contribué à réprimer la liberté qu’à réduire la mésinformation et la désinformation. En fait, de telles actions ont contribué davantage au désordre informationnel, car elles sont souvent justifiées par des allégations qui sont elles-mêmes des formes de mésinformation ou de désinformation.

 

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