
Marielle Franco, Septembre 2017. Photo reproduite avec l'autorisation de l'Institut Marielle Franco.
Cet article, rédigé par Bibbi Abruzzini et Clarisse Sih, s'inscrit dans #la Campagne MarchWithUs, qui met en évidences les histoires d'activistes pour la justice de genre à travers le monde. Écoutez l'épisode de podcast sur l'Institut Marielle Franco ici.
Dans la nuit du 14 mars 2018, le Brésil a été bouleversé par l’annonce de l’exécution d’une conseillère municipale de Rio de Janeiro. Marielle Franco, femme politique âgée de 38 ans, a été tuée dans sa voiture aux côtés de son chauffeur, Anderson Gomes. Depuis lors, son nom est devenu un emblème de la lutte contre la violence politique et est connu dans le monde entier.
Franco a été élue pour la première fois au Conseil municipal de Rio en 2016 sous les couleurs du PSOL (Parti Socialisme et Liberté), un parti de gauche.. Elle était une femme d'origine africaine ayant grandi dans le complexe de favela de Maré, l'un des plus grands de la ville. Elle était mère célibataire et vivait une relation avec une femme. Sociologue de formation, elle était également titulaire d’un master obtenu en étudiant l’implantation des unités de police dans les favelas. Elle militait activement pour les droits humains, en particulier ceux des communautés LGBTQ+ et des populations défavorisées.
Lors de sa première candidature, elle a obtenu 46,502 voix. Après sa mort, sa famille a créé l’Institut Marielle Franco, une organisation de la société civile, afin de continuer à réclamer justice et des réponses sur son assassinat et ses commanditaires. L’institut œuvre également à perpétuer son héritage à travers des projets liés aux causes qui lui tenaient à cœur.
Alors que le Brésil s’apprête à voter à nouveau aux élections municipales et que plus de 60 pays se rendent aux urnes en 2024, des inquiétudes persistent quant à la vulnérabilité des activistes, des candidates et même des citoyennes dans des contextes locaux de plus en plus polarisés.Les recherches montrent que la violence politique touche certaines plus durement que d’autres.
« La police a tiré à 111 reprises »
Après la nomination d'Anielle Franco, la sœur cadette de Marielle, au poste de ministre de l'Égalité raciale dans le gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva en 2023, Lígia Batista,avocate spécialisée en droits humains, est devenue directrice exécutive de l’Institut Marielle France. Lígia Batista, a été l'une des architectes d’une campagne menée par Amnesty International pour suivre l’évolution des enquêtes sur l’assassinat de Marielle Franco. Elle a exigé une réponse plus rapide et impartiale des autorités policières et a porté l’affaire devant des instances nationales et internationales de défense des droits humains.
« J’ai commencé à canaliser ma colère à l’université, en m’engageant comme activiste des droits humains, principalement contre le racisme et la violence policière », déclare Lígia Batista dans une interview avec Bibbi Abruzzini du réseau de la société civile Forus. « Le premier cas qui m’a profondément marquée a eu lieu en novembre 2015, lorsque cinq jeunes garçons noirs ont été abattus par des policiers à Rio de Janeiro, alors qu’ils se trouvaient dans une voiture. » La police a tiré 111 fois .»
« Après ce jour-là, j’ai commencé à comprendre ce qui me motive, pourquoi j’étais si en colère et quel type de contribution je voulais apporter pour changer ces inégalités et la façon dont la violence s’exerce contre des personnes comme nous, ma famille et mes voisins », explique Lígia Batista.
Au fil de ses années de travail à Amnesty International, Lígia Batista a traité des questions liées au droit au logement, au droit de manifester, à la résolution des conflits, ainsi qu’à la dénonciation des violences policières et de la violence en politique. Grâce à cet engagement, elle a eu l’opportunité de rencontrer Marielle Franco.

Lígia Batista, directrice exécutive de l’ Institut Marielle Franco.
Au cours des dernières années, l‘Institut Marielle Franco a consolidé son travail autour de trois axes principaux, explique Lígia Batista. Le premier axe vise à lutter contre la violence politique fondée sur le genre et la race. Le deuxième axe consiste à combattre et surmonter les obstacles à la participation politique des femmes noires, des personnes LGBTQ+ et des habitantes des favelas et des périphéries. Le troisième axe consiste à explorer des moyens créatifs pour préserver la mémoire de Marielle Franco.
Par exemple, pour les élections municipales de 2024 au Brésil, ils ont élaboré l’Agenda Marielle Franco, un ensemble de pratiques et d'engagements politiques antiracistes, féministes, LGBTQI+, populaires et issus des périphéries, inspirés de l’héritage de Marielle Franco. Pour élaborer l’édition de cette année, ils ont consulté plus de doublant ainsi le nombre de participantes par rapport à 2022.
L'Agenda Marielle Franco est conçu pour être mis en œuvre dans les conseils municipaux et les gouvernements locaux par les candidates aux élections de 2024.
Lutter contre la violence politique fondée sur le genre et la race
Lígia Batista déclare : « Pour faire réellement avancer la lutte en faveur d’une transformation du système politique brésilien, nous devons changer une culture politique profondément marquée par la peur et la violence. » Pour lutter contre la violence politique, il est essentiel de responsabiliser les partis politiques et les gouvernements. « Ce sont eux qui doivent proposer des outils efficaces pour prévenir et combattre la violence politique fondée sur le genre et la race. »
Par exemple, l’étude « Cartographie de la violence politique contre les femmes noires », menée par l'Institut Marielle Franco en partenariat avec Justiça Global et Terra de Direitos, ont analysé la violence politique fondée sur le genre. Selon le rapport, huit femmes noires sur dix ayant participé aux élections de 2020 au Brésil ont été victimes de violence virtuelle, six sur dix ont subi des violences morales et psychologiques, et cinq sur dix ont été confrontées à des violences institutionnelles.
Ils ont identifié huit types de violence politique subis par plus de 140 candidates noires à travers le pays. Leur travail montre de manière constante que, élues ou non, les femmes noires restent sans protection face à ces formes de violence.À travers la campagne «Não Seremos Interrompidas» (« Nous ne serons pas interrompues ») — une référence— dernier discours de Marielle Franco au Conseil municipal de Rio —, ils plaident pour que les autorités locales agissent contre la violence politique qui empêche les femmes noires et les personnes LGBTQ+ d’accéder et d’occuper en toute sécurité le pouvoir politique.
« Cette année, nous travaillons à la création d’un réseau de stratèges politiques, un groupe de personnes qui se rassembleront pour soutenir les candidates noires et les personnes LGBTQ+ pendant les élections. » « Jusqu'à présent, nous avons principalement exploré ce travail à travers l’art et la culture », ajoute Lígia Batista.
Il y a deux ans, loi a été adoptée au Brésil pour lutter contre la violence politique. « Justice pour Marielle » va au-delà de la recherche de réponses et de la responsabilisation des auteurs du crime. Nous devons veiller à ce que plus personne ne soit tué. »
C'est pourquoi l’ Institut Marielle Franco a lancé une enquête qui dresse un « radiographie » des deux années d'application de la loi et des mécanismes de protection et de prévention contre la violence politique. Ils plaident pour un renforcement de la législation et des mécanismes de protection, notamment la mise en place d’un protocole spécifique pour les victimes de violence politique. Ils demandent également l’assurance d’un soutien financier adéquat aux élu·e·s confronté·e·s à des attaques et l’implication des partis politiques, des instances électorales et d’autres acteurs dans des programmes de prévention et de sensibilisation.
La plateforme PANE, un autre projet de l’Institut, regroupe des actions et des outils visant à transformer le système politique brésilien. Faisant référence aux 524 ans écoulés depuis l’arrivée des colons portugais, la plateforme retrace les profondes inégalités et violences subies par les communautés historiquement marginalisées au fil des siècles. Les fissures des structures actuelles sont visibles, et PANE promeut l’inclusion des femmes noires dans les espaces de décision. La plateforme fait pression sur les partis pour qu’ils soutiennent ces candidatures et plaide pour un engagement des candidats·es en faveur de politiques antiracistes lors des élections.
En collaboration avec des organisations telles que Educafro, le Movimento Mulheres Negras Decidem ( Les femmes noires décident ), et la Coalizão Negra por Direitos ( Coalition noire pour les droits ), l’Institut Marielle Franco a déjà accompli des avancées significatives.
Ils ont réussi à faire pression sur le Tribunal supérieur électoral (TSE) pour garantir un financement proportionnel et un temps d’antenne équitable aux candidat·e·s noir·e·s lors des élections de 2022. Cependant, ils visent des changements durables et exhortent les partis à appliquer ces recommandations sans délai.
Tendances mondiales

Festival annuel Justiça por Marielle e Anderson, Rio de Janeiro 2024. Photo publiée avec l’autorisation de l’ Institute Marielle Franco.
À l’échelle mondiale, les femmes, les minorités et les communautés LGBTQ+ restent largement sous-représentées dans la prise de décision politique et au sein des partis politiques. Ce problème trouve ses racines dans des dynamiques sociétales complexes et ides formes de violence croisées. Au rythme actuel, la diversité de genre aux plus hautes fonctions du « pouvoir politique» ne sera pas atteinte avant 130ans.
Le rôle de la solidarité internationale dans la transformation des systèmes politiques ne peut être négligé, affirme Batista : « Je pense que la solidarité internationale est essentielle pour nous. » Nous sommes plus forts lorsque nous sommes unis, au-delà de toutes les frontières. « Ce message de solidarité est toujours crucial pour renforcer la pression, favoriser la prise de décisions, changer la situation et créer un environnement politique différent. »
Ce 14 mars dernier a marqué six ans et 71 mois depuis l’assassinat de Marielle Franco. La famille écrit que ce furent « les six années les plus difficiles de notre vie. » Mais chaque année, l'Instituto Marielle Franco organisait un « festival de la justice », réunissant plus de 20 000 personnes, afin de poursuivre la lutte pour la justice, honorer la mémoire de Marielle Franco, faire vivre son héritage et « nourrir les graines » de démocratie contre la violence politique.
Après six ans, les assassins de Marielle Franco ont enfin été condamnés en novembre dernier. S'adressant à la presse après leur condamnation, Anielle Franco, la sœur de Franco, a déclaré qu'il s'agit du début d'un chemin vers la justice : « Nous devons mettre fin à la normalisation de la violence contre les personnes noires, les enfants victimes de balles perdues et les figures publiques assassinées ». Nous tiendrons la tête haute pour Marielle, Anderson et pour le droit à une vie digne.