Balkans occidentaux : recrudescence de la désinformation et de la diffamation suite au gel des subventions de l'USAID

Event from USAID project for interethnic integration in education in North Macedonia, November 24, 2017. Public Domain photo by the Government of Republic of North Macedonia.

Macédoine du Nord, le 24 novembre 2017 : évènement du projet USAID pour l'intégration inter-ethnique dans l'éducation ; photo publiée par le gouvernement macédonien.

Dans les pays des Balkans occidentaux, le gel de l'aide étrangère, ordonné par le nouveau gouvernement américain, compromet de nombreux projets de la société civile, des droits de l'homme et des médias indépendants.

Bien qu'il soit difficile d'estimer le nombre exact d'organisations touchées, elles sont des centaines. Seule une part relativement modeste de l'aide extérieure américaine était destinée à la société civile, mais ces dernières années, elle s’est avérée critique pour des domaines tels que la professionnalisation des médias, les droits de l'homme, la lutte contre la corruption, l'éducation aux médias et la lutte contre la désinformation, pour lesquels des fonds nationaux n’existent pas.

Tous les programmes financés par l’Agence américaine pour le développement international (USAID), et le département d'État, ont été suspendus en vertu du décret sur la « réévaluation et le réalignement de l'aide étrangère des États-Unis », publié par le président américain le 20 janvier dernier, et ce pour une période de 90 jours au cours de laquelle le gouvernement peut décider de stopper, de poursuivre ou de modifier les projets en cours, en fonction des priorités et des valeurs de Donald Trump.

D'autres fonds américains, notamment ceux contrôlés par le Congrès, sont également concernés. Selon NPR, le tout nouveau département de l’Efficacité gouvernementale (ou DOGE) dirigé par Elon Musk, au sein du département du Trésor, a également gelé le financement de la Fondation nationale pour la démocratie, une ONG bipartite, entraînant l’interruption du travail des bénéficiaires de ses subventions.

Dans toute la région des Balkans occidentaux, les conséquences dramatiques du gel sur la société civile sont au cœur des débats publics. La situation réjouit les anti-occidentaux qui mènent de vastes campagnes de diffamation sur la disparition des soi-disant « mercenaires » et « agents étrangers », comme s'ils étaient les seuls bénéficiaires de l’aide étrangère, tout en ignorant largement le fait que la majeure partie du financement américain en Europe de l'Est était canalisée non seulement vers la société civile, mais aussi vers des institutions publiques et privées.

Pour de nombreux hommes politiques et médias des Balkans, la longue histoire de l'USAID dans leur région, source de fierté, depuis les débuts de l’aide aux sinistrés après le tremblement de terre de Skopje en 1963, jusqu'à plus récemment le fait d’avoir fait de la Macédoine le « premier pays à disposer d'un réseau sans fil » en 2005, semble presque oubliée.

Comme l’explique cette vidéo, grâce à l’aide américaine, l’accès à haut débit a contribué à améliorer la qualité de vie des citoyens macédoniens, à stimuler l'économie et à rehausser le profil international du pays.

Les informations sur l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, le Monténégro, la Macédoine du Nord et la Serbie, disponibles sur le site Internet du gouvernement américain ForeignAsistance.gov, indiquent que la majorité des fonds actuels sont alloués aux infrastructures essentielles, à la numérisation et à la cybersécurité, au renforcement du secteur de l'énergie, à la croissance économique du secteur privé (y compris les startups et les petites et moyennes entreprises), à la lutte contre la corruption, à l'intégrité des élections, à l'éducation, à l'administration locale, à la résilience des jeunes, ainsi qu'à la culture.

En Macédoine du Nord, par exemple, la suspension des subventions compromet la construction de routes et l'approvisionnement en eau dans plusieurs municipalités. Les infrastructures du Kosovo sont particulièrement touchées, étant donné que l’aide en provenance de l’Union européenne est bloquée depuis 2023.

Contrairement aux inquiétudes de la société civile, les représentants des gouvernements des Balkans ont jusqu'à présent minimisé la question de l'aide étrangère américaine. Par exemple, le Premier ministre de la Macédoine du Nord, Hristijan Mickoski, a déclaré qu'il « ne pensait pas que les institutions publiques seraient affectées par la décision du président Donald Trump », et qu'elles examineraient et se prononceraient sur le sujet ultérieurement.

Des politiciens populistes, dont les administrations ont bénéficié par le passé de l'aide des États-Unis, tels que l'ancien Premier ministre macédonien, et actuel fugitif de la justice Nikola Gruevski, et le président serbe Aleksandar Vučić ont pleinement adopté la rhétorique anti-USAID, faisant écho aux fausses affirmations d'Elon Musk qui l'a qualifiée d’« organisation criminelle », et célébrant la fin de « l'argent américain. »

Une désinformation systématique sévit dans la région sous la forme de fausses informations et diverses interprétations liées à l’USAID, telles que des dépenses de 50 millions de dollars pour l'achat de préservatifs pour Gaza, le lancement de « révolutions de couleur » et des versements d’argent à des stars d’Hollywood pour se rendre en Ukraine.

Le gel de l'aide américaine affecte les médias indépendants

La Fédération européenne des journalistes (FEJ) a invité tous les donneurs potentiels en Europe à se mobiliser afin de pallier au désengagement des États-Unis, notamment en ce qui concerne le maintien des médias ukrainiens, du réseau des journalistes exilés de Biélorussie et des programmes multimédias au Kosovo.

La majorité des médias des Balkans occidentaux dépendent de subventions de l’USAID et autres organisations américaines, en raison de la faiblesse de leurs économies où les attaches politiques influencent le financement local. En outre, les donateurs européens apportent peu de soutien à la production de contenu journalistique. Dans ce contexte, des professionnels des médias de Bosnie-Herzégovine ont fait part de leurs principales inquiétudes dans un article publié par Mediacenter Sarajevo.

Selon Milica Samardžić, directrice générale de l’association Umbrella, composée de 13 organes médiatiques impliqués dans le journalisme d’investigation, le « gel de l’aide étrangère américaine aura de graves conséquences pour le secteur des médias, en particulier pour les médias indépendants et d’investigation qui dépendent du soutien de donateurs.

Elle ajoute qu’ils « risquent de perdre une part importante de leur budget, pouvant mener à une réduction des activités, de la fermeture de rédactions, et même de la fermeture définitive d’organes de presse ». Ceux concernés mettent en garde que « si des fonds ne sont pas trouvés d’ici les trois prochains mois pour couvrir les coûts opérationnels, 64 % des journalistes qui travaillent dans les salles de rédaction pourraient se retrouver au chômage, soit environ 59 personnes ».

Mediacenter a interrogé des organes médiatiques dans tout le pays, y compris la République serbe de Bosnie, qui a tenté par le passé de lutter contre la société civile en s’appuyant sur des modèles autoritaires russes.

Dans un communiqué à Mediacenter, Jelena Jevđenić, rédactrice en chef du site Impuls, basé à Banja-Luka, explique les problèmes auxquels elle fait face, suite à l’annonce du démantèlement de l’USAID. Outre la crise financière, Impuls, tout comme d’autres organes de presse, fait également l’objet d’attaques de la part de conservateurs qui se réjouissent de la décision de Donald Trump.

Jer su nas, nevladine organizacije i nezavisne medije, prikazali kao nekog ko zgrće enormne količine novca. Ipak najveće donacije su dobijale i dobijaju institucije. U prvim danima obustave pomoći režimski mediji u RS su već prozivali nezavisne istraživačke medije. To već dovoljno govori u kakvoj nepovoljnom položaju se nalazimo.

Nous, ONG et médias indépendants, sommes décrits comme des amasseurs d’argent. Mais en vérité, les dons les plus importants ont été, et continuent d’être versés aux institutions publiques. Lors des premiers jours du gel de l’USAID, les organes médiatiques du régime de la République serbe de Bosnie, discréditaient déjà les médias indépendants et le journalisme d’investigation. Cela en dit long sur la situation défavorable dans laquelle nous nous trouvons.

Impuls couvre des sujets comme l’écologie, l’activisme, la corruption et les groupes marginalisés, et collabore avec d’autres médias traitant les mêmes sujets, ainsi qu’avec des journalistes d’investigation qui dénoncent la corruption, l’abus de pouvoir, et d’autres problèmes de société.

Selon Mediacenter, le gouvernement de Bosnie-Herzégovine, ne souhaite pas financer les médias indépendants et d’investigation. Les subventions provenant des gouvernements et des communautés locales sont principalement destinées aux organes de presse qui font preuve de loyauté envers les autorités. Du coup, les organes médiatiques indépendants comptent essentiellement sur les fonds de donateurs étrangers. Senka Kurt, éditrice du site Interview.ba explique :

Donatorska pomoć je iznimno važna imajući u vidu da naše vlasti javne prihode i budžete koriste za svoje prijatelje, rođake, kumove a ne za nezavisne medije kojima redovno prijete i šalju upute kako trebaju izvještavati.

Les dons sont très importants, alors que nos gouvernements allouent les fonds publics à leurs amis, leurs proches, et leurs sympathisants, et non pas aux médias indépendants qui sont régulièrement menacés et dont ils dictent la manière de travailler.

Borka Rudić, secrétaire générale de l’Association des journalistes de Bosnie-Herzégovine, craint aussi qu'en raison du gel, les propriétaires de médias ne commencent tout d'abord par licencier des journalistes et des chercheurs. Ils préconisent la création d’un fonds national pour promouvoir le pluralisme dans les médias, ainsi que l’augmentation de fonds de l’Union européenne en faveur des médias, une requête qui a dernièrement été adressée par les fédérations internationale et européenne des journalistes. Elle ajoute néanmoins :

No, s obzirom na budžet EU parlamenta i izjave nekih od radikalnih EU parlamentaraca, nisam sigurna da će biti dovoljno novca za nezavisne medije ne samo u BiH već i diljem Evrope.

Cependant, compte tenu du budget du Parlement de l’UE, et des déclarations de certains députés radicaux européens, je ne suis pas certaine qu’il y aura suffisamment d’argent pour les médias indépendants, non seulement en Bosnie-Herzégovine, mais dans toute l’Europe.

Les communautés marginalisées sont les plus touchées

En Macédoine du Nord, Prizma déclarait le 20 février dernier que des dizaines d’organisations de la société civile avaient perdu une part importante de leurs subventions. Le gel nuit gravement à celles qui travaillent avec « les communautés marginalisées délaissées par l’État », telles que les victimes de violence conjugale.

Le Comité Helsinki pour les droits de l’homme a déjà fermé son centre d’accueil, qui offrait un refuge aux personnes LGBT+ bannies de leurs familles.

Dans un communiqué à Prizma, Slavčo Dimitrov, directeur de l’organisation Coalition Margins, a déclaré qu’il anticipait l’annulation de la plupart de ces programmes après la période de gel.

Oсобено ќе бидат скратени оние програми кои што се занимаат со различност, еднаквост и инклузија, кои се специфично таргетирани од администрацијата на Трамп.

Nous nous attendons, notamment, à l’annulation de programmes relatifs à la diversité, l’équité et l’inclusion, des principes auxquels l’administration Trump est particulièrement hostile.

L’organisation sera obligée d’interrompre plusieurs de ses programmes, dont le but est d’apporter un soutien psychologique aux femmes victimes de violence, et aux personnes LGBT+. De plus, elle ne sait pas si elle pourra continuer à fournir une aide juridique aux victimes de violence en cas de procès, ou de litige avec des institutions étatiques. En 2024, grâce à l'USAID, Coalition Margins a offert ses services à 142 victimes de violence conjugale et sexiste.

Coalition Margins souligne également que la réduction des financements augmente les risques de violence dans le contexte d’un mouvement anti-droits LGBT+ et anti-genre grandissant, et présente notamment une menace pour la sécurité des personnes transgenres, des militants et des journalistes. Slavčo Dimitrov conclut :

Згаснување на дел од организациите, значи и губење на јавен глас во демократската сфера кој ќе говори за овие прашања. Просторот кој што полека веќе се испразнува ќе стане простор за ширачите на дезинформации, говор на омраза и ќе биде полесно окупиран од анти-родовите движења.

Les voix publiques, qui provoquent ces débats à l’intérieur de la sphère démocratique, seront perdues si une partie de ces organisations disparaît.  Au fur et à mesure que ces voix s’éteindront, elles seront remplacées par celles qui diffusent de fausses informations et des discours de haine, facilitant ainsi l'enracinement des mouvements opposés à l'égalité des sexes.

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