Mettre en relation les femmes africaines en Europe : entretien avec Joy Machugu Zenz

Photo de groupe à AWE (African Women in Europe) au Royaume-Uni en 2024. Photo de Joy Machugu Zenz, avec droits d'utilisation.

Cet article a été initialement publié par l'agence de presse Bird le 27 janvier 2025. Une version modifiée est reproduite ci-dessous dans le cadre d'un accord de partage de contenu. 

La figurine d'un éléphant en bois accrochée au mur derrière Joy Machugu Zenz semble faire écho à sa prestance : forte, déterminée et d'une confiance inébranlable. Chez elle, à Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne, assise là où la lumière du soleil filtrait à travers des rideaux crème, annonçant l'arrivée du printemps, Zenz dégageait le même équilibre entre grâce et force que le symbole derrière elle.

Son parcours s'étend sur plusieurs continents, cultures et carrières. Élevée au Kenya et vivant en Allemagne, Zenz se décrit comme une « migrante parfaite », un terme qu'elle utilise avec un rire ironique.

I’ve spent half my life in Kenya and the other half in Europe. I’ve taken the best of both worlds.

J'ai passé la moitié de ma vie au Kenya et l'autre moitié en Europe. J'ai pris le meilleur des deux mondes.

Cette riche combinaison d'expériences a nourri sa détermination à créer des réseaux florissants qui réunissent les femmes africaines à travers l'Afrique et la diaspora africaine.

L'arrivée de Zenz en Allemagne à 24 ans était à la fois excitante et intimidante. Elle avait appris l'allemand au préalable et possédait donc des connaissances de base de la langue, mais s'exprimer pleinement représentait un défi.

The language was a barrier, but more than that, it was the mindset.

Il y avait la barrière de la langue, mais plus encore, une vraie différence dans l'état d'esprit.

Ses premières années furent marquées par une phase d'adaptation à la culture, à la langue, et à l'isolement lié au fait d'être l'une des rares femmes africaines de sa communauté.

Elle confie : « Je ne voulais pas me perdre à cause des difficultés. Je voulais me prouver que je pouvais faire mieux. »

Avec un passé en gestion de projet et en informatique, ainsi qu'une expérience dans le secteur pharmaceutique et bancaire en Suisse, l'ambition de Zenz ne s'est jamais épuisée. Son désir de se faire une place en Europe tout en préservant son identité africaine l'a conduite à lancer sa plateforme African Women in Europe (AWE).

En 2008, aux premiers jours de l'émergence des réseaux sociaux, Zenz a créé un site Web pour entrer en contact avec une communauté de femmes africaines vivant en Europe. Une quête personnelle qui s'est rapidement développée en un projet bien plus important.

I just wanted to know what other Africans were doing in Europe. Within five days of launching the website, 50 women had joined.

Je voulais simplement savoir ce que les autres africains faisaient en Europe. En l'espace de cinq jours suivant le lancement du site, 50 femmes s'étaient déjà inscrites.

Aujourd'hui, AWE compte près de 10 000 membres et collabore avec des partenaires tels que Kenya Airways, The Federation of Women in Business, Jumia et le Centre du commerce international (CCI).

La plateforme est devenue une bouée de sauvetage pour les femmes confrontées à des difficultés similaires, offrant un espace pour partager leurs histoires, échanger leurs conseils et se soutenir mutuellement.

Au fil du temps, AWE s'est transformée en une organisation à part entière, organisant des événements dans toute l'Europe, de Madrid à Genève, où les femmes peuvent se rencontrer en personne et célébrer leurs réussites.

Zenz, la fondatrice, explique :

The idea was to dive into the culture of wherever we met. If we were in Italy, we ate Italian food; in Spain, we danced flamenco. It was about celebrating where we were while staying connected to who we are.

L'idée était de s'immerger dans la culture du lieu où nous nous retrouvions. En Italie, nous mangions italien ; en Espagne, nous dansions le flamenco. Il s'agissait de célébrer l'endroit où nous étions, tout en restant connectées à notre identité.

AWE a également commencé à mettre à l'honneur les femmes africaines qui se distinguent dans les domaines des affaires et du leadership à travers l'Europe, grâce à son programme de récompenses.

We realized that so many women were doing amazing work but staying under the radar. When you’re awarded by your own people, it feels different. It’s about being seen and celebrated by the community you represent.

Nous avons réalisé que de nombreuses femmes accomplissaient un travail remarquable tout en restant dans l'ombre. Être récompensée par sa communauté crée un sentiment unique. C'est une question de reconnaissance et de célébration par la communauté que l'on représente.

Une nouvelle initiative phare d'AWE est une collection de livres où des femmes africaines, qui ont marqué l'Europe et le Royaume-Uni, racontent leurs parcours personnels.

Each chapter is written by a different woman, sharing how they overcame obstacles and built successful lives abroad. It’s not just about celebrating their achievements but creating a guide for others, so they don’t have to make the same mistakes we did.

Chaque chapitre est écrit par différentes femmes, racontant comment elles ont surmonté les difficultés et réussi à l'étranger. Il ne s'agit pas seulement de célébrer leurs réussites, mais de créer un exemple pour les autres, afin qu'elles n'aient pas à commettre les mêmes erreurs que nous.

Après plus d'une décennie consacrée au développement d'AWE, Zenz s'est tournée vers un nouveau défi : autonomiser les femmes africaines par le commerce. En 2021, elle a lancé African Women in Trade (AfWITrade) en réponse à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), une initiative révolutionnaire visant à stimuler les échanges commerciaux intra-africains en réduisant les droits de douane et en améliorant l'accès aux marchés.

The AfCFTA enables us to trade within Africa without exorbitant tariffs. For example, now we can pay from Kenya’s shillings to Zambia’s kwacha without going through the US dollar. That’s revolutionary.

La zone de libre-échange continentale africaine nous permet de commercer en Afrique sans tarifs exorbitants. Par exemple, nous pouvons désormais payer directement en shillings kényans ou en kwachas zambiens sans passer par le dollar américain. C'est révolutionnaire.

L'une des caractéristiques distinctives d'African Women in Trade est son programme de mise en relation, conçu pour aider les femmes africaines de la diaspora à investir dans leur pays d'origine sans risque de fraude.

We’ve seen too many cases where diaspora investments fall apart because of mismanagement on the ground. We vet the systems and connect women with trustworthy partners to ensure their investments are safe and impactful.

Nous avons constaté trop de cas où les investissements de la diaspora s'effondraient en raison d'une mauvaise gestion sur place. Nous évaluons les mécanismes de gestion et mettons les femmes en relation avec des partenaires de confiance, afin de garantir la sécurité et l'efficacité de leurs investissements.

African Women in Trade organise chaque mois des séminaires en ligne pour partager des informations sur le commerce en Afrique.

Malgré son succès, le travail de Zenz ne s'est pas déroulé sans accroc. De la gestion de la paperasse administrative sur le continent africain à la levée des barrières financières pour les femmes entrepreneures, son parcours a été loin d'être facile.

« Les structures administratives ne sont pas toujours favorables, reconnaît-elle. Les investisseurs de la diaspora, par exemple, sont souvent confrontés à des défis opérationnels sur place : un manque de responsabilité et une mauvaise gestion évidente. »

La gestionnaire de projet était déterminée à changer cela. En mettant l'accent sur la valeur ajoutée, tels que l'emballage et la transformation locale des produits, elle vise à garantir que les entreprises africaines conservent davantage des richesses qu'elles génèrent.

We’re tired of just exporting raw materials. We want to create jobs and build industries right here in Africa, she noted.

Nous en avons assez d'exporter uniquement des matières premières. Nous voulons créer des emplois et développer des industries ici même en Afrique, souligne-t-elle.

Les initiatives prises par Zenz ont non seulement offert des outils concrets aux femmes africaines, mais elles ont également contribué à déconstruire les stéréotypes sur l'Afrique et sa diaspora.

I’m fighting this narrative of Africa as poor. We’re proving that African women are financially stable, capable, and driving change.

Je lutte contre l'idée d'une Afrique pauvre. Nous prouvons que les femmes africaines sont financièrement stables, compétentes et sont à l'origine du changement.

Son travail avec AWE et African Women in Trade l'a également rapprochée de ses racines. « Pendant longtemps, retourner en Afrique signifiait partir en vacances, mais aujourd'hui, il s'agit d'y revenir pour faire du commerce », explique-t-elle.

I want us to invest in our communities, not just with money but with ideas and opportunities.

Je veux que nous investissions dans nos communautés, pas seulement avec de l'argent mais avec de nouvelles idées et opportunités.

La mère de deux enfants déclare : « C'est notre moment. Nous avons les outils, les réseaux et l'ambition. Maintenant, il faut agir. »

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