Chine : le cobalt congolais au service de la transition énergétique verte, mais à quel prix ?

Des enfants travaillant dans une mine artisanale à Kailo, en République démocratique du Congo. Julien Harneis, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons

Cet article a été soumis dans le cadre de la bourse Global Voices Climate Justice, qui met en relation des journalistes issus de pays sinophones et du Sud global afin d’enquêter sur les effets des projets de développement chinois à l’étranger. Retrouvez d’autres récits ici.

Lorsque le président chinois Xi Jinping s’est adressé aux dirigeants africains lors du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) à Pékin en septembre 2024, promettant un avenir plus vert et durable, les applaudissements furent nourris. La Chine s’est engagée à investir 50 milliards de dollars sur trois ans pour développer un réseau d’énergie propre et des infrastructures vertes à travers le continent. Les médias officiels chinois ont présenté cette initiative comme une victoire à la fois pour la justice climatique mondiale et le développement de l’Afrique.
Mais à des milliers de kilomètres de là, dans les villes minières poussiéreuses de la République démocratique du Congo, cette promesse sonne creux.

Le cobalt se trouve souvent aux côtés du cuivre et de la malachite (ces pierres bleu-vert). Par conséquent, ces chaînes d’approvisionnement – ainsi que les risques qui leur sont associés – sont fréquemment étroitement liés. Image provenant de Flickr. CC BY-SA 2.0

Le continent africain détient une part importante des réserves mondiales de ressources naturelles. Son sous-sol recèle de grandes quantités de pierres précieuses et de minéraux tels que l’or, les diamants, le platine, le chrome, l’uranium, le cuivre, le coltan, le cobalt, et bien d’autres encore.

Sous la terre rouge du sud de la République démocratique du Congo se trouve plus de 70 % des réserves mondiales connues de cobalt — un minerai si essentiel aux batteries modernes qu’on le surnomme le « nouveau pétrole ». Le cobalt est en effet une ressource clé utilisée dans presque tous les appareils dotés de batteries lithium rechargeables, des smartphones et ordinateurs aux véhicules électriques et équipements industriels.
Au cours de la dernière décennie, les entreprises chinoises ont pris le contrôle de l’exploitation du cobalt en RDC, maîtrisant l’extraction, le traitement et l’exportation. Ce qu’elles laissent derrière elles : un paysage dévasté.

Une gamme de smartphones sortis en 2024. Le cobalt est un composant essentiel des batteries de téléphones portables. Image provenant de YouTube. Utilisée avec permission.

Outre le cobalt, la République démocratique du Congo fait face à de nombreux autres défis, notamment des décennies d’instabilité politique liées à son passé colonial et la violence alimentée par des groupes insurgés. Ces facteurs, associés aux conséquences environnementales de l’exploitation minière dangereuse et non régulée, rendent la vie particulièrement misérable dans certaines régions de la RDC.

Gestion des ressources en République Démocratique du Congo

Un réseau de “mines artisanales” où les habitants creusent pour extraire des minéraux à Rubaya, en République Démocratique du Congo. Photo prise par  MONUSCO PhotosCC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons.

Bien qu'étant le premier producteur mondial de cobalt, avec 70 % de la part de marché, l'exploitation de cette ressource mondialement rare ne bénéficie pas pleinement aux Congolais.

Le secteur est miné par le trafic illégal et la corruption. Certains Congolais gagnent leur vie grâce à l’exploitation artisanale du cobalt, où les travailleurs ne sont pas officiellement employés par une entreprise et extraient le minerai de manière indépendante, souvent à la main, pour vendre ensuite leur production à de plus grandes sociétés minières. Ces mineurs artisanaux se trouvent principalement dans des zones très reculées et isolées où le minerai est présent, tandis que la supervision de l'État est quasi inexistante, ce qui signifie que les protocoles de sécurité sont inexistants et que le travail des enfants est omniprésent.

Des enfants travaillant dans une “mine artisanale” en République Démocratique du Congo. Photo de Julien Harneis, prise à Goma, République Démocratique du Congo, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons

Dans l'une de ses publications, l’Institute for Security Studies (ISS) estime que de nombreuses entreprises minières présentes en République Démocratique du Congo, dont plus de 140 entreprises chinoises, sont impliquées dans ce trafic organisé et cette exploitation illégale :

En raison de l’instabilité du pays, de nombreuses sociétés étrangères titulaires de licences minières ne produisent pas elles-mêmes le cobalt, mais s’approvisionnent auprès des mineurs artisanaux. Environ 150 000 à 200 000 mineurs artisanaux exploitent les gisements de cobalt en RDC et un million de personnes dépendent de leurs revenus.

Les mineurs artisanaux représentent de 10 à 20 % des exportations de cuivre et de cobalt du pays, tandis que le reste de la production provient de sites industriels plus avancés, comme celui présenté ci-dessous.

Un site minier industriel en RDC. Image tirée de Flickr. CC BY-SA 2.0

La plupart des sites d'extraction de cobalt du pays appartiennent à des entreprises chinoises, et aujourd'hui, la Chine est responsable de 80 % de la production de cobalt raffiné de la République Démocratique du Congo. Cela est devenu le cas depuis septembre 2007, lorsque la RDC a signé un contrat de 9 milliards de dollars avec un consortium d'entreprises publiques chinoises pour construire l'infrastructure du pays en échange d'un accès privilégié aux minéraux et aux sites miniers. Le contrat incluait des taux d'intérêt élevés et un engagement de 3 milliards de dollars de la part de la RDC pour soutenir les investissements chinois. Bien que le contrat ait été révisé à la baisse à 6 milliards de dollars en 2009, avec des taux d'intérêt réduits et sans financement de l'État congolais, la Chine en est tout de même sortie gagnante.

De nos jours, de nombreux Congolais considèrent le contrat comme un accord à sens unique qui a largement bénéficié à l’ex-président Joseph Kabila Kabange (2001-2019) et à son gouvernement, plutôt qu'au peuple congolais. Un rapport de l'Inspection Générale des Finances (IGF) congolaises publié en février 2023 a dénoncé cette exploitation déséquilibrée et a mis en cause l'ancien gouvernement pour avoir bradé les précieuses ressources du pays :

Les entreprises chinoises ont déjà encaissé un gain évalué à près de 10 milliards de dollars américains, tandis que la République démocratique du Congo n’a bénéficié que de 822 millions de dollars en termes d’infrastructures. Le déséquilibre criant qui a été constaté, le bradage, la dilapidation de nos minerais constatés dans ce contrat a été également l’œuvre de fils égarés de notre pays, qui ont accompagné les entreprises chinoises dans cette œuvre macabre contre notre pays.

Incidents environnementaux majeurs

Selon Amnesty International et les groupes de surveillance environnementale, les sites miniers appartenant à des entreprises chinoises ont été liés à des déversements répétés de déchets toxiques, à la déforestation et à une contamination généralisée des eaux. Ces dernières années, au moins 14 incidents environnementaux majeurs ont été signalés près des opérations minières en RDC, y compris un effondrement de digue de résidus et des déversements d’acide dans des rivières utilisées par les communautés locales. Les opérations de nettoyage sont rares, et la responsabilité est encore plus rare.

Dans certaines régions, des villages entiers ont été évacués de force pour permettre l'expansion industrielle. Les personnes déplacées rapportent avoir subi des violences physiques, des violences sexuelles et des intimidations. « Nous n'avons pas été consultés. Un jour, ils sont venus avec des machines », se souvient une femme qui a perdu sa maison près de Fungurume dans un rapport d’Amnesty International. « Nous avons perdu nos maisons et nos champs. Quel genre d'énergie propre est-ce ? ». Les résidents qui restent signalent la pollution de leurs cours d'eau et des problèmes de santé dus aux déversements chimiques et à la pollution.

De retour à Pékin, les médias d'État chinois continuent de vanter ses mérites écologiques mondiaux, qualifiant la poussée du pays pour les énergies renouvelables de « cadeau pour l'humanité ». Des médias officiels comme Xinhua mettent en avant les projets de la Chine pour aider les nations africaines à construire des parcs solaires et des projets hydroélectriques.

Les médias d'État chinois, y compris les quatre principaux — Xinhua, People’s Daily, China Daily, et CCTV ainsi que sa branche internationale CGTN — se sont longtemps vantés de la capacité de la nation à investir et à se développer en RDC, ainsi que dans d'autres pays.

Une flotte de véhicules électriques. Image provenant de Flickr. CC0 1.0

Alors que la Chine déploie sa stratégie à travers son réseau d'influence composé de grandes entreprises minières en RDC et dans d'autres pays africains, elle affirme sa puissance énergétique et se positionne comme un leader mondial des énergies renouvelables et des véhicules électriques.

Cependant, un examen approfondi du côté chinois de cette narration révèle que les investissements visent à mettre en avant le rôle de l'État en tant que partenaire énergétique bienveillant, alors qu'en réalité, ses contributions sont descendantes, technocratiques, et largement déconnectées du bien-être quotidien des communautés congolaises.

Dans un article sur la coopération entre la Chine et l'Afrique, un chercheur de l'Université Tsinghua écrit :

尽管资源丰富……非洲大陆的能源贫困问题依然严重.

Malgré ses ressources abondantes, le potentiel de développement énergétique de l'Afrique n'a pas été pleinement exploité en raison des faiblesses de longue date de son infrastructure, du manque de technologie et des pénuries de financement.

L'article présente la pauvreté énergétique de l'Afrique comme un fossé technique plutôt que comme le résultat de pratiques extractives exploitantes. Il n'y a aucune mention de l'impact sur les communautés, des droits fonciers ou de la gouvernance participative — seulement un appel à davantage de capital et d'infrastructure. L'auteur poursuit :

中国在与非洲各国共同推动清洁能源务实合作的过程中,建设了一批技术先进、环境友好的能源项目,遍布非洲40余个国家和地区,涉及光伏、风电、水电、生物质能等多个领域,帮助非洲新增电力装机1.2亿千瓦,建设电网线路6.6万公里,显著增强了非洲的电力供应能力,有效促进了非洲的能源转型.

Dans le cadre de la promotion d'une coopération pragmatique sur les énergies propres avec les pays africains, la Chine a construit un certain nombre de projets énergétiques technologiquement avancés et respectueux de l'environnement dans plus de 40 pays et régions africains, couvrant les énergies solaire, éolienne, hydraulique et biomasse. Ces efforts ont permis d'ajouter 120 millions de kilowatts de capacité de production d'énergie installée et de construire 66 000 kilomètres de lignes de transmission d'énergie en Afrique, améliorant considérablement la capacité d'approvisionnement en électricité du continent et favorisant efficacement sa transition énergétique.

Alors que les entreprises chinoises créent de la pollution, de la déforestation et de la contamination de l'eau, elles sont étroitement surveillées par les populations locales ; cependant, cela est rarement discuté dans la sphère publique chinoise.

Les dommages environnementaux causés en Afrique par les investissements chinois restent l'un des tabous les plus ignorés dans la sphère publique chinoise — les médias n'en parlent pas, la société civile n'a pas accès aux données sur le sujet, et le public reste dans l'ignorance de la situation.

Lors du Sommet de Beijing sur la Coopération Chine-Afrique en septembre 2024, les responsables chinois et les médias d'État ont fait de grandes promesses pour soutenir le développement énergétique durable de l'Afrique. Cependant, peu d'attention a été accordée à la question de savoir si ces interventions bénéficieraient réellement aux communautés locales ou, au contraire, généreraient de nouveaux préjudices environnementaux et sociaux.

Président chinois Xi Jinping et des dirigeants venus de tout le continent posent lors du Forum de coopération Chine-Afrique de 2024 à Pékin. Image de la Présidence de la République du Bénin. Flickr. CC BY-NC-ND 2.0

Pour mieux comprendre les récits entourant la coopération Chine-Afrique en matière d'énergie propre, Global Voices a mené une petite recherche narrative en utilisant des mots-clés tels que « dommages environnementaux », « pollution » et « déforestation ».

Image de Global Voices. Utilisé dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

À travers une large gamme de médias gouvernementaux et affiliés à l'État chinois, on observe un schéma discursif constant : les défis complexes de durabilité sont systématiquement redéfinis comme des problèmes techniques ou financiers — mettant l'accent sur le capital, l'infrastructure et l'accès. En même temps, la dégradation environnementale et les impacts sociaux locaux sont minimisés ou totalement omis. Ces sources dépeignent massivement l'intervention chinoise comme bienveillante, transformative et bienvenue par les nations africaines, tandis que les critiques ou points de vue alternatifs sont notablement absents.

Par exemple, un article de Xinhua décrit le rôle de la Chine comme l'injection de « puissance verte » dans le développement de l'Afrique, mettant en avant plus de 100 projets d'énergie propre sans évoquer les effets secondaires écologiques. Le People’s Daily présente les projets solaires et hydroélectriques comme des étapes majeures du partenariat vert, tout en omettant toute mention de déforestation, de déplacements de populations ou de contrôle réglementaire. Un reportage de CCTV inclut les éloges du Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, sur la coopération Chine-Afrique, mais ne reconnaît pas les préoccupations des populations locales ou des défenseurs de l'environnement.

Pendant ce temps, les critiques selon lesquelles la Chine promeut les énergies fossiles en Afrique tout en adoptant une politique verte chez elle — soulevées par les médias internationaux — sont absentes du discours en langue chinoise.

Un autre exemple est que, malgré la gravité de l’affaire de déforestation illégale impliquant les entreprises chinoises COKIBAFODE et SCIFOR en République Démocratique du Congo, une recherche sur ces entreprises dans les médias en langue chinoise donne presque aucun résultat — pas un seul reportage d'investigation, ni même une mention sur les réseaux sociaux.

L'absence presque totale de couverture reflète l'environnement d'information étroitement contrôlé par Pékin, où les scandales pouvant ternir l'image de la Chine à l'étranger ou remettre en question son leadership écologique auto-proclamé sont censurés de manière délibérée. Les médias privés chinois sont soit privés d'accès, soit réduits au silence de manière préventive, tandis que les récits officiels étouffent toute dissidence potentielle, laissant le public chinois presque totalement ignorant de la destruction environnementale réalisée en leur nom.

Avec une telle négligence systématique et un silence médiatique, il n'est pas surprenant de constater que les autorités chinoises se concentrent uniquement sur les retours financiers et économiques des investissements. Les dommages environnementaux infligés aux communautés locales de la RDC ne figurent pas à l'agenda des responsables gouvernementaux chinois ni de celui des entreprises chinoises opérant dans la région.

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