Pressions vs principes : l'extradition d'Abdel-Rahman al-Qaradawi du Liban vers les EAU défraie la chronique

Capture d'écran de la vidéo d'Abdel-Rahman al-Qaradawi dans la mosquée des Omeyyades à Damas. Utilisée avec permission.

La décision du Liban d'extrader l'activiste et poète égypto-turc Abdel-Rahman al-Qaradawi vers les Émirats arabes unis (EAU) a été vivement critiquée par les organisations de défense des droits humains. Cette décision soulève des inquiétudes quant au respect par le Liban de ses obligations internationales en matière de droits humains, ainsi que sur les risques encourus par al-Qaradawi aux EAU.

Qui est Abdel-Rahman al-Qaradawi ?

Abdel-Rahman al-Qaradawi est un poète et militant politique égyptien connu pour ses prises de position fermes contre les régimes autoritaires du Moyen-Orient. Il est le fils de feu Yusuf al-Qaradawi, un éminent universitaire islamique et ancien leader spirituel du mouvement des Frères musulmans. Avant son arrestation, al-Qaradawi vivait en Turquie et détenait la nationalité turque. Au moment de la rédaction, son site Web est inaccessible.

En décembre 2024, al-Qaradawi a voyagé pour la Syrie afin de célébrer la chute du régime du président Bashar al-Assad. Au cours de son séjour, il a enregistré une vidéo depuis la mosquée des Omeyyades à Damas, dans laquelle il critique les autorités émiriennes, saoudiennes et égyptiennes. Cette vidéo, largement relayée sur les réseaux sociaux serait la cause de son arrestation. À son retour au Liban le 28 décembre 2024, il a été interpellé par les autorités libanaises au poste-frontière de Masnaa, suite à un mandat d'arrêt international délivré par le Conseil des ministres de l'intérieur arabes à la demande de l'Égypte. 

Demandes d'extradition par l'Égypte et l'EAU 

L'Égypte, suivie plus tard par les EAU , ont tous les deux soumis des demandes d'extraditions officielles concernant al-Qaradawi. D'après le quotidien libanais L’Orient-Le Jour , l'avocat d'al-Qaradawi,   Mohammad Sablouh, a déclaré que « les accords d'extraditions entre le  Liban et L'Égypte ne s'appliquent pas aux crimes à caractère politique, ni lorsque les auteurs de tels crimes risquent d'être torturés dans le pays requérant ». Il a ajouté que « de toute manière, les faits reprochés à Qaradawi remontent à 2017 et sont désormais prescrits en vertu du délai de prescription de cinq ans ».  

La demande d'extradition des EAU serait fondée sur le principe de réciprocité, aucun accord d'extradition officiel n'existant entre le Liban et les EAU.  Les autorités émiriennes ont invoqué les déclarations critiques  d'al-Qaradawi à l'encontre de leur gouvernement comme motif de leur enquête. 

Préoccupations et avertissements juridiques en matière de droits humains 

Des organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, se sont fortement opposées à l'extradition d'al-Qaradawi vers l'Égypte ou les EAU. Elles rappellent que, l'extrader constituerait une violation du principe de non-refoulement, lequel interdit le transfert des personnes vers des pays où elles sont exposées à de graves violations des droits humains, notamment la torture et la détention arbitraire.  Amnesty International souligne qu'al-Qaradawi sera exposé au « risque d'être victime d'une disparition forcée, d'actes de torture et de mauvais traitements » s'il est renvoyé en Égypte , et des risques similaires s'il est extradé vers les EAU. 

Sara Hashash, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International, a déclaré que « Cette affaire est un test quant à l’engagement des autorités libanaises en faveur du droit à la liberté d’expression. Elles doivent faire passer le respect des droits humains et des obligations découlant du droit international avant les liens politiques et les intérêts économiques ».

Critiques sur la souveraineté et les pressions extérieures 

Malgré ces mises en garde, le gouvernement libanais a voté, le 7 janvier 2025, l'extradition de Qaradawi vers les EAU. La décision a été mise en œuvre rapidement et al-Qaradawi a été remis aux autorités des EAU en quelques jours.  Ce processus accéléré a été critiqué pour son manque de transparence et de respect des procédures légales, remettant en cause l'engagement du Liban en matière de droits humains et d'indépendance judiciaire.

Les autorités libanaises doivent sans attendre rejeter les demandes d’extradition visant Abdul Rahman Al-Qaradawi déposées par les autorités égyptiennes et émiriennes. Le poète égypto-turc a été arrêté arbitrairement par les forces de sécurité libanaises à son retour d’un séjour en Syrie https://t.co/RLhZX1BCfU

— Amnesty MENA (@AmnestyMENA) 7 janvier 2025

La décision du gouvernement libanais a été perçue par beaucoup comme une capitulation face à la pression extérieure, en particulier celle des EAU. Les critiques soutiennent que cette extradition expéditive met à mal la souveraineté et l'indépendance judiciaire du Liban, créant ainsi un dangereux précédant pour les futurs cas impliquant des opposants politiques. L'absence de traité officiel d'extradition entre le Liban et les EAU ne fait qu'aggraver ces inquiétudes. 

Déclaration des autorités libanaises

Les autorités libanaises ont justifié l'extradition en invoquant les intérêts nationaux et les relations diplomatiques. Le Premier ministre Najib Mikati aurait déclaré que le maintien de liens solides avec les EAU constituait une priorité, insinuant que cette considération l'emportait sur les préoccupations liées au cas individuel d'al-Qaradawi. Cette position a suscité des critiques de la part des défenseurs des droits humains qui affirment que les relations diplomatiques ne devraient pas primer sur les obligations en matière de droits humains. 

Réactions sur les réseaux sociaux 

L'extradition a suscité de vives protestations sur les plateformes des médias sociaux. Des activistes, des journalistes et des citoyens inquiets ont exprimé leur consternation face à la décision du Liban. L'animatrice de la chaîne de télévision AlJazeera , Hayat El Yamani a écrit sur X :

Abdul-Rahman Al-Qaradawi est un poète qui s'était rendu en Syrie pour célébrer la libération de ce peuple, et qui est désormais arrêté au Liban, risquant d'être extradé vers l'Égypte en raison d'un mandat d'arrêt égyptien. Il a récemment été rapporté que le  Liban a accéléré les procédures pour remettre al-Qaradawi aux… pic.twitter.com/SHIoYGi003

— حياة اليماني🦌🇵🇸 (@HaYatElYaMaNi) 4 janvier 2025

Mohammad Mokhtar Al Shinqiti, un universitaire mauritanien et influenceur X a écrit :

La décision du sous-traitant #Mikati de livrer le poète révolutionnaire  #Abdulrahman_Yusuf_Al-Qaradawi aux Émirats constitue une injustice odieuse à son égard, et une insulte à la République turque dont il a utilisé le passeport pour entrer au #Liban, et au peuple syrien que le poète est venu féliciter pour sa brillante victoire face à la tyrannie, et une claque pour chaque personne libre de notre nation.. Cela ne peut être toléré. pic.twitter.com/tYqoLn1G5D

— محمد المختار الشنقيطي (@mshinqiti) 7 janvier 2025

Pendant ce temps, le compte X « Towards freedom », a posté sur X:

En quoi un poète constitue-t-il un danger pour la sécurité des Émirats? En quoi un poème met-il en péril la sécurité nationale? #Abdulrahman_Yusuf_Al-Qaradawi pic.twitter.com/etSIzwOIgD

— نحو الحرية (@hureyaksa) 8 janvier 2025

Cet incident survient dans un contexte de fortes tensions politiques au Liban. Le pays fait face à d'importantes pressions extérieures et menaces pesant sur sa souveraineté, notamment en lien avec les élections présidentielles du 9 janvier, au cours desquelles l'ancien général de l'armé, Joseph Aoun, a été élu par le Parlement, dans un climat marqué par des accusations d'ingérences américaines, françaises et saoudiennes. 

Risques potentiels auxquels serait exposé al-Qaradawi aux EAU

Aux EAU, al-Qaradawi risque d'être victime de graves violations des droits humains. Le pays est reconnu pour sa répression de toute dissidence, avec des témoignages de détention arbitraire, de torture, et de procès inique pour les militants politiques. Les organisations de défense des droits humains ont  exprimé de vives inquiétudes quant à la sécurité et au bien être d'al-Qaradawi, craignant qu'il ne soit soumis à des traitements inhumains et privé de toute procédure légale.

Ce cas pourrait créer un précédent inquiétant pour les futures extraditions, en particulier pour les personnes exposées à des violations des droits humains. Cela soulève également un enjeu plus vaste, celui de la souveraineté du Liban et de son respect des normes internationales en matière de droits humains dans le cadre de ses procédures d'extraditions. 

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