
Travailleurs du secteur de l'exportation du pétrole au port de Seme, au Bénin, brandissant des drapeaux du Bénin, de la Chine et du Niger. Image de la Présidence du Benin. Utilisation libre. CC BY-NC-ND 2.0
Après la découverte d'importantes réserves de pétrole sur le site d'Agadem au nord-est du Niger, le Niger et le Bénin ont convenu de construire un oléoduc pour faciliter le transport du pétrole brut du site pétrolier d'Agadem vers le port de Seme Kpodji, dans le sud du Bénin, au début de l'année 2020. Fin 2023, l'oléoduc de 1 980 km, avec neuf stations de réservoirs le long du parcours, était achevé.

.Carte de l'oléoduc qui s'étend de l'est du Niger à la côte du Bénin. Capture d'écran de YouTube.
Les travaux ont été financés et réalisés par la China National Petroleum Corporation (CNPC), l'une des principales compagnies pétrolières nationales de Chine, avec un coût estimé à 4,5 milliards d'USD. L'oléoduc a été opérationnel depuis le début de l'année 2024 et CNPC transporte actuellement environ 90 000 barils par jour, ayant des objectifs d'augmenter la production à 110 000 barils par jour.
Depuis le site d'Agadem au Niger, le pétrole est chargé sur des pétroliers chinois depuis le port de Cotonou au Bénin. Comme le montre cette publication sur le compte X du gouvernement béninois au moment du premier chargement :
🇧🇯🇳🇪 “The Benin-Niger pipeline is a giant project. We started loading the first vessel on May 17, 2024 at 6:30 pm and finished this Sunday, May 19, at 1 am with 1,000,000 barrels of crude oil on board. We are proud of the success of the operation.”
— Gouvernement du Bénin 🇧🇯 (@gouvbenin) May 19, 2024
🇧🇯🇳🇪« L'oléoduc Bénin-Niger est un projet géant. Nous avons démarré le chargement du premier navire le 17 mai 2024 à 18h 30 et nous avons fini ce dimanche 19 mai à 1h du matin avec 1.000.000 de barils de pétrole brut à bord. Nous sommes fiers du succès de l'opération » pic.twitter.com/YUO2LKt4Rh
— Gouvernement du Bénin 🇧🇯 (@gouvbenin) 19 mai 2024
Bien que toutes les parties concernées, notamment le Niger, le Bénin et la Chine, puissent tirer parti de cet oléoduc, les bénéfices ne sont pas répartis de manière équitable au sein de la société. Au Niger, les principaux avantages profitent principalement au régime militaire nigérien, tandis que de nombreux habitants des zones rurales et à faibles revenus rapportent que l'oléoduc a eu des effets négatifs sur leur quotidien.
Le Bénin, quant à lui, se présente comme un pays de transit, autorisant le passage du pétrole nigérien en échange des commissions qu'il reçoit de la Chine, soit plus de 300 milliards de francs CFA (plus de 495 millions d'USD) pour les 20 premières années d'exploitation. Au Bénin, le projet générera plus de 3 000 emplois.
Pour la Chine, le projet s'inscrit dans le cadre de son initiative « la Ceinture et la Route » (BRI),qui vise à étendre son influence par le biais de projets de développement dans les pays de la majorité mondiale. Grâce à cet investissement, la Chine gagne sur plusieurs fronts, notamment l'accès à une grande réserve de ressources pétrolières, des revenus substantiels et une présence économique plus forte en Afrique.
Cependant, la construction d'un oléoduc de cette envergure – le plus long d'Afrique – a causé des dommages collatéraux en cours de route. Les populations locales des communautés, des villages et des villes situés le long du tracé de l'oléoduc n'ont pas encore bénéficié économiquement du projet et sont confrontées à une destruction de l'environnement qui peut avoir des répercussions à long terme sur leurs moyens de subsistance.
Impact environnemental sur les populations locales
Selon les témoignages des membres des communautés vivant le long du tracé de l'oléoduc, ainsi que des travailleurs qui ont participé au projet au Niger, l'installation de l'oléoduc a entraîné l'abattage d'arbres et des dommages à la biodiversité. Cela a eu un impact considérable sur les populations locales, en particulier sur les agriculteurs et les éleveurs qui ont vu leurs terres disparaître à cause de la construction. Une ancienne autorité communale explique à Global Voices via WhatsApp :
There are about ten villages crossed by the pipeline. The pipeline passes through the various fields of these farmers. The direct negative impact is land degradation. Farmers are sowing, but the crops are no longer growing. Environmental pollution is palpable. The green spaces where herds used to graze are disappearing.
Environ une dizaine de villages sont traversés par l'oléoduc. Il a également traversé les différents champs de ces paysans. On remarque l’impact négatif direct qui est la dégradation des terres. Les paysans sèment, mais les récoltes ne sont plus au rendez-vous. La pollution de l’environnement est palpable. Les espaces verts où les troupeaux allaient pour brouter de l'herbe disparaissent.
En raison de la situation sécuritaire complexe au Sahelated security, certains professionnels des médias et ONG de la région restent muets sur des sujets sensibles par peur. Dans ce contexte, les organisations environnementales au Niger ont, pour la plupart, choisi de ne pas s’exprimer sur la situation. Elles justifient leur silence par plusieurs raisons, notamment la sensibilité du sujet et les enjeux liés à la sécurité, qui compliquent toute prise de position sur les impacts environnementaux du projet.

L'oléoduc Niger-Bénin traversera des paysages variés, notamment les savanes, les forêts, les marécages et le littoral béninois. Toutes les images sont sous licence CC BY-SA 4.0 et 2.0. Réalisées par Global Voices via Canva.
Du côté béninois, une étude d'impact environnemental réalisée par Agence béninoise de l'environnement (ABE) au début du projet a mis en évidence la diversité des écosystèmes et des communautés qui seraient impactés :
(…) Il traverse plusieurs écosystèmes très diversifiés constitués de savane arborée, savane boisée, forêts claires et denses, de plans et cours d'eau, de marécages et spécifiquement deux domaines protégés (forêt de Gougoun et forêt de Dogo) et de zone côtière. La construction et l‘exploitation de l'oléoduc sur le territoire du Bénin impactera plus de 602 148 habitants dont 50,5 % sont des femmes réparties dans 136 villages et quartiers.
(…) It crosses several highly diversified ecosystems consisting of wooded savannah, open and dense forests, water bodies and streams, swamps, and specifically two protected areas (Gougoun forest and Dogo forest) and coastal zones. The construction and operation of the pipeline on Benin territory will impact more than 602,148 inhabitants, 50.5 percent of whom are women, spread across 136 villages and neighborhoods.

Partie de l'oléoduc Niger-Bénin en construction. Capture d'écran YouTube.
Dans ce contexte, Joséa Dossou Bodjrenou, présidente du Comité national de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) au Bénin, explique à Mongabay comment l'oléoduc a réduit la biodiversité dans la région :
Des mammifères, plusieurs oiseaux ainsi que des reptiles font partie des espèces menacées. La biodiversité connaîtra également une régression du fait du déplacement de l’habitat, de la fragmentation des forêts et de la déforestation.
Mammals, several birds, and reptiles are among the threatened species. Biodiversity will also decline as a result of habitat displacement, forest fragmentation, and deforestation.
Dans son rapport préliminaire, l'EBA a également noté que le projet a entraîné la perte de plus de 1 900 000 arbres et continuera de générer une pollution et des déchets importants. Parmi les risques figurent :
Soil degradation and pollution; Pollution from crude oil leaks, ruptures, and/or spills; pollution from effluent from stations in water bodies and watercourses; Production of 73.5 tonnes of solid waste during the operating phase and 637 tonnes during the construction phase; destruction of cultural heritage by pipeline construction and siting activities.
Dégradation et pollution des sols ; pollution due aux fuites, ruptures et/ou déversements de pétrole brut ; Pollution des plans d'eau et des cours d'eau par les effluents des stations ; production de 73,5 tonnes de déchets solides pendant la phase d'exploitation et de 637 tonnes pendant la phase de construction ; destruction du patrimoine culturel par la construction et l'implantation de l'oléoduc.
Si la Chine reste un acteur clé dans le développement et l'exploitation de cet oléoduc, elle est moins impliquée dans l'atténuation des impacts sur les populations locales.
En ce qui concerne les indemnisations, Félix Bandjou, chef du village de Kraké Daho, situé dans le sud-est du Bénin, a déclaré à Mongabay que le gouvernement béninois avait offert aux victimes dont les terres ont été confisquées une indemnité de 2 350 FCFA (moins de 4 USD) par mètre carré.
Comment la Chine atténue-t-elle ce problème ?
How is China mitigating the issue?
L’entreprise chinoise a-t-elle reconnu sa part de responsabilité dans les dommages environnementaux subis par les populations locales ? Un décalage frappant se dessine entre les récits véhiculés par les médias d'État chinois et la réalité vécue sur le terrain. Tandis que les communautés locales au Niger et au Bénin font face à la dégradation des terres, à la déforestation et à la pollution, la presse chinoise met en avant les avancées économiques et les prouesses techniques du projet, reléguant au second plan ses impacts environnementaux et sociaux.
2021年7月25日,尼日尔-贝宁原油外输管道(尼日尔)项目试验段在尼日尔境内津德尔地区打火开焊,全长70公里。试验段开工以来,管道局在西非原油管道(尼日尔)股份有限公司业主的大力支持下,充分发扬“八三”精神和管道优良传统,面对雨季,沙尘,酷暑,蚊虫等自然环境带来的压力,项目部多次召开专题讨论会,制定出了一系列行之有效的管理办法。
On July 25, 2021, welding began on the trial section of the Niger-Benin Crude Oil Export Pipeline (Niger) Project in the Zinder region of Niger. The section spans 70 kilometers. Since breaking ground, and with strong support from the project owner, the West African Oil Pipeline (Niger) Company Limited, the construction team has upheld the hardworking tradition of the pipeline industry. Despite the challenges posed by the rainy season, sandstorms, extreme heat, and insects, the project team held a series of focused planning meetings and implemented effective management strategies.
Le 25 juillet 2021, les travaux de soudage ont débuté sur la section d’essai du projet d’oléoduc d’exportation de pétrole brut Niger-Bénin, dans la région de Zinder, au Niger. Cette section couvre une distance de 70 kilomètres. Depuis le lancement du chantier, et grâce au soutien constant du maître d’ouvrage, la West African Oil Pipeline (Niger) Company Limited, l’équipe de construction s’inscrit dans la tradition de rigueur et d’engagement propre au secteur des oléoducs. En dépit des défis posés par la saison des pluies, les tempêtes de sable, la chaleur accablante et la présence d’insectes, l’équipe projet a su faire preuve d’efficacité en organisant des réunions de planification ciblées et en mettant en œuvre des stratégies de gestion adaptées.
Un autre article, « Un navire transportant un million de barils de brut Nigérien prend enfin la mer — Signe des capacités croissantes de médiation de la Chine » (载百万桶尼日尔原油船只终于出港!“中国调解技能不断提升”), publié le 21 mai 2024 par le célèbre média nationaliste Guancha Network, présente un récit similaire.
De même, le principal investisseur, CNPC, a rarement abordé les conséquences environnementales de son projet. Ce communiqué de presse de CNPC, par exemple, présente l'oléoduc Niger-Bénin comme une réalisation monumentale, célébrant la capacité de l'entreprise à affronter des conditions désertiques difficiles, des températures extrêmes et une logistique transfrontalière complexe. Pourtant, il ne mentionne pas l'impact sur les écosystèmes locaux, les communautés déplacées ou la perte de terres agricoles. L'article présente l'oléoduc comme un symbole des prouesses technologiques et économiques de la Chine, renforçant ainsi le discours de « coopération gagnant-gagnant » qui caractérise les projets de la BRI.
La plupart des reportages et articles de presse en chinois qui parle des projets au Niger et au Bénin aboutissent à des résultats quasiment identiques. Les bénéfices pour les communautés et les populations locales sont totalement passés sous silence, sans parler de problématiques comme la déforestation et son impact sur l'écologie locale.