
Exposition de plusieurs parutions de presses écrites du Cameroun ; Capture d'écran de la chaîne YouTube de France 24
Partout dans le monde, la liberté de presse est en grande difficulté. Le classement 2025 de l'organisation Reporters sans frontières confirme cette chute globale, mais qu'en est-il des pays d'Afrique francophone?
Le 2 mai 2025, Reporters sans frontières (RSF) a rendu public son classement sur la situation de la liberté de presse dans le monde. Le rapport de cette année note une fragilisation économique, rendant très difficile la liberté de presse. Cela s'ajoute aux multiples pressions politiques déjà relevées par le rapport RSF de 2024.
En 2025, la situation empire nettement en Afrique subsaharienne, surtout dans l'espace francophone. Aux menaces et pressions politiques s'ajoute comme dans le reste du monde une vulnérabilité économique des groupes de médias.
Instrumentalisation du moteur économique
Les presses indépendantes se font de plus en plus rares en Afrique en général. Principalement parce que la survie de la majorité des médias dépend des revenus publicitaires souvent concentrés aux mains de structures qui sont à la solde de l’État.
Ainsi le Togo recule en un an de la 113e à la 121e place dans le rapport RSF. Dans ce contexte de précarité, à l'occasion de la journée internationale de la liberté de presse, célébrée le 3 mai,
[…] la presse privée dans notre pays est à genoux. […]L’économie médiatique, bien qu’à l’étape embryonnaire, s’effondre déjà, et avec elle, la dignité de la profession.
Des journaux sont contraints de mettre la clé sous la porte. Ceux qui tiennent encore provisoirement debout, sont caractérisés par des parutions irrégulières. Les rédactions végètent dans la précarité. Entre vulnérabilité économique, fiscalité agressive, aide publique insuffisante, répression larvée et fracture numérique, les médias privés togolais semblent laissés pour compte. Pourtant, ils remplissent une mission d’intérêt général. Rien ne saurait justifier la décision de les soumettre aux mêmes régimes fiscaux que les entreprises commerciales ordinaires.
Le Bénin connaît aussi un léger recul: de la 89e à la 92e place cette année. Dans un entretien accordé au média Afrik.com, RSF indique que la presse béninoise fait face à une forte ingérence politique. Dans son rapport 2025, l'organisme estime également que le gouvernement béninois a une emprise économique sur les médias. Ceci s'explique par la manière dont les contrats publicitaires sont attribués aux médias, comme l'explique le rapport:
Le paysage médiatique est marqué par l’absence de grandes entreprises de presse. La plupart des médias ne sont pas viables et sont confrontés à l’étroitesse du marché publicitaire. Le gouvernement utilise régulièrement son pouvoir sur l’attribution des contrats publicitaires pour en priver certains médias critiques.
Le Cameroun recule d'une place: de la 130e à la 131e en 2025. Face à des conditions de travail précaires, il est difficile pour les journalistes camerounais d'envisager une carrière professionnelle. Une thèse de doctorat d'Hervé Tiwa, en février 2025, à l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic) de Yaoundé au Cameroun le confirme. Son mémoire intitulé « Presse écrite, management médiatique et construction de la précarité des journalistes au travail : une analyse socio-économique des entreprises à capitaux privés au Cameroun » dresse un bilan très inquiétant, selon le site Le quatrième pouvoir :
(…) la réalité économique du secteur est préoccupante. Les difficultés sont multiples : coûts de production élevés, réseaux de distribution défaillants, salaires irréguliers voire inexistants. Cette situation précaire affecte profondément la dignité des journalistes et la qualité de l’information.
Cette tendance n'épargne pas la Mauritanie, pourtant décrite comme la plus libre par RSF en Afrique en 2024. De 33e au niveau mondial, elle passe à la 50è place en 2025; la dégringolade est palpable. Le pays perd ainsi 17 places et le quotidien des reporters mauritaniens, en particulier des journalistes d'investigation, est marqué par violation et menaces.
La Côte d'Ivoire chute aussi de la 53e à la 64e place ; Madagascar recule aussi de 13 places, du 100è rang au 113è rang en 2025 ; et le Tchad passe de la 96e à la 108e place en 2025.
Dans les pays en situation de conflit, les médias sont d'autant plus décimés. La République démocratique du Congo (RDC) perd dix places, devenant 133e. La récente recrudescence des violations dues à la guerre au Nord-Kivu, dans l'Est du pays assène un coup dur aux médias et journalistes qui sont obligés de mettre la clé sous la porte pour sauver leurs vies.
Pays sous régime militaire
De nos jours, l'Afrique compte au moins cinq pays sous régime militaire, dont quatre sont dans l'espace francophone de l'Afrique de l'ouest et au Sahel central. Il s'agit de la Guinée, du Burkina-Faso, du Mali et du Niger.
De la 78e place en 2024 à la 103e place en 2025, la Guinée connaît une chute radicale au classement en perdant 25 places. Cette position témoigne de l'hostilité affichée de la transition militaire envers la presse. Les professionnels de médias paient un prix fort, en devenant victimes d’agressions, d’arrestations arbitraires et de menaces de mort.
Le Burkina Faso perd 19 places: 105e cette année alors qu'il était 86e en 2024. Le Mali perd ainsi 5 places au classement. Le Niger chute de trois place au classement. Depuis l'arrivée des militaires au pouvoir, les menaces, attaques et détentions sont monnaie courante. Dans ces trois pays francophone du Sahel sous régime militaire, l'instabilité politique, les risques d'insécurité liées à la présence des groupes armés ne donnent aucune garantie de sécurité aux journalistes.
Deux exceptions: le Gabon et le Sénégal
Si la région Afrique affiche la plus grande détérioration des conditions de libertés de presse, il reste deux notes d'espoir. Placé sous un régime de transition qui vient de connaitre sa fin avec l'élection d'un nouveau président, le Gabon, classé 56e en 2024, fait un bon significatif et se retrouve à la 41e place, devenant ainsi le pays africain francophone le mieux placé au classement.
Le Sénégal, 74e dans ce classement 2025 de RSF, fait office de bon élève en gagnant 20 places, en comparaison à sa 94e place en 2024. Cette évolution est le fruit de réformes entreprises par le régime de Bassirou Diomaye Faye, depuis son ascension au pouvoir en avril 2024. Toutefois dans ce pays, les entreprises de médias font face à des contrôles fiscaux comme le souligne RSF dans son rapport.
La République Centrafricaine, pour sa part, a aussi connu un bon de quatre places, quittant son 76e pour être 72e cette année.
Globalement, le classement 2025 de RSF tire une sonnette d'alarme car si rien n'est fait, l'indépendance des médias ne sera plus qu'une illusion.