En Guinée, le retrait des permis de recherches aux sociétés minières cache un laxisme dans les procédures d'attribution

En image, un site minier en République de Guinée ; capture d'écran de la chaîne YouTube de RFI

En Afrique, la Guinée fait partie des pays disposant de vastes ressources minières, en particulier la bauxite ( 2e producteur mondial), l'or, les diamants, le fer, le graphite, le nickel.

Mais la mauvaise gouvernance de ces richesses naturelles empêche une redistribution des ressources qui pourrait contribuer au développement de ce pays d'une population de plus 15 millions d'habitants et classé en juillet 2023 parmi les pays à revenu intermédiaire. Le pays est dirigé par un régime militaire depuis le coup d’État du 5 septembre 2021.

Pour mieux comprendre les défis du secteur minier du pays, Global Voices s'est entretenu, via Whatsapp, avec Amadou Bah, Directeur exécutif de Action mines Guinée et membre de l’Initiative pour la Transparence des les Industries Extractives (ITIE)- Guinée.

Jean Sovon (JS): Comment se présente aujourd’hui la gouvernance minière en Guinée?

Amadou Bah (AB) : Il faut dire que nous avons un code minier, un code de l'environnement, avec des institutions qui ont parfois du mal à bien jouer leur rôle, notamment au niveau du suivi des engagements des entreprises sur le plan social, environnemental, et également sur le plan de l'exécution, de la planification des différents projets miniers. Nous avons un secteur minier qui impacte positivement les revenus de l'État, parce que le secteur minier représente 78% des exportations du pays, 32% des recettes du pays, et environ 22% du produit intérieur brut. Donc, c'est le pilier central de l'économie de la Guinée.

JS: Quel est le pourcentage réservé aux entreprises nationales dans l’exploitation des ressources minières en Guinée?

AB: Il n'y a pas un pourcentage défini dans l'exploitation minière en tant que tel pour les entreprises locales. Il y a un petit quota prévu dans le code minier, notamment à l'article 107, 108 et 109 qui prévoient le niveau d'emploi des Guinéens dans le cadre du programme de guinéisation des emplois, mais également des pourcentages qui sont prévus en termes de contractualisation avec des entreprises locales appartenant ou contrôlées par les Guinéens. Mais on a du mal à faire l'évaluation de cela dans le cadre du contenu local. C'est un processus en cours parce que le pays manque de compétences techniques au niveau des entreprises du secteur privé local qui est balbutiant.

JS: Les autorités militaires annoncent le retrait des permis de plusieurs sociétés. Comment l’appréciez-vous?

AB : Le retrait des titres miniers des sociétés est une opération régulière, c'est le fruit d'un suivi fait par le gouvernement par rapport au respect de la planification des entreprises, au respect des obligations que ce soit environnementales, sociales ou financières dévolues aux entreprises dans le cadre de leur permis. C'est une opération qui vise à nettoyer le cadastre des entreprises qui ne respectent pas leurs engagements.

Tout cela est normal, mais il faut questionner la procédure d'attribution des licences en Guinée. Comment on attribue ces titres à ces entreprises. Est-ce que ces entreprises respectent les conditions définies dans la procédure cadastrale? Est-ce que les entreprises ont la compétence technique de mettre en valeur les permis pour lesquels elles ont souscrit?

Il y a parfois un laisser-aller dans le cadre de l'attribution des titres, ce qui fait que des titres qui ont été attribués il y a deux ou trois ans, on est obligé de les retirer parce que l'évaluation préalable des conditions n'avait pas été sérieuse, c'est ce qui implique en quelque sorte une réforme des conditions d'attribution des titres milliers pour durcir ces conditions et les rendre transparentes au profit du développement du secteur minier.

JS: Cette décision peut-elle  contribuer à l'assainissement du secteur?

AB : Oui, cette décision va bien sûr mettre la pression sur les entreprises dont les permis n'ont pas été retirés pour les sommer d'aller rapidement vers l'exploitation. Il faut renforcer les capacités et la réactivité des structures de contrôle, mais également faire de sorte qu'il y ait beaucoup plus de transparence.

Par exemple, en mettant en œuvre l'exigence 2.5 de la norme ITIE qui voudrait que la Guinée élabore et adopte une loi sur la propriété effective, notamment qui permet d'éviter que des personnes proches du pouvoir ou encore des personnes politiquement exposées ne puissent souscrire et obtenir des permis miniers. Ceci est interdit par le code minier, notamment en ses articles 8 et d'autres articles.

En tant que structure de la société civile, nous avons commencé ce combat en 2017, et avons élaboré un projet de loi que nous avons soumis au gouvernement en 2023. Mais le gouvernement y oppose un refus catégorique. Il y a un manque de volonté à ce niveau pour aller vers l'adoption d'un tableau de bord où on peut connaître les noms des personnes qui sont derrière les entreprises évoluant en Guinée.

JS: Il y a t-il des sociétés minières chinoises en Guinée?

AB: Actuellement, nous avons des entreprises chinoises, russes, américaines, canadiennes, anglaises, australiennes, d'Émirats Arabes Unis qui évoluent en Guinée. Mais nous avons de nombreuses entreprises minières chinoises qui exploitent la bauxite, le fer et un peu l'or. Les entreprises chinoises ont l'habitude d'avoir des accointances avec l'élite politique des différents pays, et la Guinée ne fait pas exception.

Ces entreprises ont une culture entrepreneuriale basée sur les principes du communisme. Elles communiquent moins, interagissent moins avec les communautés, la société civile ou encore les médias. Ce sont des entreprises qui n'acceptent pas le dialogue, à quelques exceptions près. Il faut aussi comprendre que ces entreprises n'ont souvent pas de normes en matière de respect de l'environnement ou encore de droits humains.

C'est aux États qui les accueillent de leur imposer ces normes. En Guinée, on tente tant bien que mal de leur imposer ces normes, mais par faute de suivi rigoureux, il y a beaucoup de plaintes des communautés dénonçant des mauvaises pratiques de gestion en termes d'ESG (Environnement, Social et Gouvernance). 

JS: Quels sont les impacts sur la population? 

AB: La pollution, et les expropriations avec des compensations mal faites parce que la Guinée n'a pas encore une norme nationale contraignante en matière de compensation et de réinstallation. Nous menons un combat depuis 2018 pour que le gouvernement adopte un document qu'on a appelé le référentiel national sur les compensations, l'indemnisation et la réinstallation des communautés impactées par les projets. Jusqu'à présent, on a du mal à faire valider ce document.

Chaque entreprise utilise sa propre norme ou des normes parfois qui violent les droits fonciers légitimes des communautés, de fait le droit à la subsistance, à la vie, à un environnement sain. Les sociétés minières chinoises ne font pas exception parce que l'État guinéen n'a pas pour le moment voulu mettre en œuvre une norme qui constitue une base légale pour l'ensemble des entreprises.

JS: peut-on parler de solutions pour remédier à ces dégâts? 

AB: Le gouvernement doit engager des réformes institutionnelles allant dans le sens des renforcements de capacités des structures en charge de suivi et de l'évaluation des impacts environnementaux, notamment l’Agence guinéenne d'évaluation environnementale. L'évaluation environnementale devrait être beaucoup plus répressive en termes de sanctions vis-à-vis des entreprises qui ne respectent pas les normes environnementales et sociales. Il faut également renforcer la transparence et le dialogue, la concertation avec l'ensemble des parties prenantes pour pouvoir gérer les impacts ensemble et se faire des projections en termes de réformes pour corriger les imperfections.

Il faudrait également que le gouvernement s'ouvre à des propositions des acteurs non étatiques, et que les entreprises établissent des cadres de concertation pour pouvoir mieux discuter des impacts et de comment les gérer.

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