
Délégués à la conférence sous-régionale sur la dénonciation et la protection des dénonciateurs en Afrique de l'Ouest. Photo de moi. Image utilisée avec permission.
Les 26 et 27 novembre, la toute première conférence sur la dénonciation et la protection des lanceurs d'alerte en Afrique de l'Ouest s'est tenue à Abuja au Nigeria, autour du thème : « Réduire la corruption en Afrique de l'Ouest : l'importance d’une loi sur la dénonciation et la protection des lanceurs d'alerte ». La conférence, organisée par le Centre africain en faveur de l'éducation aux médias et à l'information (AFRICMIL), a réuni les délégués du Réseau des institutions de lutte contre la corruption en Afrique de l'Ouest (NACIWA), les acteurs clés de la société civile, les médias, la sécurité, les forces de l’ordre et les organisations de lutte contre la corruption, les agences gouvernementales et diverses organisations internationales de développement.
Dans toute l'Afrique, la corruption reste un obstacle majeur au développement, sapant les institutions démocratiques, ralentissant la croissance économique, contribuant à l'instabilité gouvernementale et alimentant le crime organisé et l’insécurité généralisée. Selon l’Indice de perception de la corruption (IPC) 2023, la plupart des pays africains peinent à progresser en matière de lutte contre la corruption.
L'ordre du jour portait sur des questions urgentes liées à la lutte pour la protection des dénonciateurs, y compris un discours principal sur l'effet de la corruption sur la croissance économique et les processus démocratiques en Afrique de l'Ouest, une présentation sur l'expérience régionale en matière de dénonciation et de protection des témoins, et des discussions en groupe sur les protections des dénonciateurs.
Le rôle de la dénonciation dans la lutte contre la corruption
En 2001, lors de la session de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement tenue à Dakar, la Communité économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a adopté le Protocole sur la lutte contre la corruption— un ensemble de stratégies visant à prévenir, réprimer et éradiquer la corruption dans la région. Les militants ouest-africains poursuivent ce combat et espèrent renforcer la protection des lanceurs d'alerte.
S'exprimant lors de la conférence, Kole Shettima, directeur pour l'Afrique de la Fondation MacArthur, a déclaré :
La dénonciation est l'un des principaux instruments qui peuvent être utilisés pour améliorer les mécanismes de responsabilité dans notre région. La lutte contre la corruption nécessite différents outils et la dénonciation est certainement l'un d'entre eux. Il incombe aux citoyens de dénoncer les délits et nous avons vu de nombreuses personnes dénoncer de nombreuses pratiques de corruption.
Bien sûr, la politique de protection de dénonciateurs, comme nous le savons, a ses défis, et je pense que l'un des principaux défis constatés au fil des ans porte sur la protection. Nous savons qu'un certain nombre de personnes ont été victimisées pour avoir dénoncé certaines personnes ayant commis des actes répréhensibles au sein de leur ministère ou de leur institution, et du coup la question de la protection est certainement un facteur essentiel.
En août 2024, Wale Edun, ministre des Finances du Nigeria, a déclaré que le gouvernement avait lancé des opérations d'infiltration qui ont permis de récupérer 609 millions USD, 83 milliards NGN (52,5 millions USD) et 5 millions EUR (5,3 millions USD), respectivement, grâce à sa politique de dénonciation.
La situation critique des lanceurs d'alerte
Joseph Ameh, un architecte qui a travaillé comme chef de la division de la planification physique au Federal College of Education dans l'État du Delta, au Nigeria, a expliqué l'épreuve qu'il a vécue après avoir dénoncé la corruption. Il a déclaré à Global Voices :
La procédure régulière n'a jamais été respectée lors de l'engagement des travailleurs. Des charlatans ont été engagés pour réaliser des projets. À un moment donné, un bâtiment s'est effondré. Tout mon combat a consisté à protéger le public du danger et le combat secondaire a porté sur l'effet économique des pratiques de corruption. En effet, lorsqu'un projet est attribué, il est généralement gonflé à l'excès. Avant même que le projet ne commence, ils retirent environ la moitié de la somme du contrat [pour] eux-mêmes. En octobre 2019, j'ai écrit à la Commission indépendante des pratiques de corruption (ICPC). Ils ont envoyé une lettre à l'institution où je travaillais et peu de temps après, mon calvaire a commencé. J'ai été menacé, licencié et suivi dans des véhicules. On m'a même proposé des chèques de plusieurs millions que j'ai rejetés.
Un autre lanceur d'alerte Ntia Thompson, a subi le même sort : licenciée pour avoir dénoncé des fraudes présumées au ministère nigérian des Affaires étrangères en 2016, a été réintégrée par la suite grâce à un plaidoyer soutenu de la part de groupes
Le coordinateur d'AFRICMIL, Chido Onumah, dont l'organisation a défendu les dénonciateurs dans le cadre de son projet corruption anonyme, a souligné la nécessité de les protéger contre les représailles lors d'un entretien avec Global Voices.
Les dénonciateurs sont confrontés à toutes sortes de représailles allant de la stigmatisation et de la discrimination au licenciement, en passant par des sanctions pénales et, dans les cas extrêmes, la mort, pour avoir osé entreprendre ce qui est manifestement une action consciente et délicate. Cela fait des dénonciateurs des espèces en voie de disparition, pour ainsi dire. Et nous sommes tout à fait d'accord avec la Commission de la CEDEAO pour dire que l'un des meilleurs moyens de les protéger est que les États membres fournissent un cadre juridique complet, par le biais de la législation sur la dénonciation, pour la divulgation d'informations et la protection contre toute mesure de rétorsion résultant de la divulgation d'informations.
La nécessité d'une protection des dénonciateurs
En juillet 2016, la commission de la CEDEAO s'est réunie à Cotonou, Bénin, et a renforcé ses efforts régionaux de lutte contre la corruption en dévoilant la stratégie et le plan d'action de la CEDEAO pour la protection des dénonciateurs. L'objectif principal de la stratégie de protection des lanceurs d'alerte est d'encourager les États membres à adopter une loi pour protéger les lanceurs d'alerte d'intérêt public afin de réduire la corruption et de renforcer la transparence et la responsabilité en Afrique de l'Ouest.
Le professeur Etannibi E. Alemika, criminologue et expert en sécurité et en gouvernance du secteur de la justice pénale, a appelé, dans son discours d'ouverture, à l'adoption d'une législation plus stricte en matière de protection des dénonciateurs dans toute l'Afrique de l'Ouest afin de lutter contre la corruption. Il a déclaré :
Nous avons besoin d'une législation complète qui garantisse l'anonymat, la protection contre la victimisation et, le cas échéant, la réinstallation des dénonciateurs et de leurs familles.
Chido Onumah, coordinateur d'AFRICMIL, a noté que « sur les 15 pays qui composent la CEDEAO, seul le Ghana dispose d'une loi sur la protection des dénonciateurs. Ce n'est pas une bonne publicité pour la CEDEAO, dont la région est constamment mal classée dans l'Indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency International et dont la majorité des pays membres sont toujours considérés comme les pays les plus corrompus au monde. »