
L'artiste togolais Aamron ; Capture d'écran du clip “Vérité” de la chaîne YouTube d’Aamron Officiel
L'arrestation d'un artiste pour son indignation contre la mauvaise gouvernance et l'injustice sociale soulève de sérieuses inquiétudes sur le droit à la liberté d'expression au Togo.
De son vrai nom Tchala Essowè Narcisse, Aamron est un artiste togolais connu pour son style de rap hardcore dans l'arène musicale locale et qui n'hésite pas à parler de questions sociales. En mai 2019, l'artiste produit une vidéo pour sa chanson “Vérité“, dans laquelle il met en lumière le chef d'une communauté qui abuse de son pouvoir et manipule ses citoyens. Cette dernière sortie musicale donne une nouvelle tournure à la carrière de l'artiste. Voici le lien de sa vidéo “Vérité“:
En légende de cette vidéo, Aamron écrit:
Apolitique Mais Humain
la mise en scène faite dans cette vidéo ne fait que refléter le fonctionnement de nos différentes sociétés depuis que le MONDE est monde. Nous n'avons rien contre PERSONNE. NOUS défendons juste des PRINCIPES UNIVERSELS. EN VÉRITÉ tout n'est que VANITÉ.
Renonçons, comme l'a fait le ROI CIVILISATEUR à la fin de cette vidéo, aux MASQUES des FAUSSES VALEURS, aux RITUELS des FAUSSES CROYANCES, à la course aux FAUX pouvoir et partons COURAGEUSEMENT, à la quête du VÉRITABLE POUVOIR…DIEUpuisse cette vidéo ouvrir à des milliers, LA VUE!
Un engagement contre un système qui perdure
Depuis fin 2024, Aamron multiplie ses prises de parole publique pour dire haut ce que de nombreux Togolais pensent très bas et vivent au quotidien: un abus de pouvoir d'un clan minoritaire dans un pays dont la population ploie sous le poids de la misère. Ce que confirme d'ailleurs le rapport d'une étude d’Afro Barometer publié en 2024 où les Togolais déplorent la situation économique du pays.
Dans des vidéos, publiées sur son compte social Facebook, l'artiste interpelle les gouvernants et dénonce les abus de pouvoir. Sur le réseau Tiktok, dans des vidéos en live publiées régulièrement sur son compte Aamron Officiel, l'artiste expose ouvertement et sans langue de bois ses positions critiques à l’égard du gouvernement de Faure Gnassingbé, président du Togo pendant 20 ans (2005-2025) et Président du Conseil de la République (la plus haute fonction selon la constitution de la 5è république) depuis le 3 mai 2025. Le 29 mai, le média togolais Plume d'Afrique publie un article dans lequel il cite l'artiste :
…le rappeur s’est distingué de ses collègues à travers ses sorties tonitruantes à l’encontre du régime en place. Depuis quelques mois, sur les réseaux sociaux, il s’est lancé dans une aventure d’éveil des consciences de la jeunesse togolaise, en décortiquant l’actualité sociopolitique et la gestion de son pays le Togo, qu’il qualifie de « calamiteuse ».
Alors qu'il multiplie ses appels incessants – à retrouver dans ses vidéos sur sa page Facebook – à la jeunesse pour une mobilisation nationale qui semble-t-il, irritent le gouvernement, Aamron est arrêté dans la nuit du 26 mai 2025 à son domicile à Lomé. L'information est rapidement relayés dans les médias togolais.
Soutien et appels à la libération
Le premier soutien à l'artiste lui vient de sa famille. Quelques heures après l'arrestation, sa fille publie une vidéo qui a été relayé par un compte au nom de Draufgängerisch sur X:
La fille d'Aamron, 14 ans, prend la parole. https://t.co/tWTQrhVkkq, où est donc passé votre courage ?#FreeTogoNow pic.twitter.com/0N7KXxdxDA
— Draufgängerisch (@_khayone) May 27, 2025
Dans le pays, les réactions sont vives: une vague d'indignation embrase les acteurs politiques et de la société civile qui appellent à la libération inconditionnelle de l'artiste. La Dynamique pour la majorité du peuple (DMP), un regroupement de six partis politiques et sept organisations de la société civile dénonce une arrestation arbitraire dans un pays en crise politique.
Dans ce contexte, au travers d'un communiqué rendu public le 27 mai 2025, la DMP exige du gouvernement togolais la libération de plusieurs personnes: d'Aamron, mais aussi du poète et cyberactiviste Koffi H. Sitsopé Sokpor connu sous le pseudonyme « Affectio », et détenu pour ses publications engagées sur les réseaux sociaux ; et de détenus politiques, notamment ceux de l’affaire dite “Tigre Révolution” survenue en 2019 et selon laquelle ces détenus sont accusés de tentative de déstabilisation des institutions de la République.
De son côté, le parti politique d'opposition Alliance nationale pour le Changement (ANC), à travers une déclaration du 29 mai 2025, condamne une énième arrestation arbitraire et met en garde le régime togolais.
…L’ANC met en garde le pouvoir RPT/UNIR [Rassemblement du Peuple Togolais/Union pour la République, parti au pouvoir] que le peuple togolais ne saurait accepter plus longtemps les violences et les brutalités policières, les dénis de justice et les exactions d’un autre âge.
Sur la toile, les soutiens à l'artiste se multiplient. Nathaniel Olympio, acteur politique et Président du Cercle Kekeli – le Cercle d’Études Stratégiques sur l'Afrique de l'Ouest, estime dans une vidéo publié sur son compte X que les arrestations à Lomé sont un signe annonciateur de la fin du régime.
#Togo : Aamron, le talentueux et courageux artiste qui dénonçait les dérives du pouvoir est jeté en prison la nuit dernière.
Mais, la répression n’empêche plus des voix de s’élever, comme AAmron, Affectio, Marguerite Gnakadé, et il y en aura de plus en plus.
Les Togolais sentent… pic.twitter.com/QgzHieJuPq— Nathaniel Olympio (@nathanielolymp) May 27, 2025
Farida Nabourema, activiste des droits humains et citoyenne togolaise en exil depuis plusieurs années, indique, dans une publication sur son compte X, qu'il s'agit d'une pratique qui s’inscrit dans la logique implacable du régime de Faure Gnassingbé.
J’ai appris, sans aucune surprise, l’arrestation du rappeur togolais Amron. Depuis quelque temps, il dénonçait avec détermination et courage le régime sanguinaire de Faure Gnassingbé. Cette arrestation ne m’a pas étonnée, car elle s’inscrit dans la logique implacable de la… pic.twitter.com/P9F0wdugDY
— Farida Bemba Nabourema (@Farida_N) May 27, 2025
Une liberté d'expression bafouée
La liberté d'expression est garantie au Togo, du moins c'est ce que déclare l'article 25 de sa constitution de la 5è république. Mais sa jouissance est devenue un privilège que peu de Togolais peuvent se permettre sans risques. La situation actuelle constitue donc une grave violation des droits de l'homme. L'arrestation d'Aamron vient s'ajouter à une longue liste de Togolais interpellés et détenus, dans un contexte précaire comme l'indique le rapport d'Amnesty International de 2024 sur la situation des droits de l'homme au Togo.
L'indignation est telle que l’Église hausse aussi le ton, dans un pays à plus de 25% catholique. Quelques heures avant l'interpellation de l'artiste Aamron, un appel à un dialogue sincère, a été lancé par la Conférence des Évêques du Togo (CET) à l'endroit des autorités togolaises à travers un communiqué:
Une conviction nous habite : le pays court un risque en couvant les frustrations ; car une Nation ne se bâtit pas durablement sur le silence imposé, sur la peur suscitée et entretenue, sur le mépris de la voix de son Peuple ou encore sur un entêtement à faire croire au Peuple, le contraire du vrai. Les peurs, les frustrations tuent, se muent en actes désespérés et les colères muettes deviennent des déflagrations imprévisibles.
Lire : Décès d'un prêtre catholique togolais fervent opposant au pouvoir en place
A ce jour, le pouvoir de Lomé ne s'est pas prononcé sur les multiples appels des hommes politiques, acteurs de la société civile, citoyens et religieux togolais. Qu'attendent donc les autorités togolaises pour engager ce dialogue avec l'ensemble des Togolais?