
Le capitaine Ibrahim Traoré, Président de la transition du Burkina Faso, lors d'une rencontre à Ouagadougou avec une délégation du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine. Crédit photo : Lamine Traoré/VOA – Voice of America sur Wikimedia Commons, 24 juillet 2024. Domaine public.
Le 28 juillet, le président par intérim du Burkina Faso, le Capitaine Ibrahim Traoré, a prononcé un discours marquant lors du deuxième Forum économique et humanitaire Russie-Afrique au cours duquel il a plaidé pour une plus grande souveraineté, pour la sécurité alimentaire et pour une revalorisation des contributions historiques de l'Afrique. En écoutant son discours marquant, beaucoup ont fait des comparaisons avec le légendaire leader panafricaniste , Thomas Sankara, suggérant que les propos de Traoré reflétaient la ferveur et l'engagement en faveur de l'autonomie et de la prospérité de l'Afrique qui caractérisaient la vision de Sankara. Ce discours a ravivé la mémoire des propos prophétiques tenus par Sankara en 1987 alors que son entourage l'avait alerté d'une menace imminente d'assassinat par coup d'État: «Tuez Sankara, et des milliers de Sankara naîtront». Ce n'est que vingt ans plus tard que Radio France Internationale (RFI), le principal média international français, a évoqué une éventuelle implication de la France dans son assassinat.
Dans un discours marqué par de fortes références à la mémoire historique et la reconnaissance, Traoré a souligné le rôle souvent oublié de l'Union soviétique et de l’Afrique dans la lutte contre le nazisme en Allemagne et le fascisme en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale, aux côtés des puissances occidentales telles que le Royaume-Uni, la France et les États-Unis. Il a déploré que les récits historiques marginalisent fréquemment les contributions essentielles de ces nations, perpétuant ainsi une vision déformée de l'histoire qui néglige le rôle fondamental de l'Afrique.
Dans un appel manifeste à un changement de paradigme au sein des dirigeants africains, Traoré a exhorté ses homologues à résister à la manipulation des forces impérialistes en ces mots: « Nous, chefs d'États africains, devons cesser de nous comporter comme des marionnettes qui dansent chaque fois que les impérialistes tirent les ficelles.»
« À la fin de 2022, a-t-il poursuivi, mon administration et moi avons lancé des appels au volontariat, ce qui a permis l'enrôlement de 100 000 civils supplémentaires. Plusieurs centaines de ces braves personnes ont déjà sacrifié leur vie pour protéger leurs compatriotes.»
« Ce que je ne comprends pas, a déclaré Traoré, c'est pourquoi d'autres dirigeants africains, qui n'apportent aucune aide, s'abaissent à qualifier ces braves hommes et femmes de ” miliciens”. Ailleurs, on les aurait reconnus comme ”patriotes”.»
Traoré a également insisté sur l’importance cruciale de l’autosuffisance alimentaire pour les nations africaines. Il a salué l’annonce du président russe Vladimir Poutine d’envoyer gratuitement des cargaisons de céréales à six pays africains après l’effondrement de l’initiative céréalière de la mer Noire, tout en y voyant un signal d’alarme pour les dirigeants africains. « Au prochain forum, nous ne devons pas venir ici sans avoir garanti l’autosuffisance alimentaire de nos peuples », a-t-il déclaré.
En conclusion, Traoré a fait résonner les paroles puissantes de Thomas Sankara prononcées à l’ONU en 1984 : « L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort », accompagnées de la formule de conclusion emblématique de Sankara: « La patrie ou la mort, nous vaincrons ! » Ces mots ont résonné comme un appel au combat, se propageant rapidement sur les réseaux sociaux et trouvant un écho profond dans le cœur et l’âme de la jeunesse africaine.

Capture d'écran de la vidéo ”Ibrahim Traore. Burkina Faso President's Pan African speech wins him fans all over Africa” publiée par African Insider sur YouTube. Utilisée avec permission.
C’est cet esprit que Traoré cherche à insuffler, non seulement à son propre pays, mais à tout le continent africain. Son plaidoyer est celui d’un avenir où l’Afrique ne serait plus soumise à l’exploitation extérieure, mais se tiendrait debout, en fédération de nations autonomes, résilientes et reconnues équitablement sur la scène internationale. Comme le suggère son discours, il ne s’agit pas seulement d’un idéal, mais d’une nécessité vitale pour la survie et le développement du continent.
Ce cri de ralliement ne se contente pas juste d’éveiller l’esprit endormi et résilient du peuple africain ; il incarne bien plus que de simples mots. Il renferme l’âme même d’un continent déterminé à poursuivre sa quête de dignité, d’autonomie et de prospérité, malgré les épreuves du passé et du présent. Ce sentiment s’est illustré de façon éclatante à travers l’accueil triomphal réservé par une foule en liesse au Burkina Faso lors du retour de leur chef d’État le 31 juillet.
Traoré, officier militaire originaire de Bondokuy à l’ouest du Burkina Faso, a mené avec succès un coup d’État le 30 septembre 2022, renversant le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Il a endossé la fonction de chef de l’État et de leader du « Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration », devenant ainsi, à 34 ans, le plus jeune chef d’État en exercice au monde.
Ce renversement n'est pas un cas isolé. Il s'inscrit dans une série de cinq coups d'État survenus en Afrique entre août 2020 et juillet 2023, au Mali, au Tchad, en Guinée, au Burkina Faso, et plus récemment au Niger , toutes d'anciennes colonies françaises. Ces bouleversements politiques majeurs traduisent un rejet de ce qui est perçu comme la persistance des mécanismes du colonialisme, désignés sous le terme de « Françafrique ».
Les auteurs de ces coups d'État dénoncent grandement l'inaction et la soumission des autorités politiques civiles aux anciennes puissances coloniales, mettant en cause la responsabilité , voire la complicité, de l’Occident, dans la montée du terrorisme en Afrique. Ces préoccupations ont été particulièrement amplifiées par l'assassinat du président libyen Mouammar Kadhafi par l’OTAN.
Les questions controversées incluent la prolifération des bases militaires sur le continent africain ainsi que le maintien de contrats commerciaux inéquitables établis au profit de multinationales étrangères. Les auteurs des coups d'État affirment que ces éléments ne font que perpétuer un cycle d'exploitation, au détriment de la croissance et du développement de l'Afrique. Les citoyens de ces pays ont souvent manifesté leur soutien aux prises de pouvoir militaires. Au Mali, par exemple, des manifestations de masse ont conduit à la destitution du président en place, en faveur des forces armées et de leur projet.
L'accession au pouvoir de Traoré au Burkina Faso s'inscrit ainsi dans une dynamique plus large, une vague de coups d'État militaires touchant l’Afrique francophone. Tandis que ces nations traversent des secousses politiques majeures, le monde observe avec espoir, espérant des transitions pacifiques et un développement durable. L’histoire africaine est tachée par les assassinats de figures noires et africaines influentes telles que Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Amílcar Cabral, Fred Hampton, Malcolm X, Martin Luther King Jr., et Muammar Khadafi, dont les idéaux se heurtaient bien souvent aux intérêts occidentaux. Face à un précédent aussi troublant, l’espoir demeure que le dirigeant actuel du Burkina Faso poursuive résolument sa quête de souveraineté et de prospérité pour l’Afrique, en défiant les mêmes forces géopolitiques hostiles qui ont jadis anéanti ses prédécesseurs révolutionnaires.
Cette nouvelle vague de gouvernance militaire s’inscrit également dans un contexte de compétition géopolitique croissante, une nouvelle “ruée vers l'Afrique.” Dans ce cadre, les anciennes puissances coloniales, telles que la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, marquent leur retour sur le continent. Cependant, le paysage a évolué pour accueillir de nouvelles puissances mondiales comme la Chine, la Turquie, l’Inde ou encore le Brésil, tous désireux de s'y implanter. Contrairement à la Conférence de Berlin de 1884–1885, qui avait mis en œuvre le partage historique de l’Afrique en la morcelant en micro-entités désignées comme États-nations et utilisé comme une source inépuisable d’enrichissement des puissances étrangères, un vent nouveau souffle sur le continent, marqué par une contestation croissante et un désir d’autonomie.
Plutôt que de demeurer de simples spectateurs dans la sphère des affaires mondiales, les nations africaines s’efforcent désormais de s’affirmer comme des acteurs influents, traçant leurs propres trajectoires au sein de l’attention internationale croissante, en gardant une volonté inébranlable de décider de leur propre sort. Ce changement s’opère dans un monde qui devient progressivement et irréversiblement un monde « multiplexe ». Une tendance reconnue par Amitav Acharya en 2014, qui stipule que dans « le multiplexe cinématographique, (…), aucun réalisateur ni producteur ne peut monopoliser longtemps l’attention ou la fidélité du public. Celui-ci dispose d'une pluralité de spectacles ».
Alors que ce vent de transformation souffle à travers l’Afrique, il demeure difficile de mesurer pleinement la portée et le potentiel de ces changements radicaux. Ce qui est néanmoins manifeste, c’est l’écho croissant de ces voix révolutionnaires, qui résonnent bien au-delà du continent africain. Cet impact est particulièrement visible à travers le soutien de la diaspora africaine à sa terre d’origine, devenant un acteur clé dans le renforcement de l’autonomie et du développement de l'Afrique par le biais d'initiatives telles que les transferts de fonds, les investissements, les prises de position, la valorisation culturelle et le transfert de connaissances, incarnant la vision portée par des figures emblématiques telles que Marcus Garvey, W.E.B. Du Bois, Richard Wright, Martin Luther King Jr., Malcolm X, et Huey P. Newton.
Le chemin vers l’autonomie est davantage renforcé par l’émergence de figures africaines influentes qui captivent de plus en plus l’imagination de la jeunesse du continent : des icônes comme Kemi Seba, Nathalie Yamb, et Ousmane Sonko. Leurs voix puissantes dénoncent le partage de l’Afrique au profit des puissances étrangères, inspirant une jeunesse qui aspire au changement.
Peut-être le moment est-il réellement venu pour la concrétisation de la prédiction formulée en 1893 par Charles Henry Pearson ainsi que les lois psychologiques de l’évolution des peuples énoncées par Gustave Le Bon en 1894 évoquant l’essor de l'Afrique à la suite de celui de la Chine, une résurgence portée par la croissance démographique et l’industrialisation.
Il ne fait aucun doute que la composition démographique de l’Afrique apporte une dimension supplémentaire à ce scénario porteur d’espoir. Forte d’une population jeune et en constante expansion, ainsi que des terres riches en ressources naturelles, l’Afrique peut tirer parti de cette puissance démographique pour concrétiser ses ambitions d'autonomie gouvernementale. Alors que la pendule du changement est en mouvement, l’énergie collective de cette jeunesse africaine pourrait bien constituer le levier essentiel pour propulser le continent vers un avenir où il ne serait plus relégué à un rôle subalterne, mais reconnu comme un acteur à part entière sur la scène mondiale.