Bataille diplomatique avec Londres gagnée pour l'Ile Maurice, mais pas pour tous les Chagossiens

Archipel des Chagos sur une partie de la carte ; Capture d'écran de la chaîne YouTube de Tv5monde

La rétrocession de l'archipel de Chagos à l'Ile Maurice vient couronner plusieurs décennies de batailles diplomatiques entre l'Ile et le Royaume Uni. Mais la réinstallation et l'identité des Chagossiens reste une question non-résolue.

L'archipel des Chagos est un territoire faisant parti intégrante des îles qui composent l’Ile Maurice, pays situé en Afrique de l'Est. Trois ans avant l'indépendance du pays, le 12 mars 1968, l'administration britannique confisque l'archipel des Chagos et procède en 1973 à la déportation des communautés locales vers d'autres îles. Ce processus fait de l'archipel un territoire britannique d'outre mer, sur lequel le Royaume Uni établit des bases militaires en collaboration avec les États-Unis pour coordonner des opérations militaires conjointes dans l'océan indien depuis la base d'une autre île, Diego Garcia. Cette île isolée fait partie des Chagos.

Revendication pour une rétrocession

Dès 1998, les Chagossiens commencent une série de revendications : réclamations d'une meilleure compensation d'expulsion, le droit d'un possible retour sur leurs terres, le droit d'obtenir la nationalité britannique. Toutes ces demandes sont ignorées par l'administration britannique.

Mais cette lutte de longue durée finit par faire plier le Royaume Uni. En 2017, l'assemblée générale des Nations-Unies apporte son appui à l'île Maurice dans sa bataille contre Londres. Alors que ce dernier refuse de reconnaître la souveraineté de l'île Maurice sur ces terres, la Cour internationale de justice (CIJ) entame des procédures. En mai 2020, l'ONU publie une carte du monde sur laquelle l'archipel des Chagos s'affiche clairement comme territoire appartenant à l'île Maurice.

En janvier 2023, le Royaume Uni finit par accepter de négocier avec l'île, ce qui aboutit à un accord entre les deux parties en octobre 2024. Selon ledit accord, les autorités mauriciennes peuvent réinstaller les Chagossiens sur l'île, sauf sur Diego Gracia qui abrite les bases militaires.

Dans l’exercice de sa souveraineté sur l’archipel des Chagos, Maurice est libre de mettre en œuvre un programme de réinstallation sur les îles de l’archipel des Chagos autres que Diego Garcia. Cette réinstallation sera mise en œuvre conformément aux termes du présent Accord et aux lois mauriciennes.

Toutefois, les questions environnementales sont également inscrites à l'agenda de cet accord qui stipule :

Les Parties coopéreront sur d’autres questions relatives à la protection de l’environnement, notamment en ce qui concerne les déversements d’hydrocarbures et autres, ainsi que la pêche illicite, non déclarée et non réglementée.

Le Royaume Uni s'autorise donc à continuer l'exploitation de l'île Diego Garcia pour les opérations militaires. Keir Starmer, Premier ministre déclare, le 22 mai 2025,  à Radio France Internationale (RFI):

…j'ai signé un accord pour sécuriser la base commune Royaume-Uni-États-Unis sur Diego Garcia. Ceci est absolument essentiel pour notre défense et notre renseignement et donc pour la sécurité du peuple britannique.

Par cet accord, le Royaume doit verser annuellement un montant à l'île Maurice. Citant les dessous de cet accord historique, le même article de RFI, cité plus haut, indique :

le Royaume-Uni dispose d'un bail de 99 ans sur Diego Garcia – avec une option de prolongation – moyennant le paiement annuel de 101 millions de livres (140 millions de dollars américains], soit 3,4 milliards de livres [4.5 milliards de dollars américains], au total.

En territoire mauricien, la nouvelle est accueillie avec ferveur. Le gouvernement du Premier ministre Navin Ramgoolam se réjouit de la concrétisation d'un rêve devenu réalité. Olivier Bancoult, leader du groupe Réfugiés Chagos, qui a fait de cette rétrocession son combat personnel, explique à Tv5monde Afrique son enthousiasme de retrouver sa terre natale qu'il a quittée dès l'âge de quatre ans :

A la question de savoir s'il considère la possibilité d'aller vivre aux Chagos, Olivier Bancoult répond:

…absolument, c'est ce que nous rêvons. Je suis née à Peros Banhos mais je n'ai jamais eu l'occasion de donner la chance à mes enfants de voir comment est cette île. Tout comme, les autres Chagossiens aussi y rêvent.

Débat sur l'identité chagossiene

Tout n'est pas pour autant résolu. Des Chagossiens présents sur le territoire britannique depuis des décennies estiment que, dans leur lutte pour l'accès à leur terre et à leur pleine souveraineté, cet accord ne constitue pas une victoire. Bertrice Pompe, représentante des habitants originaires de l'île des Chagos, déclare à Africa News (0:25) :

Selon Pompe, les Chagossiens ne se reconnaissant pas comme pas Mauriciens et Mauriciennes, cet accord compromet leurs droits. Pour eux, il est hors de question que leurs droits soient remis dans les mains de l'île Maurice.

Frankie Bontemps, président du groupe Chagossian Voices poursuit dans le même sens. Au micro de RFI, il dit:

Pour nous, ce n'est pas une victoire. Aujourd'hui, nous sommes ignorés comme nos parents et nos grands parents l'ont été… Nous, Chagossiens, nous considérons comme un peuple autochtone qui n'a rien à voir avec les Mauriciens : nous avons notre propre langue, notre créole n'est pas le même que le créole de l'île Maurice. Nos traditions culinaires, nos danses… tout est complètement différent ! Alors que nous avons le sentiment d'être traités comme des citoyens de seconde zone, nous avons aussi l'impression d'avoir été trahis par les deux gouvernements [mauricien et britannique]…

Comme dans de nombreux territoires et pays anciennement colonisés par l'Europe, les capitales européennes continuent d'imposer leurs politiques, preuve que le processus de décolonisation n'est toujours pas terminé.

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