
Sami Tchak, capture d'écran de la chaîne YouTube de 7 jours.
Les littératures francophones d'Afrique font face à un double défi: en Afrique le coût prohibitif des livres importés fait souvent de l'accès aux textes un privilège économique. L'édition sur le continent rencontre aussi de nombreux défis: frais de publication, systèmes de distribution, fragmentation linguistique.
Dans les pays francophones d'Europe, la reconnaissance des ces littératures pourtant en pleine effervescence et qui remontent au 19e siècle, est relativement récente car elles ont longtemps été subordonnées aux textes écrits par les Européens dans une perspective héritée de la colonisation. Les premiers pionniers comme Léopold Sedar Senghor ont établi sa place en Europe et dans le monde dans les années 60, et depuis sont relayés par des auteurs comme le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr dont le prix Goncourt 2021 a rappelé la vitalité et la richesse des littératures africaines francophones.
Grâce à certains événements, les littératures francophones africaines deviennent plus visibles et accessibles en France: le Salon du livre africain de Paris, ou le tout récent festival Rive Noire Littérature, décrit dans cette vidéo sur TV5 Monde:
Mais la fin du Prix Orange du Livre en Afrique, débuté en 2019, et chargé de promouvoir écrivains et éditeurs basés en Afrique, a choqué de nombreux écrivains à l'annonce de la nouvelle fin 2024, et démontre la fragilité de telles structures.
Sami Tchak (SM): Ma situation ne répond à aucune des situations qui sont suggérées dans vos questions. Je ne suis pas un exilé, je suis arrivé en France avec une bourse d'études que mon pays m'a octroyée, j'ai choisi de faire ma vie en France après mes études, je retourne dans mon pays autant de fois que je peux et veux chaque année, je fais partie là-bas des écrivains dont le nom est associé, par une partie des Togolais, à l'idée de fierté nationale. Je suis donc, pas un exilé, mais un homme vivant librement hors de son pays. Ce n'est pas la même chose. Et je ne me définis pas comme un voyageur, je suis juste, comme beaucoup d'autres femmes et hommes du monde littéraire, un écrivain ayant la chance de participer en tant qu'invité à des colloques. Je n'ai pas les moyens de mener une vie de voyageur, je ne voyage que quand je suis invité et pris en charge, et partout où je me rends, j'ai à peine la possibilité de découvrir autre chose que les espaces où se déroulent les activités littéraires. Voyager pour le travail, cela n'est pas une vie de voyageur.Je suis un homme curieux, comme beaucoup de personnes sur la terre, et aussi parce qu'écrire exige de nous une attention particulière au monde, un appétit d'apprendre, de découvrir, d'enrichir son imaginaire. Mais cette curiosité n'est sur aucun plan au service d'une recherche de l'horizontalité contre la verticalité. Dans tous les livres où je parle de la verticalité, je le fais comme un constat et tente de comprendre ce qu'elle implique dans nos vies et surtout dans nos modes de pensée.
ST: Je ne sais pas ce que signifie l'expérience africaine, et je ne crois pas qu'il existe sur la terre quelqu'un qui pourrait nous dire ce que signifierait l'expérience africaine. Sur quel plan? Historique? Religieux? Politique? Expérience africaine me semble une essentialisation abusive, que je mets en scène dans mon roman Le continent du Tout et du presque Rien, cette essentialisation qui permet de ramener la complexité d'un continent et la diversité de ses peuples, cultures, expériences, à un élément général à partir des destins similaires créés par la colonisation.Aussi, le corps est un élément essentiel dans toute littérature, mais ce qui est important, je pense, c'est la manière dont chaque écrivain le met en scène, l'explore. Le corps chez moi, la sexualité surtout, sert de support à la mise en scène des relations humaines et à la tentative de donner chair à des réflexions philosophiques, à une vision du monde. Cela renvoie à une démarche personnelle que les autres peuvent interpréter librement, comme le font les personnes qui me consacrent des thèses.
ST: J'ai consacré un livre à ces questions, “La couleur de l'écrivain”. Je pense que notre situation particulière d'écrivains issus de peuples colonisés et écrivant dans la langue du colonisateur explique ce genre de questions qu'on pose depuis un siècle. Je suis un Togolais vivant en France, j'écris en français. Je ne me définis ni comme un auteur francophone, ni comme un auteur sans frontières, mais comme un écrivain togolais écrivant en français.Une fois que j'ai dit ça, je n'ai pas contribué à mettre fin à ces questions récurrentes qui n'ont strictement rien à voir avec la littérature, ni avec ma démarche d'écrivain, je le sais, mais, je pense qu'il est plus utile de lire les écrivains quand cela est possible et de les interroger à partir de leurs livres. Les questions assez générales ne permettent pas de parler de littérature ni de faire connaître un écrivain en particulier.
ST: Les spécialistes de la littérature pourraient répondre avec intelligence à cette question. Quant à moi, je sais que la visibilité de certains écrivains africains, écrivant en français, en anglais, en portugais…, dépend des instances de légitimation européennes et américaines.
Dans cette vidéo sur YouTube, Tchak explique les liens qu'il entretient avec ses éditeurs:
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