
Capture d'écran la chaîne YouTube de Lomé News
En Afrique, les périodes de troubles et manifestations sont souvent marquées par des restrictions ou des coupures d'internet, comme vient d'en faire l'expérience, le Togo, au mois de juin.
A l'annonce de la promulgation de la nouvelle constitution de la 5è République, le 6 mai 2024, et suite à la prestation de serment de Faure Gnassingbé pour le poste de Président du Conseil le 3 mai 2025, l'indignation des Togolais monte d'un cran. En effet, sur le plan politique, la famille Gnassingbé règne sur le pays depuis près de 60 ans.
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Dans ce contexte, l'internet est l'élément fondamental dans la mobilisation de la population togolaise qui prend forme juin 2025.
Sur le réseau TikTok, des milliers de Togolais mènent des discussions et débats, partagent leurs opinions, partagent des vidéos lives dans le but d'affiner leurs plans pour mener la lutte afin de contraindre Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, à libérer le pays. Comme l'explique Zaga Bambo, artiste et militant togolais dans cette vidéo publié sur le compte X de LSI Africa :
🚨🇹🇬 #TOGO : à la veille de nouvelles manifestations prévues les 26, 27 et 28 juin, l’artiste et militant Zaga Bambo se dresse en figure de proue de la contestation contre le pouvoir togolais. Dans un entretien exclusif accordé à LSI AFRICA, celui que beaucoup considèrent comme le porte-voix d’une jeunesse en colère, veut défier le régime de Faure Gnassingbé : « Nous allons continuer ce combat jusqu’à ce que Faure quitte le pouvoir » a-t-il martelé. Il affirme que « plus aucun président ne fera plus de 10 ans au Togo ».
comme… pic.twitter.com/u3Ue3X0gXs
— LSI AFRICA (@lsiafrica) June 25, 2025
Facebook est le théâtre de messages et d'appels à la prise de conscience de la crise qui paralyse le pays. La population décide ainsi collectivement de manifester son mécontentement dans la rue durant le mois de juin 2025, bien que les manifestations ne soient pas autorisées par le gouvernement.
Ainsi, dans la nuit du 5 juin et la journée du 6 juin 2025, les Togolais défilent dans les rues, principalement à Lomé. Bien que cette première manifestation se soit soldée par plusieurs arrestations, de nouvelles manifestations se tiennent les 26, 27, et 28 juin 2025 et rassemblent encore plus de personnes. Au final, le bilan est d'au moins sept morts et des dizaines de blessés.
Connexion au compte-goutte
Alors que la force mobilisatrice de l'internet semble porter ses fruits, les autorités décident de réduire et restreindre considérablement le débit de la connexion internet. Les différents réseaux sociaux fonctionnent avec difficulté, réduisant de facto les communications entre Togolais de la diaspora et ceux vivant au pays.
Au soir du 28 juin 2025, le Chapitre Togolais d'Internet Society publie un communiqué qui rapporte les perturbations de l'internet durant tout le mois de juin. La représentation togolaise d'Internet Society indique :
Entre le 25 et le 27 juin 2025, un total de 15 430 mesures techniques ont été réalisées à travers différents réseaux d’accès fixes et mobiles opérant sur le territoire national. Ces mesures, conduites avec rigueur et selon une méthodologie standardisée, ont mis en évidence un ensemble de dysfonctionnements importants :
- 1 072 anomalies techniques détectées, soit un taux d’irrégularité de 6,9 % sur l’échantillon observé ;
- Une progression rapide et préoccupante des incidents critiques, passant de 76 anomalies le 25 juin à 360 le 27 juin, soit une multiplication par près de cinq en 72 heures ;
- Une hausse des échecs de connexion (281 sur la période), dont 127 sur la seule journée du 27 juin;
- Des temps de réponse DNS médians de 144 ms, avec des pointes mesurées à plus de 180 ms ;
- Une latence réseau moyenne de 118 ms, atteignant jusqu’à 200 ms dans certains créneaux horaires ;
- Des indices élevés d’interruption prématurée de sessions TCP, notamment dans les phases de synchronisation ou d’accusé de réception, pouvant correspondre à des blocages techniques intentionnels.
En dehors de ces anomalies soulevées à travers des études, l'organisation précise qu'elle est en contact avec des citoyens qui alertent sur l'inaccessibilité aux plateformes d'information internationales. Internet Society souligne :
Parallèlement à ces constats techniques, plusieurs dizaines de citoyens ont signalé à notre organisation des interruptions d’accès à certaines plateformes d’information internationales, des ralentissements sévères sur les services courants (mails, plateformes éducatives, applications professionnelles), ainsi qu’une instabilité inhabituelle de la connexion, notamment via les réseaux mobiles.
Ces incidents notés par l'organisation démontrent la volonté manifeste des autorités togolaises d'étouffer la liberté d'expression et de priver la population d'un accès à l'internet.
L'accès difficile à internet durant le mois de juin attire également l'attention des chercheurs de l’Université Georgia Tech aux États-Unis. Selon un article du média Togo Scoop, les chercheurs indiquent qu'il s'agit bien de restrictions sophistiquées :
Il s’agit de restrictions d’accès à Internet d’une nature particulièrement « sophistiquée », qui ne relèvent pas d’une interruption complète du service, mais d’une forme évoluée de limitation ciblée. Ces restrictions prennent la forme de censures applicatives, affectant sélectivement certaines plateformes comme YouTube, de ralentissements intentionnels du trafic (throttling) réduisant significativement la qualité de l’accès, ainsi que de blocages spécifiques par filtrage DNS ou IP.
Quelles conséquences sur l'ensemble du pays?
Au Togo, l'internet sert aujourd'hui d'outils de travail pour des milliers de professionnels qui sont soumis à d'énormes pertes durant les restrictions et les coupure d'internet.
En 2017, au lendemain des soulèvements populaires déclenchés en août par Tikpi Atchadam, membre de l'opposition et président du Parti national panafricain (PNP), la population togolaise vit une situation similaire. A deux reprises l'internet est coupé : du 5 au 10, puis du 19 au 21 septembre 2017.
Des organisations de la société civile togolaise soutenue par des organisations internationales dont Amnesty International Togo ont porté plainte devant la cour de justice de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) en décembre 2018. En juin 2020, la CEDEAO tranche l'affaire en faveur des plaignants et condamne le gouvernement togolais à verser 2 000 000 de FCFA (3 583 dollars américains) à chaque plaignant. Ce cas de figure du Togo, une première dans l'espace CEDEAO sert aujourd'hui de jurisprudence auprès de ladite cour et des cours nationales.
A cette époque, Bonaventure Mawuvi N’Coué, acteur de la société civile et membre de l’Institut des médias pour la démocratie et les droits de l’homme (IM2DH) déclare à l'agence EcoFin:
Cette coupure a empêché la société civile de s’organiser pour les manifestations, de s’exprimer et d’informer sur la mobilisation, ainsi que de documenter et informer les personnes au Togo et au-delà, concernant les violations des droits humains et la répression par les forces de sécurité. A cela se sont ajoutées l’impossibilité pour tout individu de communiquer pendant ces jours et des conséquences économiques néfastes pour le pays.
Pour Amnesty International Togo, le message était clair:
…les coupures volontaires d’Internet violent la liberté d’expression
Alors que les Togolais revivent les mêmes frustrations liées aux violations de leur droit à l’internet, les autorités semblent déterminées à maintenir leur contrôle absolu de l'accès à l'internet. Toutefois, certains Togolais ont recours à de nombreux réseaux privés virtuels – Virtual private network (VPN) – pour pouvoir accéder aux sites d'informations et à certains réseaux sociaux.