En Côte d’Ivoire, le processus de sélection des candidats pour la présidentielle accuse un déficit de transparence

De gauche à droite: Charles Blé Goudé, Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Tidjane Thiam, les quatre candidats exclus des élections d'octobre 2025 ; capture d'écran de la chaîne YouTube de Tv5monde Afrique

Par Jeslyn Lemke

La Côte d'Ivoire se prépare à des élections présidentielles prévues pour octobre 2025. Le président Alassane Ouattara, au pouvoir depuis 2011, est pressenti pour être candidat à sa propre succession, alors que les candidatures de quatre candidats sont rejetées.

La Commission électorale indépendante (CEI) annonce le 4 juin 2025 que plusieurs candidats sont écartés: quatre figures politiques sont ainsi radiées de la liste électorale : Guillaume Soro, (candidat indépendant et ancien président de l’assemblée nationale de 2012 à 2019) ; Laurent Gbagbo (ancien président du pays de 2000 à 2011, et candidat du Parti des peuples africains – Côte d'Ivoire (PPA-CI) ; Tidjane Thiam (du Parti démocratique de Côte d'Ivoire-Rassemblement démocratique africain, le PDCI-RDA) et Charles Blé Goudé (ancien ministre sous Laurent Gbagbo, et président du Congrès panafricain pour la justice et l'égalité des peuples, le COJEP). Avec l’élimination de ces quatre candidats de poids pour vice de forme, les élections d'octobre en Côte d’Ivoire vont se dérouler dans un climat de forte tension politique car s'y ajoute un contexte de campagnes de désinformation russe et française. 

Une alliance de certains partis de l’opposition

Le 19 juin, les deux partis d'opposition, le PDCI et le PPA-CI, dont les candidats ont été écartés, annoncent une alliance entre leurs deux partis pour faire front commun face au parti au pouvoir, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

Alassane Ouattara, président de la Côte d'Ivoire depuis 2011, est âgé de 83 ans, et dirige le pays depuis 15 ans, après avoir modifié la Constitution en 2016 pour briguer un troisième mandat. Pour les élections d'octobre 2025, le RHDP a choisi Alassane Ouattara comme candidat. Mais jusqu'à présent, il s'est montré réticent à révéler publiquement s'il sera candidat ou non.

Simone Ehivet Gbagbo, Présidente du Mouvement des générations capables (MGC) et Pascal Affi Nguessan, Président du Front populaire ivoirien (FPI) restent les deux candidats de l'opposition radicale qui affrontera Ouattara dans les urnes.

Selon David Youant, journaliste ivoirien et directeur de l'agence de presse Alerte Info, les partis d'opposition exclus du processus bénéficient pourtant d'un important soutien parmi la population civile, y compris parmi les militaires, comme il l'explique dans un entretien accordé à Global Voices:

La jeunesse est frustrée, les soldats démobilisés lors de la dernière guerre civile de 2010 et les chômeurs constituent un solide soutien des militaires au PDCI et au PPA-CI, qui cherchent à apaiser leur colère contre le régime Ouattara. On n'aura pas besoin d'être un marabout pour savoir que, forcément, il y aura des bagarres.

Youant décrit l'ambiance actuelle dans les rues d'Abidjan comme calme: les gens vaquent à leurs occupations, partent en vacances, font leurs achats; les étudiants suivent leurs cours normalement. Il précise:

Pour le moment, dans les actes, dans les comportements, on ne sent pas la panique. Les gens ne font pas de provisions. Il n’y a pas de tensions réelles. Mais il y a des craintes de la crise sur une possible crise post-électorale, la majorité des Ivoiriens ne veut pas revivre ce qui s'est passé en 2010-2011.

A la suite des élections présidentielles de 2010, la Commission électorale indépendante (CEI) proclame Alassane Ouattara, alors que le Conseil constitutionnel déclare Laurent Gbagbo vainqueur. Ce verdict contradictoire divise alors la population ivoirienne, et mène à une crise post-électorale aboutissant à l'arrestation de Laurent Gbagbo et à son emprisonnement à la Cour Pénale Internationale (CPI).

Lire : Un journaliste camerounais retrace le contexte de la crise politique ivoirienne de 2010-2011 dans un documentaire

En avril, le PDCI et le PPA-CI annoncent leur départ de la commission électorale, estimant que la CEI n'est plus objective, et qu'elle opère sous le contrôle du gouvernement Ouattara.

Sur la toile, les tensions montent entre les cyberactivistes, et des campagnes de désinformation se multiplient, accompagnées de commentaires politiques témoignant d'une inquiétude générale face à un éventuel coup d'État. Sur le réseau X, un compte dénommé Mel Essis Kouadio publie une vidéo et interroge les motivations derrière les propos tenus par Cissé Bacongo, gouverneur du district autonome d'Abidjan dans la vidéo.

Désinformation intense sur les réseaux

En mai, des rumeurs de coup d'État à Abidjan sont propagées, suscitant l'inquiétude de la communauté internationale. Cela s'ajoute à l'arrestation en France, en mars 2025, du célèbre cyberactiviste Souleymane Gbagbo Koné (qui s'exprime ouvertement contre le gouvernement Ouattara), et qui selon des fausses informations serait condamné à cinq ans de prison.

Un rapport du Centre d'études stratégiques de l'Afrique, cité en 2024, indique que 189 campagnes de désinformation ont été détectées en Afrique entre 2022 et 2024. Les pays historiquement instables sont généralement la cible de telles campagnes, dont 60 % proviennent de sponsors étrangers, comme la Russie ou la Chine. Le rapport indique que:

La Russie demeure le principal vecteur de désinformation en Afrique, parrainant 80 campagnes documentées ciblant plus de 22 pays. Cela représente près de 40 % de toutes les campagnes de désinformation en Afrique.

De janvier à juin 2025, Ivoirecheck, une organisation ivoirienne de vérification des faits qui lutte contre la désinformation sur les plateformes de réseaux sociaux a démystifié plusieurs publications relatives à la désinformation concernant des élections. A titre d'exemple, le 16 mai 2025, un compte X au nom de Le Liptako Gourma publie une image qui prétend à tort montrer des soldats de la Légion française s'entraînant en Côte d'Ivoire :

Le travail de fact checking d'Ivoirecheck a permis de démentir cette information qui a suscité de nombreuses réactions sur la toile. Ivoirecheck écrit dans un article :

Une publication partagée sur X, par la page dénommée  Le Liptako de Gouma, a généré plus de 80 000 vues, 290 likes, et 110 retweets déclenchant un débat animé sur une supposée formation des Légionnaires Français en Côte d’Ivoire dans le but d’attaquer le Burkina Faso. Sur l’image de piètre qualité qui accompagne la publication, on peut observer des individus  armés, vêtus de tenues militaires, de gilets et casques dans une zone arborée.

Le laboratoire de Code for Africa, qui est le plus grand réseau de laboratoires de technologie civique et de journalisme de données du continent, avec des équipes dans 21 pays, a également consacré des ressources au suivi de la désinformation en Côte d'Ivoire en amont des élections de cette année.

Au micro de BBC Afrique, Mohamed Kébé, journaliste fack-checker ivoirien confirme cette propagation des fake news à l'approche des élections ivoiriennes. Il soutient que :

le contexte électoral semble donner du grain à moudre aux personnes qui diffusent les fake news. (…) on sent une montée fulgurante des fausses informations à l'approche de la présidentielle ivoirienne. Il y a des personnes qui sont intéressées par la manipulation de l'information en lien avec la présidentielle.

 

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