Au Togo, les autorités brandissent la menace d'une plus grande censure du discours en ligne

Centre administratif des Services économiques et financiers, situé à Lomé, capitale du Togo. Image de Jean Sovon, utilisée avec permission

Au Togo, les autorités réitèrent leur désir de contrôler le discours en ligne pour restreindre l'usage des réseaux sociaux dans un contexte de confrontation politique intense dans ce pays de plus de 9,5 millions d'habitants.

Début juin 2025, des manifestations éclatent dans le pays face à un régime qui se maintient au pouvoir depuis plus d'un demi-siècle. L'internet et les plateformes de messageries jouent un grand rôle dans cette mobilisation déclenchée par les Togolais de la diaspora. Facebook, YouTube, WhatsApp, Instagram, TikTok, Snapchat, X – toutes ces plateformes numériques sont le lieu où se retrouvent les citoyens togolais vivant à l'étranger et ceux qui sont au Togo pour exprimer leur frustration par rapport au régime de Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005.

Depuis juin, l'internet connaît des perturbations régulières et de nombreux médias en ligne ne fonctionnent plus, ou ne sont plus accessibles sur le territoire togolais, sauf si les citoyens font usage d'un Virtual private network (VPN).

Lire : Au Togo, restriction de l'internet durant les manifestations des 26, 27, et 28 juin

Crispation politique du pouvoir en place

Fin septembre, alors que les perturbations cessent, une autre surprise attend les internautes togolais: un embargo est imposé sur les différents canaux de diffusions de messages des cyberactivistes.

Ainsi, le 3 octobre 2025, lors d'une conférence presse, Talaka Mawana, procureur de la République annonce la décision des autorités de renforcer la lutte contre l’utilisation abusive des réseaux sociaux. Il dit :

« Quiconque produira, reproduira, diffusera, publiera, partagera à travers une plateforme numérique, un fait qui sort du cadre légal en vigueur, sera l’objet de poursuites pénales sans compromis et sans complaisance.

Le procureur va plus loin en indexant également les internautes qui cliquent pour ‘liker’ ou pour placer des commentaires, approuvant ou validant tel contenu:

Il en sera de même pour quiconque publiera un commentaire validant une publication illicite. La complicité par approbation expose également à des poursuites, car la loi nous impose à tous de dénoncer tout crime ou délit dont nous avons connaissance »,

Talaka Mawana évoque ensuite un cadre légal existant avec des textes et des lois applicables en cas du non respect des nouveaux principes établies par les autorités:

Lorsque dans l’utilisation de ces plateformes numériques, l’on en vient à commettre des faits qualifiables d’infractions, le cadre légal togolais permet d’y apporter une réponse appropriée. Ce cadre légal est donc principalement constitué de textes de loi que sont: le nouveau code pénal, le code de l’enfant, la loi sur la cybersécurité et la cybercriminalité, le code de la presse et de la communication, la loi relative à la protection des données à caractère personnel. Ces différents textes prévoient des agissements pouvant être qualifiés d’infractions.

Dans la fièvre de ce rappel à l'ordre de l'autorité judiciaire, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), organe de régulation des médias souligne que l'avertissement du procureur de la République est également destiné aux professionnels des médias. Le communiqué publié ce 7 octobre note :

…Ils (les professionnels de médias) doivent notamment veiller à la vérification rigoureuse des faits par un recoupement professionnel de l’information avant toute publication ou diffusion; la vérification des informations véhiculées par les réseaux sociaux s’ils veulent les exploiter comme sources d’information: la préservation de la dignité et de l’honneur des citoyens ainsi que de l’ordre public dans le traitement de l’information. Ils doivent en outre proscrire: l’atteinte à la vie privée et à l’image d’autrui; l’incitation à la haine raciale, ethnique, religieuse, l’apologie des crimes ou du terrorisme: la diffusion des propos injurieux ou outrageants ou du secret de défense.

Lire aussi notre cahier spécial : 

Coup de massue régional sur la liberté d'expression

Les rapports 2024 et 2025 de Freedom House confirment que la liberté d'expression au Togo est extrêmement limitée.  Suite aux manifestations récentes et à la repression, ce droit est encore plus menacé. Cet état de fait projette le pays dans une zone où la liberté d'expression risque de disparaitre, comme le souligne le titre de cet article du média local IciLomé – Au Togo, la liberté après l’expression n’existe plus.

Le Togo n'est pas le seul pays dans cette situation. En juillet 2025, la justice ivoirienne hausse le ton face aux internautes qui font usage des réseaux sociaux pour discréditer, diffamer et injurier non seulement leurs concitoyens mais aussi les autorités du pays. Le premier qui subit cette loi est Topkah Jean Japhet, infirmier diplômé d’État âgé de 43 ans. Sous une publication officielle de Alassane Dramane Ouattara, président de la République de Côte d'Ivoire, Topkah Jean Japhet écrit ce commentaire :

Si la mère du président l’avait avorté, elle aurait rendu un grand service à l’Afrique.

Le 18 juillet 2025, Topkah Jean Japhet est condamné à trois ans de prison ferme et à une amende de 5 millions de FCFA (8 887 dollars américains), même après avoir présenté des excuses publiques. Koné Braman, procureur de la République de Côte d'Ivoire soutient que la tolérance est désormais révolue en matière de dérives en ligne. Il notifie :

Ni le repentir, du reste toujours tardif, ni la demande de pardon n’ont un effet sur la réalité des infractions, et ne sauraient, en conséquence, soustraire leurs auteurs de la rigueur de la loi.

De vives inquiétudes chez les internautes

Le durcissement du ton des autorités togolaises est vécu comme une nouvelle forme de censure par les acteurs de la société civile togolaise.

Comme en témoigne Emmanuel Elolo Agbenonwossi, Président du Chapitre Togolais d'Internet Society (branche togolaise de l'organisation mondiale qui milite pour un accès sans restriction de l'internet dans le monde). Interviewé par Africa24, il craint que ces déclarations occasionnent la multiplication des faux comptes:

Aujourd’hui, une approche purement punitive ne ferait qu’accentuer la défiance des citoyens et multiplier les faux comptes sur les réseaux sociaux. Et nous devons, chacun dans son rôle, faire œuvre de pédagogie plutôt, renforcer la formation des citoyens.

Etant donné le taux de pénétration de l'internet au Togo plus de 66,56%, le nombre important d'utilisateurs mobiles, et le besoin essentiel de communiquer sur les plateformes numériques, il est en effet peu probable que les internautes togolais réduisent leurs activités en ligne.

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