Brésil : Le Rio Xingu sacrifié par le projet du barrage de Belo Monte

Defendendo os Rios da Amazônia, no Youtube por xinguvivoparasempre

En défense des rivières de l'Amazone, sur Youtube, par xinguvivoparasempre

[Liens en portugais ou en français] Le 26 août dernier, le Président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, a signé un décret transférant au Consortium Norte Energia, qui a remporté l'appel d'offres réalisé en avril, la concession d'exploitation, pour environ 35 ans, du barrage de Belo Monte sur le fleuve Xingu, dans l’ État du Pará, tout en autorisant le début des travaux de construction. Il s'agit d'un projet controversé, impliquant un investissement de 19,6 milliards de Réaux, dont le potentiel est de fournir en énergie 26 millions de personnes, au prix de la destruction de la forêt environnante, de l'inondation des villes alentour et du déplacement de milliers de personnes. L'action gouvernementale est calculée de manière à donner l'impression que le projet de Belo Monte est mené dans des conditions totalement normales et que la construction du barrage est inévitable. Dans les coulisses, cependant, les événements démontrent quelque chose d'assez différent.

Derrière ce discours officiel de «normalité» créé par le gouvernement, des gens, organisés en mouvements sociaux et environnementaux ont peu à peu écrit,  depuis les années 1970, leur propre histoire de résistance à la construction de Belo Monte. Ce sont des Indiens et des habitants de la rivière, dont les modes de vie et les moyens de subsistance actuels subiront un impact désastreux avec la construction du barrage.

Les indigènes et riverains de toute la région amazonienne où est prévue la construction hydroélectrique se sont unis afin d'essayer d'établir des stratégies conjointes pour tenter d'arrêter l'obstruction des rivières amazoniennes.  Ces groupes se battent pour se faire entendre afin d'amener l'opinion publique à s'associer à eux pour exiger l'interruption du projet avant la phase de construction de l'usine, de manière à engager un dialogue, jusque-là quasi inexistant, entre les parties prenantes et les parties affectées par la construction du barrage. Ils comptent pour cela sur la participation de personnes engagées dans les causes autochtones et écologiques.

UHE Belo Monte, no Flickr por J.Gil licença CC: Atribuição-NaoComercial-ShareAlike

UHE Belo Monte, sur Flickr par J.Gil, sous licence CC by

Tel est le cas de dom Erwin Krautler, le dernier lauréat du prestigieux prix Right Livelihood [en anglais] pour son travail, depuis plusieurs décennies, en tant qu'activiste de la cause des droits indigènes. Erwin Krautler, évêque, prélat du Xingu (PA, état du Pará), et président du Conseil Missionnaire Indigéniste (CIMI), a déclaré :

Sou contra o projeto do jeito que foi feito, com autoritarismo e preconizando o discurso desenvolvimentista do governo que só fala das vantagens e nunca das desvantagens que Belo Monte trará. Cerca de 30 mil pessoas serão chutadas de lá [da Volta Grande do rio Xingu] e levadas sei lá pra onde. Essa obra vai ser a maior agressão já vista na Amazônia.

Je suis contre le projet de la manière dont il a été fait, avec autoritarisme et préconisant le discours pro-développement du gouvernement, qui n'évoque que les avantages et jamais les désavantages que Belo Monte apportera. Quelques 30 000 personnes en seront expulsées [de la Grande Boucle du rio Xingu] et emmenées on ne sait trop où. Cette ouvrage sera la plus grande agression jamais vue dans l'Amazone.

Tout aussi engagé en faveur de la cause et à la tête du dossier devant le ministère public fédéral (MPF) du Pará, le procureur Felício Pontes Júnior  a introduit la première action contre Belo Monte en 2001, et il assure que si l'organisation n'avait pas agi dés cette époque-là, le barrage serait déjà construit aujourd'hui. Au total, le MPF du Pará instruit huit procès, qui traitent de vices de procédures légales et pointent des irrégularités dans le dossier de la licence environnementale de la centrale hydroélectrique. Quoiqu'il en soit, aucune de ces différentes actions en justice n'avaient encore été jugées au 2 septembre dernier, et ce qui se dit, c'est que seule une décision judiciaire peut changer la donne.

Selon le procureur, le gouvernement tente d'appliquer la “théorie du fait accompli” qui, en Droit, se réfère à la tentative de passer outre les actions en justice sachant qu'une fois l'ouvrage terminé, la situation ne peut plus être changée. Cependant, tous les procès qui sont actuellement traités par la Justice peuvent encore empêcher la construction du barrage :

O governo federal tem soltado release sobre Belo Monte como se o fato já estivesse consumado. Temos processos em andamento que, se tiverem decisões favoráveis, nós paramos Belo Monte. (…) Nós não desistimos de barrar Belo Monte. Queremos barrar a construção da hidrelétrica sim porque todos os estudos, da Unicamp, da USP, da UnB, mostram que é uma obra inviável. (…) Nós não estamos jogando a toalha.

Le gouvernement fédéral a laissé circuler des prospectus comme si le fait était déjà accompli. Il y a des procès en cours qui, s'ils obtiennent une décision favorable, donnerons un coup d'arrêt à Belo monte. Nous n'abandonnons pas l'espoir de faire obstruction à Belo Monte. Oui, nous voulons faire obstruction à la centrale hydroélectrique parce que toutes les études, de l'Unicamp, De l'USP et de l'UnB (respectivement, les universités de Campinas, São Paulo et Brasilia) démontrent que l'ouvrage n'est pas viable. (…) Nous ne jetons pas l'éponge.

La nouvelle divulguée par  EcoAgência le 27  septembre, à propos de Belo Monte, indique que, de fait, le Procureur Felício n'a pas abandonné la lutte. Accompagné de son collègue Cláudio Terre do Amaral, ils ont participé, le 24 septembre, à une réunion avec les représentants de quelques 12 000 familles vivant dans la Grande Boucle, une extension de 100 km du Rio Xingu, dans la municipalité de Vitória do Xingu, où deux phénomènes opposés sont destinés à avoir lieu avec la construction de la centrale : disparition des eaux sur un tronçon (de la rivière), formation d'un lac avec pour conséquence l'inondation des terres, sur un autre. Tant l'un que l'autre de ces phénomènes sont dévastateurs pour ces familles qui survivent de la pêche et de l'agriculture familiale et qui, en attendant, ne savent toujours pas ce qui se va advenir de leurs terres et de leurs propriétés si la centrale était malgré tout construite. Comme l'explique le procureur :

Ainda falta muito para que a usina se torne uma realidade, mas estamos preocupados com o fato dessas famílias não terem recebido informações concretas sobre o empreendimento.

Il reste encore beaucoup de temps avant que la centrale ne devienne une réalité, mais nous sommes préoccupés par le fait que ces familles n'aient toujours pas reçu d'informations concrètes sur le développement du projet.

Pour ces familles, même les bénéfices de l'énergie électrique ne sont des avantages sur lesquels ils peuvent compter. L'une de leurs revendications est, justement, l'absence d'énergie électrique pour eux, alors que la région de la Grande Boucle n'est qu'à 300 km de la centrale de Tucuruí. La compagnie distributrice de l'énergie électrique a déjà informé les agriculteurs et les riverains que le programme Luz para Todos (Lumière pour tous) n'atteindra pas les habitants des boucles de la rivière, dans la partie qui devra être inondée si la centrale était construite.

Sous le titre “Un procureur craint une confrontation sur le chantier de la centrale hydroélectrique de Belo Monte” le blog Indymedia fait référence aux craintes exprimées par le Procureur Felício quant à une possible confrontation entre les indiens et les employés des travaux publics durant la construction de  la centrale hydroélectrique :

Eu estou extremamente preocupado. Porque o discurso dos indígenas está sendo no seguinte sentido: “Nós vamos morrer de qualquer jeito se esse rio [Xingu] for barrado, então nós vamos morrer lutando”. Temo por um conflito no canteiro de obras dessa hidrelétrica, entre os índios e os trabalhadores da construção civil. Isso pode acontecer e, pessoalmente, é o que mais angustia.

Je suis extrêmement préoccupé. Parce que le discours des indigènes va dans le sens suivant : “Nous allons mourir de toute façon si cette rivière [Xingu] est barrée, alors, nous mourrons en luttant”. J'ai peur d'un conflit sur le chantier de cette centrale, entre les indiens et les travailleurs des travaux publics. Cela peut arriver et, personnellement, c'est ce qui m'angoisse le plus.

Pour tous ces impacts et ces dommages, les peuples indigènes ont réaffirmé, en décembre 2009, leur position quant à la construction de la centrale hydroélectrique, telle que divulguée sur le blog Brasil Autogestionário :

Nós, povos Indígenas, não vamos sentar mais com nenhum representante do governo para falar sobre UHE Belo Monte; pois já falamos tempo demais e isso custou 20 anos de nossa história. Se o governo brasileiro quiser construir Belo Monte da forma arbitrária de como está sendo proposto, que seja de total responsabilidade deste governo e de seus representantes como também da justiça o que virá a acontecer com os executores dessa obra; com os trabalhadores; com os povos indígenas. O rio Xingu pode virar um rio de sangue. É esta a nossa mensagem. Que o Brasil e o mundo tenham conhecimento do que pode acontecer no futuro se os governantes brasileiros não respeitarem os nossos direitos como povos indígenas do Brasil.

Nous, peuples indigènes, ne nous assiérons plus à aucune table de négociations pour discuter avec les représentants du gouvernement à propos de l'UHE Belo Monte ; nous avons déjà assez discuté et cela nous a coûté 20 ans de notre histoire. Si le gouvernement brésilien veut construire Belo Monte de la manière arbitraire dont il a usé pour en faire la proposition, que ce qui pourrait arriver aux exécutants de cet ouvrage, aux travailleurs, aux peuples indigènes, soit de la totale responsabilité de ce gouvernement et de ses représentants ainsi que de la Justice. Le rio Xingu peut devenir une rivière de sang. Tel est notre message. Que le Brésil et le monde sachent ce qui peut arriver à l'avenir si les gouvernants brésiliens ne respectent pas nos droits de peuples indigènes du Brésil.

Felício Pontes a révélé, dans la même interview, la décision issue de la réunion des indigènes le 26 Août : de faire appel aux Cours internationales de justice dans le but de dénoncer la violation de leurs droits.

Eu espero que, com essa decisão, nós consigamos o apoio internacional, principalmente das entidades ligadas aos direitos humanos, e também das entidades técnicas, a Comissão Mundial de Barragens, por exemplo. Estudos técnicos, por exemplo, podem comprovar a inviabilidade econômica dessa hidrelétrica.

J'espère que, avec cette décision, nous obtiendrons le soutien international, principalement celui des entités liées aux droits de l'homme, et aussi des entités techniques, la Commission Mondiale des Barrages, par exemple. Les études techniques, par exemple, peuvent prouver la non-viabilité économique de cette centrale.

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