Près de 1 000 caméras de surveillance avec logiciel de reconnaissance faciale seront installées à Belgrade dans les deux prochaines années, comme l'a prévu le ministre de l'Intérieur, Nebojša Stefanović. Les citoyens ne connaissent pas le pourquoi du comment de ces caméras. (Voix du ministre de l'Intérieur Nebojša Stefanović) « ...Le plan, pour 2020, est d'installer environ 2 000 caméras dans Belgrade... » (Voix du directeur de police, Vladimir Rebić) « ... sensibiliser les citoyens et les dissuader de toute action illégale. » (Voix du ministre de l'Intérieur Nebojša Stefanović) « aucune rue principale, passage, entrée ou sortie d'immeuble ... » Des Milliers de Caméras Belgrade, 2020. Un groupe officieux de citoyens a mis en place la plateforme hiljadekamera.rs dans le but de signaler de potentiels abus concernant ces caméras installées sans concertation publique et sans discussions sur leurs conséquences et allant à l'encontre des principes inscrits dans la loi et la Constitution. (Filip Milošević, de l'initiative Des Milliers de Caméras) « Ces deux caméras sur les poteaux sont utilisées pour la circulation. Donc ici, on a une combinaison de caméras de circulation qui pointent sur ces deux rues, et une troisième caméra qui filme pratiquement tout. On va maintenant vérifier les coordonnées GPS de ce poteau. Il faut se mettre juste à côté et marquer sa position afin qu'ensuite on puisse ajouter ce poteau et cette caméra à notre carte. On va maintenant placer deux autocollants sur ce poteau. L'un indique que c'est un espace public et nous informe que cet espace est sous vidéosurveillance, vu que cette information, qui devrait être indiquée, ne l'est pas. Ici vous avez l'adresse e-mail du ministère de l'Intérieur, puisque c'est normalement son travail de signaler ces caméras. Le deuxième autocollant porte un QR code qui nous dirige vers le site internet hiljadekamera.rs. (Danilo Krivokapić, de la Fondation SHARE) « Ce n'est pas une caméra de surveillance ordinaire. Il ne s'agit pas d'un cas où quelque chose se produit et ensuite la police se procure les enregistrements et les regarde. C'est une surveillance biométrique qui permet de suivre n'importe qui, à n'importe quel moment, si toute la ville en est munie. (Milan Marinović, Commissionnaire serbe pour la protection des données) C'est un fait qu'il y a de plus en plus de caméras dans la ville. Cependant, à notre connaissance, elles ne sont pas encore utilisées pour la reconnaissance faciale. Elles sont d'abord utilisées pour contrôler la circulation et assurer la sécurité. (Andrej Petrovski, de la Fondation SHARE) Nous surveillons de très près le problème des 1 000 caméras à Belgrade depuis l'annonce du ministre sur leur installation. hiljade.kamera.rs est la communauté de tous ceux qui veulent empêcher l'implémentation de la vidéosurveillance intelligente. Les citoyens peuvent utiliser notre site pour s'informer sur le fonctionnement de cette technologie, sur la localisation de ces caméras, et sur comment rejoindre ce combat. La police peut suivre quelqu'un sur la foi de soupçons raisonnables, ce qui est tout à fait normal. Mais si elle surveille chaque citoyen et décide ensuite de ce qu'elle veut faire des données, cela peut complètement changer la société et plus personne n'osera envisager de faire quelque chose contre le gouvernement. En pratique, il y a plusieurs éléments. D'abord, il y a ce qu'on appelle l'équipement terminal, qui sont les caméras installées dans les rues de Belgrade. En plus des caméras, ce système comprend aussi un réseau qui connecte toutes les caméras à un point central qui contient un système de stockage du matériel vidéo, ainsi qu'un système d'analyse. Ce système central d'analyse utilise un algorithme de reconnaissance faciale. Il quantifie tous les visages, ce qui veut dire que quelqu'un peut suivre vos mouvements en temps réel, vos interactions sociales, avec qui vous avez bu un café, à qui vous avez parlé, chez qui vous êtes allés. Ce système permet d'utiliser la photo d'une personne, que ce soit depuis la base de données des cartes d'identité ou si vous prenez la photo de quelqu'un, et le système la scanne et vous dit où la personne en question a été précédemment. Ces caméras analysent automatiquement les images et il y a de nombreuses façons d'utiliser et d'abuser de cette technologie. (Marija Gavrilov, d'Exponential View) Sans des recherches approfondies ou débats ce type de système ne devrait pas être mis en place. (Sofija Todorović, de BIRN) La mise en place non transparente de ce processus de surveillance, l'ignorance de la loi, le problème existe à différents niveaux. (Slobodan Marković, Conseiller politique en TIC) Quels ont été les modèles d'AI utilisés ? Lesquels sont actifs ? Quels modèles comportementaux sont surveillés ? Comment les données sont-elles collectées ? Combien de temps sont-elles conservées ? Où sont-elles stockées ? Si elles sont effacées, quand le sont-elles ? Ce sont toutes des questions importantes auxquelles nous n'avons aucune réponse. C'est un sujet d'inquiétude pour toute personne marchant dans la rue, pour toute personne qui s'inquiète pour sa vie privée, qui ne veut pas qu'on abuse de l'utilisation de son identité. C'est un sujet d'inquiétude pour nous tous. C'est une question qui concerne tous les citoyens. La question c'est de savoir dans quelle type de ville nous souhaitons vivre. Souhaitons-nous vivre dans une ville dans laquelle nous serons surveillés à chaque coin de rue ? Quand on entend « surveillance vidéo » on pense tout de suite à la protection de la vie privée. Et quand on pense à la protection de la vie privée, on ne peut ignorer la loi sur la Protection des données personnelles. Malheureusement, cette loi ne dit rien sur la surveillance vidéo. (Nevena Ružić, du réseau de fondations Open Society) Si nous voulons restreindre les Droits de l'humain, nous devons commencer par la Constitution. Cette dernière dit que la limite des Droits de l'humain devrait être prescrite par la loi et que la loi ne devrait pas s'immiscer dans le cœur même du droit qui a été délimité. C'est-à-dire qu'une loi doit contrôler le traitement des données personnelles. Cependant, la loi ne peut pas dire « les données seront traitées, et la vidéosurveillance intelligente sera adoptée partout », point final. La loi doit avoir un but, pourquoi a-t-elle été introduite, et elle ne peut pas violer le cœur des droits fondamentaux de l'humain, dans ce cas, le droit à la vie privée. Le droit à la vie privée sera certainement menacé. Mais, c'est pourquoi il faut se concentrer sur toutes les mesures que le gestionnaire des données, ici, le ministère de l'Intérieur, doit entreprendre afin de minimiser les risques. Les principes fondateurs de notre Constitution et de nos lois sont clairs. L'utilisation du système n'est possible que si c'est nécessaire et proportionné. Je pense qu'aucune de ces conditions n'a été remplie et que ce système comporte plus de risques et de dangers pour la liberté et les droits de l'individu qu'il ne bénéficie à la sûreté publique. (Saša Đorđević, Centre de Politique de Sécurité de Belgrade) Le ministère de l'Intérieur a dit que Belgrade est mieux sécurisée que la plupart des villes européennes, ce qui est parallèle ou s'oppose à l'introduction de la vidéosurveillance pour améliorer la sécurité. Si le principal facteur de motivation est de réduire la criminalité, d'attraper les criminels, surtout ceux de gangs, alors il faudra voir si les enregistrements caméra seront comparés à la base de données des criminels, comme c'est le cas dans certains pays. Les recherches sur l'impact de la vidéosurveillance sur la sécurité publique ont été principalement menées dans les pays d'Europe occidentale. L'essentiel est que la vidéosurveillance a une influence préventive sur la sécurité du traffic. Elle peut aussi aider à baisser le crime contre la propriété. Par contre, elle a très peu d'effet sur les crimes odieux. La caméra intelligente est totalement impersonnelle. Elle prend en compte les criminels, mais aussi ceux qui ne le sont pas, et si notre hypothèse est que tout le monde est un criminel, alors on peut facilement justifier que la vidéo surveillance intelligente est nécessaire. Les changements dans le comportement des gens quand ils sont sans cesse surveillés ont été bien étayés. Et si vous extrapolez cela à un niveau sociétal et que vous imaginez que nous pourrions tous changer de comportement si nous nous sentions surveillés. (Ella Jakubowska, du Droit numérique européen - EDRi) Cela ne voudrait pas dire que nous avions fait quelque chose de mal, mais plutôt, que nous sommes soudainement devenus conscients de nos propres actions. C'est là que ces choses commencent à devenir effrayantes car si tout d'un coup nous sommes conscients que des caméras nous regardent tout le temps, qu'elles pourraient être utilisées contre nous. Les citoyens doivent contrôler les actions du gouvernement, à tout moment. Je paie des impôts à cette ville et ça n'a aucun sens d'acheter des caméras et un équipement qui seront utilisés pour nous surveiller, nous, les citoyens. Ça devrait être l'opposé : nous devrions surveiller et contrôler le gouvernement, car c'est la base d'une société démocratique. Si nous parlons de valeurs, nous entrons dans le monde de la surveillance de masse, c'est-à-dire que tout est surveillé, partout, et tout le temps. Il y a un réel sentiment d'autonomisation dans le fait de pouvoir s'exprimer différemment, et si d'un coup, tu es forcé à conformer, cela peut menacer ton identité. Cela remet dangereusement en question ton sentiment de dignité et la personne que tu es, et que tu as le droit d'être dans ta société. Le vrai problème pour nous, c'est que ceux qui ont déjà un pouvoir disproportionné en gagnent toujours plus, alors que ceux qui n'ont aucun pouvoir en auront encore moins à cause de cette dynamique du surveillant et du surveillé. Lorsqu'on introduit la vidéosurveillance, il est très important d'évaluer les résultats de la mise en œuvre d'une telle surveillance. Car, si tu n'as pas diminué le taux de criminalité dans cette zone, si le nombre d'infractions du code de la route n'a pas été réduit, ou autre, alors la surveillance est inefficace. La vidéosurveillance avec reconnaissance faciale est certainement une des mesures les plus strictes et invasives du point de vue de la protection de la vie privée. Lors du tournage, nous avons demandé aux représentants du ministère de l'Intérieur d'éxprimer leur opinion sur la vidéosurveillance intelligente à Belgrade, mais nous n'avons reçu aucune réponse. Tout d'abord, nous aimerions discuter des bons et des mauvais côtés de ce système, ainsi que des abus potentiels, et ensuite décider si un tel système est nécessaire. C'est un réseau très complexe de différents acteurs qui gagnent du pouvoir, mais ceux qui en perdent, alors, sont les citoyens. Si les gens sont léthargiques et ne portent pas plainte car ils savent qu'ils sont surveillés à travers une caméra, s'ils ne veulent pas aller à une manifestation ou critiquer le gouvernement à cause de ces caméras, il n'y a pas de progrès sans critiques, et nous avançons vers une société totalitaire. Je ne souhaite pas cela pour cette ville ni pour les générations à venir. Malgré le manque de préalables juridiques, les caméras continuent à être installées aux 800 emplacements annoncés, inconnus pour le moment. Pendant ce temps, les citoyens réunis autour de l'initiative #hiljadekamera (Des Milliers de Caméras) continuent à localiser les caméras. La lutte contre la surveillance de masse reste à venir. Réalisé par : Andrija Kovač Montage : Marija Kovačina Cinématographie : Andrija Kovač Producteurs : Danilo Krivokapić, Filip Milošević, Nemanja Babić Assistante de production : Milica Čubrilović Musique : Hetem, Regis, MKDSL, Skygaze, Jimmy Svensson, Oton Panorama Films pour la fondation SHARE 2020