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Le pays comme miroir : Réflexions d'un jeune Colombien à Bristol

Catégories: Colombie, Médias citoyens, Migrations & immigrés

Voici la deuxième de notre série d'interviews qui explorent les expériences de Latino-Américains ayant quitté leur pays d'origine en quête d'opportunités nouvelles et qui regardent derrière eux, avec des idées différentes. Dans ce post, Ana Hernández converse avec Pablo Uribe, un jeune politologue colombien qui a acquis la nationalité espagnole et qui a aussi fait de Bristol son lieu de résidence. La première de ces interviews, celle d'un commerçant dominicain en Espagne, peut être lue ici [1].

Pablo

Pablo Uribe, photographié par l'auteure à Bristol (Royaume Uni).

Pablo Urib, c'est de la pure poésie politique. Cela fait quatorze ans qu'il vit loin de la Colombie et, pour lui, le sancocho [2] rime avec nostalgie. Il vient de Medellín, et de Madrid aussi. Pablo a quitté la Colombie à l'âge de dix-neuf ans et est, actuellement, citoyen espagnol. Ce qui ne freine pas ses envies d'explorer le monde. Ce jeune Colombien et Espagnol vit maintenant à Bristol, d'où il réfléchit pour cette interview à Medellín, aux idées de partir, de revenir et de se reconnaître en un seul et unique pays :

J'étais décidé à retourner en Colombie, tant et si bien qu'à mes débuts à Madrid, j'étais très réticent au fait de penser à ma situation administrative en tant qu'étranger. Avec le temps, je suis finalement devenu citoyen espagnol. Mais quand tu en es à deuxième migration, la maison qui te reste la plus familière est celle que tu viens de laisser derrière toi. Tu finis dans un chaos identitaire important.

Le jeune politologue ravive ses racines grâce au contact avec sa famille et ses amis. Et grâce au résumé que lui font les réseaux sociaux depuis l'autre côté de l'Atlantique. De plus, Semana [3], El Espectador [4], La Otra Orilla [5] et La Silla Vacía [6], ne serait-ce que pour la politique, sont également des points de référence importants pour lui.

Même s'il n'a pas quitté son pays avant l'âge de 19 ans, Pablo a eu le temps d'attraper son sac à dos et de parcourir la Colombie. Il a commencé à l'âge de 14 ans, profitant des week-ends ou des ponts, et a continué pendant les vacances scolaires :

C'est pendant ces années d'adolescence que j'ai visité la Côte Atlantique, mais aussi la montagne, la Cordillère dans la zone productrice de café, tous les environs de Medellín. Je suis aussi descendu jusqu'à Bogotá et j'ai continué ensuite avec d'autres lieux. C'est peut-être parce que la Colombie n'a pas de grands points d'attraction comme le Machu Pichu, les ruines aztèques du Mexique ou le Perito Moreno en Argentine. Mais dans l'ensemble, elle est très attrayante. Chaque partie forme un tout dont les habitants sont ce qu'il y a de mieux.

Pablo raconte aussi que c'est sûrement pendant son enfance que Medellín, plongée dans les conflits venus du trafic de drogues, a vécu sa période la plus agitée :

Dans les années 1980, et jusqu'à la mort de Pablo Escobar [7] en 1993, le fondateur et leader du Cartel de Medellín [8], le taux d'homicides était quasi le double de celui que connaissent aujourd'hui quelques villes d'Amérique Centrale. Ce fut une guerre ouverte et totale.

Sans perdre son sourire et en expliquant calmement les choses, Pablo rappelle comment une bombe avait été déposée devant la maison de sa grand-mère, comment il avait l'habitude de penser que son père ne reviendrait pas du travail ou comment, devenu adolescent, il se souvient être entré dans un restaurant pour avoir de l'eau et avoir rencontré trois guérilleros armés en train de jouer au billard :

Tu ne te retrouves pas souvent face à un type avec un fusil au-dessus d'un billard, mais c'était quelque chose qui ne faisait pas peur. Par la suite, oui. Les choses se sont compliquées après et on courait un risque en sortant, le danger était objectif. Maintenant, je remets cela avec perspective et je pense que voyager dans le pays en solo est quelque chose que je n'aurais pas dû infliger à ma maman.

Pablo, qui a aujourd'hui 33 ans, ne peut pas laisser passer l'occasion de parler de ce qu'il faisait en Colombie quand il était sur le point de partir :

La montrée d'une extrême-droite qui se présentait face à tous avec un discours radical qui appelait à la peur et au nationalisme, a laissé peu de marge à la critique.

C'est justement à ce moment-là que Pablo a découvert la politique, ce qui l'a amené ensuite, en Espagne, à étudier les Sciences Politiques :

Là-bas, il était inévitable de ne pas me confronter à la réalité politique de la Colombie, et en vivant cela au loin, je crois que je me suis trouvé dans une position privilégiée. En voyant la situation à distance et en ayant des modèles avec lesquels comparer. Je me suis donc beaucoup confronté à la Colombie. Et même aujourd'hui, il me reste à me réconcilier avec beaucoup d'aspects de mon pays.

Pablo reprend la critique, ou plutôt le manque de celle-ci, et évoque la résistance à la critique de certain groupes lorsqu'il s'agit d'une partie de leur identité :

Quand un pays, une religion ou une idéologie sont stigmatisés, il devient victime et critiquer devient alors mal vu. C'est ce qu'il se passait en Colombie. La nation entière portait le stigmate d'être un pays dangereux, un pays de narcotrafiquants. Ainsi, lorsque [l'actuel ex-président de la Colombie] Álvaro Uribe est arrivé et qu'il a eu un discours droitiste, très agressif envers la critique qui venait de l'extérieur, tout est monté en puissance. Et celui qui se trouvait en dehors n'était pas considéré comme suffisamment autorisé, son jugement n'avait pas la même valeur et on l'accusait de méconnaissance et de vision biaisée. Un jour, un journaliste qui n'était pas colombien a expliqué que Medellín était le plus grand bordel à ciel ouvert du monde. Il a senti la réprobation s'abattre sur lui.

Finalement, Pablo partage une réflexion sur les images que donnèrent les médias traditionnels à travers les “narco-telenovelas”, un genre de séries télévisées basées sur des histoires liées au narcotrafic, et sur comment d'autres initiatives dans le monde des arts et de la culture ont réussi à ouvrir le spectre des images qu'ont les Colombiens d'eux-mêmes :

[Nonobstant] Nous avons appris à vivre avec les différences. Et même si nous avons été exportateurs de narco telenovelas [9] qui ont contribué à stigmatiser la population ou à transformer en objet et dénigrer la femme, il y a de nos jours en Colombie beaucoup de gens qui font de très bonnes choses. Il y a des choses très intéressantes dans le monde de la culture, de l'art ou de la musique. Il ne manque plus que la normalisation politique, mais elle finira par arriver.