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En Thaïlande, des jeunes militants se mobilisent pour la démocratie et la défense de la liberté d'expression

Catégories: Asie de l'Est, Thaïlande, Droit, Droits humains, Gouvernance, Jeunesse, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique
Une foule de manifestants font le salut à trois doigts, symbole de résistance, devant le monument de la démocratie à Bangkok. [1]

Des manifestations pro-démocratie menées par des étudiant·e·s du groupe Free Youth et de l'Union des étudiant·e·s de Thaïlande, appelant à de vastes réformes démocratiques, ont eu lieu le 18 juillet 2020 à Bangkok, autour du Monument de la Démocratie. Photo et légende par Darika Bamrungchok.

L’article d'origine [2] a été publié en anglais le 9 septembre 2020. Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Cet article [1]de Darika Bamrungchok est initialemnt paru sur EngageMedia, une organisation à but non lucratif spécialisée dans les médias, la technologie et la culture. Global Voices en publie une version remaniée dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Après des années de répression, de censure et d'injustice sous l'emprise d'un gouvernement pro-militaire, des milliers de manifestants en Thaïlande descendent dans les rues et font entendre leur voix sur Internet pour réclamer des changements politiques et des réformes démocratiques. Ce qui a commencé par des rassemblements d'étudiants en faveur de la démocratie en février 2020 s'est transformé en d'innombrables manifestations contre le gouvernement militaire menées par des jeunes et des étudiants thaïlandais [3], dont certains ont 14 ans [4] à peine. Ces rassemblements ont lieu presque quotidiennement dans au moins 55 des 77 provinces [5] du pays.

Trois revendications

Ce mouvement en faveur de la démocratie, mené par des étudiant·e·s, est inédit dans l'histoire moderne de la Thaïlande : c'est en effet la première fois que la monarchie est critiquée aussi publiquement, le crime de lèse-majesté [6] étant passible d'une peine de prison. Les manifestations, menées par l’organisation Free People [7], exigent des changements dans un pays qui a une longue histoire de répression de la dissidence. Dans le cadre de l'objectif global d'avoir « une forme de gouvernement démocratique où la monarchie serait soumise à la Constitution », l'organisation présente trois revendications principales au gouvernement thaïlandais actuel : la dissolution des deux chambres du Parlement, la réécriture de la constitution soutenue par l'armée, la fin des intimidations policières et des arrestations arbitraires de dissidents.

Faisant écho aux récentes attaques contre la liberté d'expression en ligne aux Philippines [8] et à Hong Kong [9], les manifestants et les médias thaïlandais sont de plus en plus réduits au silence par leur gouvernement, tant dans l'espace physique que numérique.

Le 26 août, les dirigeants de l'organisation Free People, Tattep « Ford » Ruangprapaikitseree et Panumas « James » Singprom, ont été arrêtés [10] pour leur rôle dans le rassemblement antigouvernemental du 18 juillet. [11] Ils ont depuis été libérés sous caution. La veille, suite à la pression du gouvernement thaïlandais, Facebook avait bloqué l'accès au « Royalist Marketplace » [12] en Thaïlande, un groupe de plus d'un million de membres où les citoyens thaïlandais pouvaient discuter de la monarchie. Très vite, Facebook s'est cependant déclaré prêt à contester légalement [13] la demande du gouvernement thaïlandais. Au moment où nous écrivons ces lignes, un nouveau groupe portant exactement le même nom a déjà vu le jour, avec plus de 500 000 membres [14] qui l'ont rejoint dès le premier jour de sa création.

En plus de ces mesures de répression, les médias thaïlandais locaux ne peuvent pas non plus rendre compte librement du harcèlement et de l'intimidation de l'État à l'encontre des manifestants, de peur d'être pris pour cible [15] par les mesures juridiques et les contrecoups financiers du gouvernement.

La première vague de manifestations

En fin février 2020, la dissolution [16] par la Cour constitutionnelle du parti pro-démocratie Future Forward, un parti d'opposition populaire auprès des jeunes électeurs, a déclenché la première vague de manifestations étudiantes. Peu après, le gouvernement thaïlandais a signé un décret d'urgence [17] interdisant les rassemblements antigouvernementaux au nom de la lutte contre la propagation du COVID-19. Mais en juin, les Thaïlandais sont devenus encore plus furieux contre le gouvernement en raison des difficultés économiques croissantes provoquées par la pandémie, de la disparition du militant antigouvernemental thaïlandais Wanchalearm Satsaksit au Cambodge et des défaillances du système judiciaire dans l'affaire Vorayuth Yoovidhya [18] [un héritier milliardaire accusé d'avoir tué un policier lors d'un accident de voiture en 2012. Les poursuites engagées contre lui ont été abandonnées, ce qui a déclenché une indignation publique contre l'impunité des riches].

La deuxième vague de manifestations

Cet ensemble de revendications, ainsi que l'assouplissement des mesures de confinement dans le pays, ont déclenché la deuxième vague de manifestations. Le 18 juillet, le groupe Free Youth [19] et l'Union des étudiants de Thaïlande [20] ont organisé un rassemblement pacifique devant le Monument de la Démocratie de Bangkok, où plus de 2 000 manifestants [21] étaient présents. Cette fois, les manifestations organisées par les étudiants ont été beaucoup plus puissantes et étendues, attirant un échantillon beaucoup plus large de la société. Le 16 août, plus de 20 000 personnes [22] ont scandé à plusieurs reprises « À bas la dictature, vive la démocratie » devant le Monument à la Démocratie de Bangkok.

Cette nouvelle génération de Thaïlandais exploite également la technologie pour organiser des manifestations impromptues, comblant ainsi le fossé [23] entre l'activisme en ligne et hors ligne. En partie inspiré du mouvement de Hong Kong, le mouvement thaïlandais fonctionne pratiquement sans tête de file, les participants utilisant principalement les médias sociaux pour protester et mobiliser davantage de personnes dans tout le pays. Les sentiments antigouvernementaux et le mécontentement politique se sont rapidement répandus sur les médias sociaux, avec l'apparition de divers hashtags de protestation [24] sur Twitter. Les jeunes manifestants utilisent également diverses plateformes en ligne comme Tinder et TikTok [25] pour diffuser leur message de protestation, en utilisant souvent des symboles, la satire et la culture populaire [26].

Le gouvernement thaïlandais a autorisé [27] les citoyens à exprimer leur dissidence et leur désir de réforme, mais cela n'a pas empêché une recrudescence du harcèlement, des détentions et des dépôts de plainte contre les dirigeants étudiants et les protestataires ayant pris part aux manifestations pacifiques. Bien que le gouvernement ait déclaré que la prolongation [17] du décret d'urgence jusqu'en septembre n'interdirait pas les manifestations politiques, la police continue de convoquer [28] les dirigeants des manifestations pour violation du décret. Cela signifie que les manifestants peuvent toujours être arrêtés pour avoir participé à des manifestations, ainsi que pour sédition et en vertu d'autres lois répressives [29] inscrites au Code pénal thaïlandais.

Sur internet, la fermeture du groupe Royalist Marketplace sur Facebook reflète clairement les dangers qu'il y a à exprimer sa dissidence contre le gouvernement et la monarchie thaïlandaise sur Internet. Le hashtag #NoTwitterThailand [30] [fr] est arrivé en tête de la page des tendances du pays en mai, alors que les Thaïlandais se montrent de plus en plus critiques à l'égard de la surveillance en ligne du gouvernement et de la restriction de la liberté d'expression. [Ceci est lié au lancement du compte Twitter officiel de la Thaïlande en mai, qui a été suivi par une réforme de la politique de confidentialité de Twitter. Cela a conduit de nombreux militants thaïlandais à soupçonner une intensification de la surveillance gouvernementale [30]].

Les médias locaux ont également fait part de la censure systématique [15] associée à toute couverture critique de la monarchie thaïlandaise.

Entre les 17 et 19 août, le groupe des Avocats thaïlandais pour les droits humains (TLHR) a répertorié [31] 103 cas où des étudiants ont été harcelés ou empêchés de dire ce qu'ils pensaient, notamment en faisant le salut à trois doigts, en portant des rubans blancs ou en tenant des feuilles de papier vierges.

Lorsque le ministre de l'Éducation Nataphol Teepsuwan a voulu monter sur scène pour faire une déclaration, @BadStudent ont scandé dans sa direction :

« Faites la queue. Faites la queue. Faites la queue. ».

#CeQuiSePasseEnThaïlande #RubanBlancContreLaDictature

Au moins 13 militants [29], dont l'avocat des droits humains Anon Nampa [38] et deux rappeurs, ont été arrêtés et accusés de sédition. Chacun d'eux pourrait être condamné à une peine de prison allant jusqu'à sept ans s'il est reconnu coupable.

À l'heure actuelle, ils ont tous été libérés sous caution. Cependant, certains militants ont été suivis par des agents de sécurité en civil, et ils pensent qu'il existe une liste de 31 personnes [39] que la police cherche à arrêter pour avoir parlé sur scène. Étant donné que de nombreux manifestants sont des étudiants, on s'inquiète de plus en plus du fait que des écoliers et des jeunes puissent être pris pour cible [31] dans le cadre des manifestations en cours.

Pour en savoir plus sur les manifestations en Thaïlande, découvrez notre dossier spécial (en français). [40]