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La musicienne trinidadienne Chantal Esdelle voit la pandémie comme l'occasion d'un retour aux sources pour le carnaval

Catégories: Caraïbe, Trinité-et-Tobago, Arts et Culture, Médias citoyens, Musique
Le groupe de musique Moyenne, composé de 4 hommes et une femme en habits beige larges, avec des symboles géométriques en noir et blanc.

La musicienne trinidadienne Chantal Esdelle (au centre) et son groupe Moyenne ont réinventé l'espace du carnaval non seulement via leur musique, qui mêle jazz, calypso et steelpan, mais aussi à travers la manière dont le COVID-19 les a forcés à innover. Photo publiée avec l'autorisation d'Esdelle. Photographe: Maria Nunes [1].

[Sauf indication contraire, tous les liens de cet article mènent à des pages en anglais, ndlt.]

Il n'est pas surprenant que la pandémie COVID-19 [2] [fr] ait conduit à l'annulation [3] [fr] du carnaval de Trinité-et-Tobago en 2021. Ce qui est surprenant pour certains partenaires du carnaval [4], c'est que la Commission nationale du carnaval (NCC) [5], l'organisme d'État qui supervise le festival, ait annoncé qu'elle n'organiserait pas d'événements virtuels, contrairement à d'autres carnavals de renommée mondiale, notamment celui de la Nouvelle-Orléans [6], qui a annoncé que les célébrations seraient observées en ligne les 15 et 16 février.

Winston “Gypsy” Peters, ancien joueur de calypso devenu politicien, qui est maintenant président de la Commission nationale du carnaval (NCC), a défendu [7] cette position en disant que le Carnaval était « un sport de contact » qui devait être « rempli de monde ». Au lieu de cela, la NCC propose de faire une rétrospective [8] sur 100 ans du festival national. M. Peters a ajouté que le carnaval était une source de revenus pour le pays et qu'il devait s'assurer que l'argent dépensé par les contribuables obtiendrait un retour sur investissement [9].

Sa position a suscité [10] des critiques, non seulement des artistes, concepteurs, musiciens et interprètes dont les moyens de subsistance dépendent en grande partie des événements du carnaval – et dont beaucoup organisent [11] eux-mêmes [12] des événements virtuels [13] et conformes aux restrictions sanitaires liées au COVID-19 – mais aussi de la part de ceux qui considèrent que [14] le festival national est beaucoup plus profond et plus significatif qu'une simple contribution au produit intérieur brut (PIB) du pays.

L'une de ces artistes est la musicienne Chantal Esdelle [15]. Peu de temps après le début de la pandémie, elle et son groupe Moyenne, un groupe de jazz basé à Trinité-et-Tobago et fermement ancré dans la tradition calypso et steelpan du pays, ont commencé à proposer des performances via podcast, sous le nom de leur studio, l'Ethnic Jazz Club [16]. Chantal Esdelle a également utilisé son blog [17] pour discuter de la manière dont les gens peuvent renouer avec le carnaval en lui donnant davantage de sens, maintenant que la pandémie a bouleversé les habitudes. Nous avons discuté des possibilités par e-mail et par téléphone.

Chantal Esdelle, souriante. C'est une femme claire de peau, qui porte des bijoux aux formes rondes, et une robe sans manches beige.

La musicienne Chantal Esdelle. Photo reproduite avec l'aimable autorisation de Chantal Esdelle. Photographe: Maria Nunes [1].

Janine Mendes-Franco (JMF) : En temps normal, Trinité-et-Tobago serait actuellement en proie à la fièvre du carnaval. Comment l'absence du festival cette année vous a-t-elle affectée ?

Chantal Esdelle (CE): On the surface, [I feel] numbness, which could translate to mean I feel a sadness and loss. My Carnival is in steelband … Panorama [18] and J’ouvert [19]. It is a place where I meet up with decades-old friends, plan, inspire, meet younger [musicians] and rekindle warmness with elders. I am missing that deeply.

Chantal Esdelle (CE) : En surface, [je ressens] un engourdissement, ce qui pourrait se traduire par de la tristesse et un sentiment de perte. Mon carnaval est en steelband … Panorama [20] [fr] et J'ouvert [19]. C'est un endroit où je rencontre des amis de longue date, où je fais des projets, je trouve l'inspiration, rencontre de jeunes [musiciens] et ravive la chaleur avec les aînés. Cela me manque profondément.

JMF : Dans votre article de blog [17], vous observez que la pratique du carnaval [21] est « accueillie de la même manière que plusieurs des principes du carnaval l'étaient à l'origine, avec des restrictions et une répression ». Comment votre concept du Backyard Jam [17] s'intègre-t-il dans ce phénomène ?

CE: In the post I was suggesting that the Backyard Jam is how we [are] celebrating this year, and this and all might be shut off, just like many other Carnival yards were banned in the earlies. I say this with no citations of any sources. The way it influenced me, though, is to look at how Carnival creativity is engendered in a close (relationship-wise) space, and then vibrates out. This further propels me to continue the model we have of a studio that produces work for our patrons, but now spirals out by showing [what we do] to a wider audience by broadcasting video recordings of it.

The Backyard Jam is word of mouth, [based on] contributions not fees, and participation in an activity—not consumption of a product—which is where Carnival is currently at, so … it is a return.

CE : Dans le billet, je suggérais l'idée que le Backyard Jam est la façon dont nous célébrons cette année, et que tout cela pourrait être fermé, tout comme de nombreuses autres fêtes de Carnaval dans les cours ont été interdites au tout début. Je dis cela sans citer aucune source. La façon dont cela m'a influencée, cependant, est dans l'observation de la façon dont créativité du Carnaval d'abord engendrée dans un espace proche (relationnel), vibre ensuite vers l'extérieur. Cela me pousse davantage à poursuivre le modèle que nous avons d'un studio qui produit du travail pour nos clients, mais qui se développe maintenant en montrant ce que nous faisons à un public plus large, grâce à la diffusion des enregistrements vidéo de celui-ci.

Le Backyard Jam, c'est le bouche à oreille, basé sur des contributions et non des frais, sur la participation à une activité, et non la consommation d'un produit. C'est justement ce qui fait le carnaval d'aujourd'hui, donc… c'est un retour.

JMF : Vous mentionnez [17] « un retour à la conscience de soi et une restauration de la confiance culturelle» émanant de cette nouvelle compréhension du but du Carnaval.

CE: Cultural confidence … you kinda have to have it in a small space 'cause you can’t bullshit people when they are in close range, so you have to clearly decide what you're doing and this always requires a bit more reflection and remembrance. So for me, it is a restoration and I hope that broadcasting it will result in some people catching it, just as the music of Andre Tanker [22] and Boogsie [23] and Ralph McDonald [24]’s music in concerts and even on TTT [Trinidad and Tobago Television [25], the state-owned media house] clips would have caught me … or arrangements from Earl Rodney [26] and Clive Bradley [27] as I unawarely heard them on the radio or being played on pan.

CE : Confiance culturelle… vous devez en quelque sorte l'avoir dans un petit espace parce que vous ne pouvez pas raconter n'importe quoi aux gens quand ils sont proches, donc vous devez clairement décider de ce que vous faites et cela nécessite toujours un peu plus de réflexion et de travail de mémoire. Donc pour moi, c'est une restauration et j'espère que sa diffusion permettra à certains de la rattraper, tout comme la musique d’André Tanker [22] et de Boogsie [23] et celle de Ralph McDonald [28] [fr] dans les concerts et même sur la TTT [25] [Trinidad and Tobago Television, la télévision d'État] des clips m'auraient happée… ou des arrangements d’Earl Rodney [26] et Clive Bradley [27] comme je les ai entendus à l'improviste à la radio ou dans des interprétations en steel pan [20][fr].

JMF : Comment les artistes innovent [29]-ils dans leurs propres petits cercles et comment pensez-vous que cela impactera le carnaval sur le long terme ?

CE: Artists are mostly doing their own thing and streaming it online … a lot of people use Wack [30]’s service. Hopefully, this will encourage folks to continue doing independent work and lead to a more diverse festival rather than the one we have, that is centred around three or four major competitions.

CE : Les artistes font principalement leur propre truc et le diffusent en ligne… beaucoup de gens utilisent le service Wack [30]. Espérons que cela encourage les gens à continuer à faire du travail indépendant et mènera à un festival plus diversifié que celui que nous avons, qui est centré autour de trois ou quatre grandes compétitions.

JMF : Nous aimons l'appeler « le plus grand spectacle du monde », mais une grande partie du spectacle s'est estompée précisément à cause de la commercialisation du festival. Pensez-vous que cette pandémie offre une opportunité de repartir de zéro pour que le carnaval puisse redevenir le grand niveleur, tout en mettant en valeur notre créativité et en offrant du plaisir / de la libération?

CE: We definitely get to reset, 'cause in this situation, if it lasts more than just this Carnival, we get to focus on how we want to make it work for us again: activity and participation rather than production and consumption. It doesn’t mean no resources will be exchanged … emotional, physical and monetary currency will still be exchanged, but the motivation would be different. It needs to happen for more than one Carnival, though.

CE : Nous avons certainement l'occasion de repartir à zéro, car dans cette situation, si cela dure plus longtemps que ce seul carnaval, nous pouvons nous concentrer sur la façon dont nous voulons qu'il fonctionne, pour que cela nous convienne : l'activité et la participation plutôt que la production et la consommation. Cela ne veut pas dire qu’aucune ressource ne sera échangée… des devises émotionnelles, physiques et monétaires seront toujours échangées, mais la motivation serait différente. Cela doit cependant durer plus que le temps d'un seul carnaval.

JMF : Quel est votre souvenir préféré du carnaval et pourquoi pensez-vous qu'il est important de continuer à faire vivre le festival ?

CE: The Panorama semi final of 1989 … the excitement and most importantly, the people. It was electric; the panorama tune of choice was ‘Somebody.’ [31] I felt magic and connection. Carnival cannot actually die. I think this year, we can do things to remind us of that by just doing and also feeling … feeling how much we are connected to each other when we celebrate in this feast.

CE : La demi-finale [du concours] Panorama de 1989… l'excitation et surtout, les gens. C'était électrique ; la mélodie sélectionnée était Somebody [31]. J'ai ressenti de la magie et de la connexion. Le carnaval ne peut pas réellement mourir. Je pense que cette année, nous pouvons faire des choses pour nous le rappeler en faisant et en ressentant aussi… en ressentant à quel point nous sommes connectés les uns aux autres lorsque nous célébrons cette fête.

JMF : Partout dans le monde, cette pandémie prouve à quel point les gens dépendent du travail des créatifs. De quelles manières concrètes pouvons-nous mieux valoriser nos artistes ?

CE: I think people do [value artists] but our system is not set up to support the arts industry, so some thought [has to go into] setting up infrastructure for that. The internet and social media have helped tremendously during this time. It is the way we have kept in touch and have shared our work since the start of the pandemic: podcasts [16], online concerts and notices on our website [32].

CE : Je pense que les gens le font [apprécient les artistes], mais notre système n'est pas mis en place pour soutenir le secteur artistique, donc il faut réfléchir à la mise en place d'infrastructures pour cela. Internet et les médias sociaux ont énormément aidé pendant cette période. C'est ainsi que nous avons gardé contact et partagé notre travail depuis le début de la pandémie : podcasts [16], concerts en ligne et avis sur notre site Web [32].

JMF : Quelle est votre vision du carnaval 2021 et au-delà ?

CE: This Carnival, for us to do whatever we can manage that will rekindle our spirit. Beyond? Do work for us, not for outside consumption — a balance between sustenance and creativity.

CE : Pendant ce carnaval, que nous fassions tout ce que nous pouvons pour revivifier notre esprit. Au-delà ? Travaillez pour nous, pas pour la consommation extérieure – un équilibre entre la subsistance et la créativité.