Mardi 12 mars, on célébrait la Journée mondiale contre la cyber-censure et Reporters sans frontières a publiésa plus récente liste des “Ennemis d'Internet” [en français] pointant du doigt la Chine, parmi d'autres états autoritaires.
Jason Ng du site Kenengba [en chinois] essaie d'enrichir le débat en présentant les différentes formes de cyber-censure en Chine.
1. La censure non-transparente
A. L'ouverture ? Quelle ouverture ?
Pour commencer, ce blogueur relève que chaque fois que le gouvernement chinois s'exprime sur la cyber-censure, il déclare que “l'Internet est très ouvert en Chine” et il soutient cet argument avec des statistiques telles que “Il y a plus de 380 millions d'utilisateurs d'Internet en Chine”. Même si les deux déclarations ne comportent aucune relation logique entre elles.
B. Censure excessive
Jason explique ensuite la raison principale pour laquelle les Chinois détestent la censure d'Internet en Chine : son manque de transparence.
J'ai un jour publié un message sur les manifestations contre la construction d'un incinérateur d'ordures à Panyu sur le micro-blog du portail Sina. J'ai reçu un message du webmaster m'informant que mon message avait été supprimé à cause de son “contenu illégal”. J'ai demandé quel règlement mon message avait violé, je n'ai eu aucune réponse. Des incidents similaires arrivent aussi sur les plus grands réseaux sociaux en ligne en Chine.
La raison pour laquelle les cyber-censeurs ne sont pas transparents dans leur pratique est l'absence de transparence du gouvernement… Lorsque les règles ne sont pas claires, les gens ne peuvent pas se conformer au système. L'administration peut réagir de manière positive à des slogans tels que “J'aime le PCC (Parti communiste chinois)” lorsqu'elle est de bonne humeur. Mais lorsqu'elle est de mauvaise humeur, elle les considérera comme de l'ironie. Alors, tout ce que vous pouvez faire est insulter votre écran d'ordinateur en criant”Cheval de l'herbe et de la boue !” (expression crue se référant à la cyber-censure, voir cet article en français).
C. Les protestations de Google
Ce blogueur pense que le mécontentement de Google-Chine est aussi lié à ce manque de transparence:
En Chine, Google.cn reçoit de nombreux mémos [de l'administration chinoise] sur les sites Web fermés et les mots interdits sur la Toile. Impossible d'identifier une logique dans ces fermetures de sites ou une justification juridique quelconque. Tout ce qu'ils disent est “Bloquez ce site pour être en conformité avec la loi”.
2. La machine à censurer
Le blogueur a identifié un certain nombre de mécanismes de censure en Chine.
Les utilisateurs d'Internet en Chine savent que certains mots sont interdits de publication. Lorsqu'ils publient un message, ils expriment l'idée exprimée par ce mot de manière différente ou éliminent d'eux mêmes le contenu pouvant être considéré comme “sensible”.
B. La censure automatisée
Quand la censure est effectuée par des robots, les utilisateurs doivent deviner ce qui pourrait être considéré comme “sensible” chaque fois qu'ils publient un article sur le Net. Voici le genre de péripéties que vivent les utilisateurs d'Internet en Chine :
1. Vous écrivez un billet de 10 000 mots. Si le 100ème ou le 101ème est considéré comme faisant partie des termes interdits, et que vous le publiez :
2.Vous découvrirez que vous n'avez publié que 99 mots et que tous les autres, du 100ème au 9 900ème, auront disparu.
3. Vous ne pourrez pas récupérer les 9 900 mots perdus ; vous devrez donc les saisir à nouveau.
4. Ce n'est qu'alors que vous découvrez que les 100ème et 101ème mots étaient interdits. Vous les changez et vous publiez le billet une nouvelle fois.
5. Mais vous découvrirez que vous ne pouvez publier que 200 mots parce que le 201ème était lui aussi interdit…
Un autre exemple de censure automatique est celle effectuée par le logiciel Green Dam (ou Barrage vert, voir lien pour plus d'informations en français):
C'est quand vous ouvrez 10 pages dans votre navigateur et que sur l'une d'entre elles il y a une photo montrant une grande portion de couleur chair. Voilà! Toutes vos pages se fermeront brusquement. Si vous étiez en train de travailler en ligne sur une des pages, tant pis, tout sera perdu.
De nombreux sites web, plus particulièrement les portails de sites web, doivent avoir une équipe de censeurs. La raison de la fermeture du site Fanfou est qu'il n'avait pas d'équipe interne de censure. Des sites tels que Sina ont des équipes de plus d'une centaine de personnes qui censurent. Un ami qui a travaillé autrefois chez Tencent m'a dit que chaque fois que la situation politique était “sensible”, comme par exemple à l'occasion du Congrès national annuel du Parti, leur travail augmentait. Ils devaient censurer les forums de discussions, les blogs et des comptes de messageries électroniques pris au hasard. En Chine, la correspondance sur Internet n'est pas secrète.
Les censeurs du corps humain n'ont pas de normes dans leur pratique. Souvent, ils jugent selon les normes de leurs supérieurs. Et ils préfèrent en censurer 1000 plutôt que de laisser publier un seul message “sensible”.
La plupart des sites web ont un numéro de licence, ainsi le gouvernement peut-il contacter les webmasters quand il le veut. Quand l'administration de contrôle de l'Internet trouve une information “illégale” en ligne, elle peut appeler le centre des données sur Internet qui contactera le webmaster pour lui demander de supprimer le message “interdit”.
Quelques fois, les censeurs d'Internet ne se limitent pas à demander aux sites web d'effacer des contenus, mais exige aussi d'eux de publier un nouveau contenu ou de rediriger les recherches faites sur ce site vers un site web de l'administration. Ce genre de mises en demeure est appelé habituellement “les pages à en-tête rouge”. Elles sont publiées par l'administration de contrôle d'Internet ou par le bureau d'information du gouvernement.
Les portails web reçoivent, eux, chaque jour, des ordres du bureau de contrôle. Les instructions concernent généralement :
1. Ce dont on ne peut pas parler
2. Ce que l'on peut publier
3. Quel devrait être le titre
4. Les nouvelles à mettre en relief pour les débats en ligne
5. Les mots-clés qui devraient être bloqués ou les recherches qui devraient être redirigées vers un site précis
6. Les informations qui devraient être réservées uniquement à l'agence d'informations officielle chinoise Xinhua et au journal Le Quotidien du peuple
Les membres du jury des mères de famille [en français] viennent de tous les milieux. Certaines ont une expérience limitée d'Internet. Elles reçoivent une formation du gouvernement et doivent présenter régulièrement un certain nombre de contenus web à l'administration comme “ne convenant pas aux enfants”.
Si vous continuez à publier des informations qui ne plaisent pas au gouvernement ou si vous soutenez des mouvements citoyens comme des défilés, des campagnes pour la défense des droits humains, vous recevez une “invitation pour une tasse de thé” (NdT : convocation au commissariat). L'année dernière, à la veille de la fête nationale, un collégien avait considéré, sur Twitter, que les activités de préparation des cérémonies étaient “une perte de temps”. Il a vite été invité par la police à prendre une tasse de thé en leur compagnie. Il a été menacé de ne pas pouvoir étudier dans un bon lycée s'il continuait.
Ce jeune a ensuite gardé le silence sur Twitter pendant longtemps.
Après plusieurs années de management de la censure, le gouvernement chinois est arrivé à la conclusion qu'il doit canaliser l'opinion publique. C'est ainsi qu'il a créé le métier de commentateur d'Internet qui est aussi un moyen de résoudre les problèmes de chômage. Ces commentateurs sont généralement connus comme “le gang des 50 centimes” (plus d'informations via ce lien, en français). Chaque fois que le gouvernement a besoin de canaliser l'opinion publique, le parti des 50 centimes entre en action. Il va écrire et relayer les opinions du gouvernement sur les forums, en commentaires des blogs, sur les portails web ou même sur les sites des médias traditionnels comme les journaux et les chaines de télévision. Ils entrent en action, en général, ensemble et rarement individuellement.
Malgré ces mécanismes de censure si sophistiqués, ce blogueur continue à penser que la démocratie arrivera probablement à remplacer le système brutal de contrôle de la liberté d'expression en Chine. Ce billet a également été publié sur notre site pour la défense de la liberté d'expression en ligne Global Voices Advocacy.