Les temps sont bons pour ceux [en anglais] qui tentent toujours d'expliquer combien tous ces gens qui ont été arrêtés, emprisonnés, ou ont disparu [en anglais] depuis fin février, sont insignifiants au regard de la société chinoise. Les services chinois chargés d'Internet continuent de bloquer en priorité toute allusion aux noms de ces personnes, tandis que la majorité des médias nationaux chinois ignore [en anglais] sciemment l'actualité relative à l'arrestation d’Ai Weiwei.
Même le court message laissé par Hung Huang [en anglais], célébrité de la télévision, au sujet d'Ai Weiwei sur son compte Weibo (plateforme de microblogging équivalent à Twitter en Chine), “Toujours pas de nouvelles”, semble avoir été censuré et éliminé de son fil Weibo. Lorsqu'on lance une recherche sur le nom d'Ai sur Weibo, on obtient invariablement le même message :
根据相关法律法规和政策,搜索结果未予显示。
Les lois, règlements et politiques en vigueur ne permettent pas d'afficher le résultat de la recherche.
Pour en savoir plus sur le peu qui est échangé en public au sujet de l'arrestation d'Ai Weiwei, vous pouvez consulter le billet mis en ligne par le collaborateur de Global Voices Andy Yee. En dehors de Twitter, et au milieu du relatif silence des internautes engagés politiquement mais affaiblis par la disparition de plusieurs d'entre eux et de leurs meneurs, l'une des rares prises de position publiques ces derniers jours a été mise en ligne sur le site Canyu.org [inaccessible le 8 avril 2011] par Ai Xiaoming, universitaire, écrivain et réalisatrice féministe installée à Guangzhou. Son texte s'intitule “Aujourd'hui on peut tous être Ai Weiwei” :
Ai Weiwei a été emmené hier depuis l'aéroport de Pékin et depuis, c'est le silence. Son atelier et son domicile ont été fouillés et 30 ordinateurs ont été entre autres saisis. Dès 21 h, l'information était relayée par les médias du monde entier, alors que, de manière prévisible, les principaux médias chinois n'en rapportaient pas un mot.
De nombreux utilisateurs de Twitter ont appelé à la libération d'Ai Weiwei et une pétition circule à cet effet sur Internet. Un site internet [en chinois] a également été monté afin de donner plus d'informations sur Ai Weiwei. 36 heures ont passé depuis son arrestation, mais nous n'en savons toujours pas davantage.
Ai Xiaoming ajoute quelques réactions, qu'elle a trouvé sous forme de tweets, à celles citées dans le billet d'Andy Yee :
Wuyue Sanren : S'appuyer sur la peur et le spectre de la disparition pour éliminer la contestation et diriger le pays revient, tout d'abord à constater qu'il ne s'agit pas d'un âge d'or. Un âge d'or ne peut prendre place au milieu des poignards et bâtons de la police. En second lieu, cela ne pourra pas durer longtemps ; nous avons tiré de nombreuses leçons du passé qui en témoignent et il nous faudra quand même de nouveau le démontrer.
Zhai Minglei [en anglais] : En tant que spécialiste de l'étude de la société civile, Ai Weiwei est l'un des citoyens les plus exceptionnels que j'ai jamais vu : depuis l’enquête [en anglais] menée pour dresser la liste des noms des victimes du tremblement de terre de 2008, dans le Sichuan, jusqu'à son travail autour du procès de Yang Jia, il s'engage dans les plus beaux des combats. Ce genre de personne ne devrait pas être enfermée mais mériterait plutôt de remplacer aux plus hautes fonctions ceux qui ont la prétention d'assurer une autorité morale. Evidemment, si Ai l'Ancien allait s'assoir dans ce fauteuil de président, il balaierait tout le monde d'une chiquenaude.
Pu Zhiqiang [en anglais] : Dans l'affaire Yang Jia [en anglais], il réclamait justice. Face au désastre consécutif, par la faute des hommes, au séisme du Sichuan, il a lancé une enquête. Quand le Vieux Tan a été écarté, il a voulu aller témoigner mais a été agressé ; quand son assistante Liu Yanping a été appréhendée [en anglais], il a immédiatement fait demi-tour pour se porter à son secours. Quand le quartier des artistes a été menacé de démolition, il s'est sans attendre rendu à leurs côté sur l’avenue Chang'an. A la suite de l'incendie de Jiaozhou [en anglais], il a cherché à connaître la vérité. Après la mort tragique de Qian Yunhui [en anglais], il s'est directement adressé aux médias. Il ne changera pas le monde, mais sans lui, le monde sera très, très différent. Il sortira un jour ou l'autre, mais son visage rond me manque et c'est pourquoi je ne peux garder le silence.
Observant comment le militantisme d'Ai Weiwei s'est peu à peu superposé à sa démarche artistique, notamment depuis un an, Ai Xiaoming poursuit :
Parmi tout ce qui a été expérimenté par Ai Weiwei, on retient notamment son attitude vis à vis de la contestation. Auparavant, lorsque nous étions témoins de mouvements de contestation, nous pensions qu'il fallait se cacher pour les filmer, car nous n'avons pas les moyens de nous opposer à la police. Mai Ai Weiwei et son petit groupe nous ont montré comment, eux, osaient affronter directement la police [en anglais] et combien l'utilisation des nouvelles technologies permettait de prendre l'avantage. C'est grâce à cela qu'Ai est parvenu à faire du fait de filmer un acte hautement citoyen, en montrant aux gens qu'ils avaient le droit de filmer et d'enregistrer, tout comme celui d'examiner de près.
Il est simplement parvenu à montrer aux autorités publiques quel type de statut les personnes filmant quelque chose devraient obtenir. Dans le passé, on ne cherchait pas à mettre l'accent sur l'obtention d'un tel statut, car on avait tous le sentiment que ceux qui filmaient tel ou tel événement étaient en position de faiblesse, susceptibles d'être anéantis [en anglais] à tout moment, et, donc, on évitait ces situations. Lorsqu'il a commencé d'accorder du crédit à cette façon d'agir, Ai Weiwei a fait une découverte capitale. Non seulement au regard du contenu de ses films, mais aussi par l'importance du fait que quelqu'un, caméra au poing, s'était levé. En d'autres termes, il nous démontré que quiconque ayant un appareil photo ou une caméra n'avait pas à s'enfuir, que cette posture, celle de personnes ayant sur elle ce type de matériel et “pouvant” rester debout, était terriblement instructive. Levez-vous, ne reculez pas, continuez de filmer, de vous filmer les uns les autres. C'était une réelle avancée.
Un autre point important était le fait qu'Ai Weiwei et compagnie réagissaient très vite pour filmer et mettre ensuite le document en ligne. C'est une autre des idées qu'il met en avant : il est essentiel d'aller vite et l'impact d'une action dépendra de la vitesse à laquelle elle sera menée. C'est la raison pour laquelle il se hâtait de tourner pour mettre en ligne immédiatement. On peut tirer un autre enseignement de la manière dont il gère son équipe. Lorsqu'elle travaille ensemble, elle affiche une force propre à sa capacité de coordination et qui ne peut être égalée par une personne filmant seule (…).
J'ai écrit un peu sur Twitter aujourd'hui : Ai Weiwei est aux arrêts et il se pourrait qu'il ne sorte pas tout de suite, ni dans les prochains jours, ni, peut-être même, dans les prochaines années. Mais il est soutenu par un public fort de centaines de milliers de personnes, pour la plupart nées dans les années 80 et 90. Beaucoup d'entre elles sont par ailleurs potentiellement du même âge que lui. Et nombreux seront ceux qui vont poursuivre son action et chercher à réaliser ses idéaux. De ce point de vue, Ai Weiwei a gagné par défaut.
Quand je dis qu'il a gagné par défaut, cela ne signifie pas qu'il ne souffrira pas ou qu'il ne risque pas de tout perdre. Ce que je veux plutôt dire, c'est qu'il a mis dans sa façon de défier le pouvoir une vision unique et toute personnelle des choses. Il n'est pas simplement incroyablement courageux, il a un sens de l'humour tranchant, à la fois drôle et plein d'esprit. C'est le type de personne dont la Chine manque tant, le genre de personnalité qui attire tant la jeunesse (…).
La Chine ne revivra plus ses années de Terreur rouge, qui ont vu sous Mao la mise à sac arbitraire de maisons et la persécution continuelle des intellectuels. Mais la fouille d'un domicile et la confiscation d'ordinateurs [en anglais] sont devenues choses courantes. Quelqu'un a dit : si tu continues de parler, le prochain à disparaître, ça sera toi ! En réponse, je pourrais reprendre cette citation d'Ai Weiwei qui circule sur Twitter : “j'ai très peur, je ne suis pas brave. J'ai peut-être même plus peur encore que d'autres. Mais je puise mon courage dans le fait que je sais quel est le danger, et que, si on n'agit pas, ce danger ne fera que grandir et se renforcer.” Notez que j'ai sciemment employé le conditionnel [dans le recours à cette citation] : pensez-vous vraiment qu'il ait peur ? Si vous regardez l'œuvre intitulée Chinese Man, qui faisait partie de Sensitive Parts [en chinois] – une exposition qui s'est tenue à Pékin au mois de mars et durant laquelle quatre artistes ont été arrêtés [en anglais] -, qui ne voudrait pas se débarrasser de son slip [en chinois] et s'essayer à courir, nu, vers la liberté ?
C'est pourquoi j'ai également mis en ligne ce tweet :
Aujourd'hui, on ne voit pas Ai Weiwei sur Twitter. Aujourd'hui, tout le monde peut devenir Ai Weiwei. Si vous l'appréciez, alors vivez comme lui et aimez comme lui. Aimez vos amis, les enfants, tous les chiens et les chats. Aimez ceux que l'on tourmente et parlez pour eux. Vous deviendrez d'innombrables Ai Weiwei. La Chine ne doit pas devenir un désert stérile plein de crabes. En tant que descendants du cheval de l'herbe et de la boue, gardez les yeux ouverts et soyez fiers, vos enfants deviendront des êtres humains, des Chinois heureux.
“Personnes disparues : Ai Weiwei”, un photomontage mis en ligne par le blogueur Shizhao [en chinois].