La photo d'une petite fille portant son petit frère encore bébé dans la salle de classe a secoué la Toile en Chine le mois dernier. Elle évoque l'éternel problème social des enfants “laissés derrière” dans les villages par leurs parents partis travailler dans les villes.
Les discussions en ligne ont été “harmonisées” (censurées) et la phrase-clé “mon petit frère veut dormir” (弟弟要睡了) a été éliminée. Elle est devenue introuvable sur les principaux moteurs de recherche comme Sina, Baidu et Sohu depuis le 7 novembre dernier, suite à la politisation du débat. Le nombre d'enfants abandonnés s'élèverait à 58 millions.
Mon petit frère veut dormir
La petite fille de 10 ans sur la photo s'appelle Long Zhanghuang, et son petit frère de 2 ans s'appelle Zhang Junjie. Leurs parents sont des migrants des zones rurales partis travailler en ville. Les enfants vivent avec leurs grand-parents. Cette classe d'école se trouve dans un village du district de Fenghuang, dans la province de Hunan.
Le blogueur Shichengke explique le contexte social et politique de la
“Mon petit frère veut dormir”. Photo sur Sina de Mian Qu, également disponible sur le domaine public.
“Mon petit frère veut dormir” est une miniature, une métaphore et une interrogation. La photo représente la dure réalité des villages ruraux qui souffrent de la dégénérescence sociale causée par le système d'inscription des ménages à l'état-civil des communes* et par l'absence de sécurité sociale.
Le journaliste Yanlong s'exprime longuement sur la nécessité d'une réforme du système de protection sociale :
Il ne s'agit pas bien sûr d'un problème de droit au sommeil. Notre système de protection sociale n'a pas atteint la base de la société. On parle à peine de la protection des enfants, surtout dans les villages pauvres. Les avantages dont profitent les enfants dépendent du revenu de la famille. Même si la dégénérescence économique n'a pas eu lieu dans les villages, les parents n'ont toujours pas le temps de s'occuper de leurs enfants ; des histoires tristes similaires [à celle de la photo] sont inévitables.
Les grands-parents de la petite fille sont également dépourvus de leur droit de profiter de leur retraite. Contrairement aux retraités vivant en ville, il n'y a pas d'âge de départ à la retraite pour les personnes âgées dans les villages, à cause de l'absence de système de protection sociale. Ils doivent continuer à cultiver leurs terres jusqu'à un âge avancé. “Les enfants n'ont personne pour s'occuper d'eux et les personnes âgées n'ont personne pour les nourrir”: tel est le triste message communiqué par la photo.
58 millions “d'enfants abandonnés”
Pour enquêter sur cette l'histoire, QQ news a envoyé un équipe de reporters et a produit un documentairetrès touchant (avec des sous-titres en anglais).
Le documentaire a généré plus de 5200 commentaires. Ci-dessous se trouve une sélection des commentaires les plus lus :
Dark spirit: La société s'inquiète des enfants abandonnés et rejette la responsabilité sur les parents. Cependant, la société connait-elle le niveau de revenu de ces familles ? Est-il suffisant pour faire vivre la famille et financer l'éducation des enfants sans que les parents aient besoin de travailler dans les grandes villes ? La société pousse à l'inquiétude mais il il n'y a eu aucune suggestion constructive.
Stubborn stone: De nombreux travailleurs des zones rurales ont contribué à la construction des grandes villes et au développement économique, pour vivre. Cependant, à cause des erreurs des politiques gouvernementales et de l'application des décisions officielles dans les grandes villes, les enfants ne peuvent pas suivre leurs parents et être scolarisés dans les grandes villes. Les membres de notre gouvernement n'auront jamais ce genre de problèmes, ils doivent se regarder dans un miroir.
Sesame mud: Ne rejetez pas la responsabilité sur les parents, ils font de leur mieux pour gagner leur vie et subvenir aux besoins de leurs enfants. Ils ne veulent pas quitter leur foyer pour aller se promener. Cependant, en l'absence d'une politique pour les zones rurale et de soutien à l'agriculture, il est impossible de survivre dans les villages. Les personnes ne peuvent même pas respirer à cause de l'inflation et du prix élevé de l'immobilier, et vivre à la campagne est de plus en plus difficile. Le gouvernement est responsable du fait que des enfants vivent dans la pauvreté. Ne racontez pas des histoires en disant que trop de personnes ont besoin d'aide, l'argent des contribuables doit être utilisé pour aider les personnes dans le besoin. Nos impôts sont parmi les plus élevés dans le monde, nous devrions fournir aux enfants un meilleur niveau de vie et les laisser vivre avec leurs parents.
Le journaliste Fu Jianfeng cite un dialogue entre un enseignant et un élève, que l'on peut voir dans le documentaire :
Un enfant a crié : “Je déteste le printemps.” Le professeur lui a demandé pourquoi. Il a dit : “Au printemps, mes parents partent travailler. Ils ne reviendront qu'en hiver.” Cette conversation a eu lieu dans le village de “mon petit frère veut dormir”. J'ai regardé le film avec les larmes aux yeux. Tel est le destin de 58 millions d'enfants abandonnés. La société et le pays leur doivent ce qu'ils ont perdu.
Ndt : les “migrants de l'intérieur”chinois dépendent d'un huji, un passeport intérieur qui les prive de droits élémentaires, comme l'inscription à l'école de leurs enfants, la liberté de circuler, et l'accès à des soins. Voir à ce sujet cet article sur Wikipedia.