La France et la Banque Mondiale proposent une aide à la négociation des contrats miniers en Afrique

Pour célébrer le 40ème anniversaire des accords de coopération monétaire de la Zone Franc, le président de la Côte d'Ivoire Alassane Ouattara et le ministre français de l'économie et des finances Pierre Moscovici, ont publié un texte commun où ils préconisent l'établissement d'une initiative pour mettre fin à “l’exploitation outrancière des réserves africaines” [fr]. A la suite de ce discours, un communiqué de presse de la banque mondiale affirme que la banque a créé un fond pour aider les pays africains à mieux négocier l'exploitation de leurs ressources naturelles [en anglais]. Cette mesure semble mettre en avant de manière officielle non seulement les échecs des gouvernements africains en matière de rentabilisation de leurs ressources mais aussi les avantages disproportionnés obtenus par les exploitants internationaux.

Un besoin pressant 

Cette mesure visant à promouvoir ” promouvoir des contrats commerciaux justes et équitables” est l'information principale à retenir de cette tribune commune. Mais le communiqué fait aussi référence à un passé souvent controversé entre la France et ses anciennes colonies. A. Ouattara affirme que :

Nous entendons lutter contre le décalage qui demeure, trop souvent, entre une vision datée et pessimiste de l’Afrique et le dynamisme économique actuel du continent. L’Afrique du XXIème est en mouvement, en croissance, riche de ses réserves naturelles et désireuse de démocratie. [..] La relation entre la France et l’Afrique doit pour cela être redéfinie, comme l’a souhaité le Président de la République française.


Vidéo de la rencontre entre Ouattara et Moscovici publiée par AbidjanNetTV.

Au Togo, République Togolaise commente le projet et note que:

Dans leur tribune, Alassane Ouattara et Pierre Moscovici appellent de leurs voeux une relation redéfinie entre la France et l'Afrique, après des décennies de liens ambigus, parfois teintés de corruption, entre Paris et ses anciennes colonies.

Sur Jeune Afrique, STÉPHANE BALLONG, citant Makhtar Diop, vice-président de la Banque Mondiale pour l’Afrique,  note la défaillance des gouvernements africains à ce jour et donne plus de précisions sur le contenu du fond d'aide à la négociation:

“Un ministre des mines ou des finances ne dispose pas forcément des ressources nécessaires pour employer l’expertise la meilleure au monde pour négocier des contrats équilibrés.” Il s’agit donc d’essayer de combler cette défaillance en fournissant  aux pays d’Afrique, l’assistance technique nécessaire (ressources financières et humaines) pour obtenir de meilleures conditions contractuelles [..]

Il ajoute :

Cinq grands domaines devront être couverts  par ce fonds : les conseils juridiques pour améliorer les modalités contractuelles des investissements dans les industries extractives, en amont les diagnostics sur la capacité institutionnelle des États, l’aide technique relative aux risques sociaux, les conseils pour des politiques publiques visant à développer des pôles de croissance en amont et en aval de l’industrie extractive. La France s’est engagée à apporter une contribution de quelque 15 millions d’euros qui seront repartis entre la Banque mondiale et la Banque africaine de développement.

Mines de Kailo en RDC par Julien Harneis sur Flickr (CC-license-2.0)

Une mesure contre l'influence de la Chinafrique ? 

De nombreux observateurs suggèrent que ces mesures sont ciblés pour contrecarrer l‘influence grandissante de la Chine en Afrique. Philippe Hugon, directeur de recherche à l'IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques) ne manque pas de noter l'ironie de ces mesures:

Dans le fond, les relations que la Chine entretient avec l'Afrique ressemble avec ce qui se faisait en France il y a une trentaine d'années : des liens forts dans le champs du politique, une non dissociation des liens public/privé et une importante corruption. Le tout sans être très regardant sur les situations environnementale et sociale.

Bacary Goudiaby en RDC note les différentes évolutions entre la Francafrique et la Chinafrique :

La Chine a été un moteur pour la construction d'infrastructures. Elle fait également renaître des projets jugés insuffisamment rentables par les entreprises occidentales. Mais, certaines industries africaines naissantes ont été touchées par la concurrence chinoise, et la population locale ne bénéficie pas toujours de l'effet d'aubaine de ces nouveaux projets, en raison d'un taux insuffisant de “local content”, c'est-à-dire d'embauche et de sous-traitance locale. [..] Malgré des liens forts avec un certain nombre d’États africains, la France a eu tendance, sur le long terme, à se retirer de ce continent. Le poids des investissements, la présence militaire, tous les indicateurs vont dans ce sens.

Pour autant, cette initiative semble indiquer que la France ne compte laisser la Chine élargir son influence sans résistance. Un entretien de M. Moscovici sur Jeune Afrique confirme les velléités de la France. Le ministre français de l'économie affirme ainsi :

L'Afrique subsaharienne ne représente que 3 % des exportations et des importations françaises, avec à peu près 14 milliards d'euros d'importations et 12 milliards d'exportations. C'est trop peu. Je ne veux pas critiquer la Chine, je trouve cela désuet. C'est en réorientant le partenariat entre la France et l'Afrique vers l'investissement que nous trouverons de meilleures réponses. En aidant nos entreprises à mieux appréhender le risque, qu'elles tendent à surévaluer ; à aller de l'avant, en donnant une priorité au secteur de l'énergie où nous avons une grande expertise. Nous n'avons pas à avoir peur des Chinois.

A Madagascar, le rôle de la Chine dans l'exploitation des ressources naturelles du pays et notamment le trafic illégal de bois de rose a été longuement discuté.  Cependant le rôle de la France dans la crise politique malgache de 2009 ont rendu les observateurs locaux méfiants des initiatives françaises pour aider l'Afrique. Ainsi, Lalatiana rapporte les échanges d'observateurs sur les difficultés des pays africains francophones après la colonisation dont cette intervention de Rajo Rajaonarivelo :

Il est indéniable que les français ont voulu implanter des modèles de gouvernance et des gouvernants qui servent leurs intérêts dans les pays anciennement colonisés. Mais, comme on dit, it takes two to tango, il faut bien que nos gouvernants soient d’accord. Etait-ce le cas ? à nous tous d’y répondre. Sur un autre plan, avant la colonisation et même quelques années après, nous avions atteint l’auto-suffisance en riz. Il y a même eu des années où Madagascar en exportait. Aujourd’hui, nous sommes obligés d’importer 200 000 à 300 000 tonnes par an. Je ne pense pas que la France ou le Royaume-uni ait un quelconque intérêt là-dedans.

Il semblerait qu'un consensus existe sur la nécessité pour les pays africains de savoir mieux négocier l'exploitation des ressources naturelles. Si les effets de cette mesure parviennent à des contrats effectivement plus équitables, personne ne se souciera alors que cette initiative ait été faite avec des objectifs géopolitiques bien précis.

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