Alors que l'Iran fait face à de graves troubles suite aux élections très serrées, une question peut-être plus sombre hante le pays : le gouvernement iranien est-il le bailleur de fonds des Talibans afghans ? Si c'est le cas, cela serait un spectaculaire retournement de situation pour le gouvernement iranien, puisqu'à la fin des années 1990 il a été très près d'envahir l'Afghanistan pour causer la chute du gouvernement taliban en représailles des neuf diplomates iraniens exécutés par les combattants talibans à Mazar-i Sharif. De même, cela pourrait pour certains représenter la poursuite de sa politique d'armement des combattants anti-américains en Irak. La blogosphère a discuté de ce sujet durant de longues années, mais récemment les militaires américains ont révélé de nouvelles charges contre Téhéran.
Il ne faut pas prendre cette accusation à la légère, comme le blog Danger Room le note : [en anglais, comme tous les liens de ce billet]
Le programme sociologique de l'armée, le Human Terrain System (HTS) , s'est intéressé à la question et a conclu que dans une partie de l'Afghanistan, l'influence iranienne se limite à la “puissance douce”.
Un récent rapport d'une étude libre de droits menée par les chercheurs du HTS aux Etats-Unis, que Danger Room s'est procuré, démontre la longue histoire des activités iraniennes dans la province afghane de Bamiyan, allant de l'aide humanitaire au soutien militaire direct. Comme le dit sans émotion le rapport : ” L'influence iranienne en Afghanistan, aux aspects négatifs et positifs, est actuelement un sujet intéressant.”
Mais cela reste Bamiyan, une province isolée d'Afghanistan, déjà encline à être du côté de l'Iran, car celui-ci avait aidé ses habitants à résister aux Talibans durant les années 1990. DCRepublican, de son côté, a remarqué quelque chose de plus sinistre dans un rapport sur la montée des violences en Afghanistan :
Un article de l’Army Times détaille la récente révélation que certains groupes d'insurgés de langue farsi se sont soudain trouvés pourvus de tenues pare-balles et de casques en kevlar, ainsi que de tactiques de bataille largement améliorées, et, affreusement, sont devenus plus adroits au tir. Ce qui, combiné à l'énorme augmentation des attentats aux explosifs improvisés (IED) depuis que la saison des combats a commencé au printemps, et en particulier à la présence de plus en plus fréquente des explosifs à pénétration (EFP) sophistiqués, me conduit à la conviction que la guerre est en train de prendre un sale tour vers le pire. Je pense que nous voyons un nouveau méchant entrer en lice, en la personne des Gardiens de la révolution iraniens (IRG), qui, avec ou sans l'accord de la direction iranienne, ont pris sur eux d'instaurer un glissement politique majeur concernant l'Afghanistan.
Pour sa part, Christopher Holton, vice- président du Centre pour la Politique de Sécurité, qui écrit sur Terror Trends Bulletin, y voit la preuve de l'irréfutable perfidie de l'Iran :
L'Iran a aussi appuyé le plus grand allié des talibans, Al Qaida, une autre organisation terroriste sunnite salafiste. Nombreux sont ceux qui mettent encore en doute que l'Iran sponsorise Al Qaida, mais les faits sont là et ne demandent qu'à être analysés, comme votre serviteur l'a écrit dans National Review en mars 2008.
Registan.net prétend cependant le contraire :
La grosse question, c'est de savoir s'il s'agit d'une politique officielle délibérée, comme l'a été le soutien iranien aux insurgés en Irak ? Ou est-ce une activité dévoyée, fruit d'une coïncidence, dans le sud-est de l'Iran ?
Quelques points à ne pas oublier : les talibans qui combattent dans les régions de Farah et Nimroz ne sont pas les mêmes que ceux de Khost, Kapisa, ou Kunar. La contrebande de drogue est significativement plus présente dans la zone, et l'Iran n'opère pas de manière unifiée…
Cela fait deux années d'affilée que nous accusons l'Iran de financer et armer les talibans, et pourtant fort peu de preuves font leur chemin jusqu'au public. Cela ne veut pas dire que ce n'est pas le cas, mais en ce moment même, on trouve des preuves de la présence d'armes de fabrication iranienne à Farah, Herat, et Nimroz, avec la présomption qu'elles ont été délibérément fournies par l'Iran.
Mon intention n'est pas de défendre l'Iran, mais ceci ne constitue pas vraiment une preuve d'ingérence. Il pourrait y en avoir davantage dans les sources classées secret défense, dont les journaux ne parlent pas. Quoi qu'il en soit, armer les talibans ferait prendre à l'Iran un risque tellement inimaginable… qu'il faudrait avoir une preuve quelconque à l'appui de l'affirmation que l'Iran pousse les talibans. Mais dans un cas comme dans l'autre, les accusations continuelles contre l'Iran, en l'absence de preuve qu'un gouvernement serait disposé à dévoiler, sont contre-productives.
Juan Cole jette lui aussi le doute sur l'accusation contre l'Iran :
Le rapport des militaires américains, selon lequel ils ont découvert une cache d'armes iraniennes destinées aux talibans a été analysé sur la station de télévision pakistanaise GEO par des spécialistes de la région. Ceux-ci ont trouvé non plausible l'idée que le gouvernement iranien envoie des armes aux talibans, ils ont en revanche suggéré d'autres causes pour lesquelles les talibans pourraient être en possession d'armement iranien.
Scott Horton, de même, reste sceptique sur l'approvisionnement en armes des talibans par l'Iran :
Aussi facile soit-il de nos jours d'imputer toutes sortes de motivations infâmes au gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad et aux diverses catégories de voyous iraniens, cela n'a pas vraiment de sens. C'est sûr, l'Iran ne porte pas les Etats-Unis dans son coeur, mais il n'a jamais eu non plus de bonnes relations avec les talibans, qui n'ont pas manqué de persécuter les musulmans chiites d'Afghanistan quand ils gouvernaient le pays. Si l'Iran a eu des objectifs en Afghanistan, ç'aura été de garder les talibans sous contrôle et de protéger la minorité chiite. Et pour le moment au moins, c'est parfaitement en ligne avec la politique américaine.
Certes, tout ce débat comporte un angle partisan intéressant : les blogs de droite sont prêts à assimiler, sans guère de preuves, l'Iran au mal, alors que les blogs de gauche n'arrivent pas à comprendre pourquoi au juste l'Iran ferait une chose pareille (et on ignore s'il y a suffisamment de preuves pour les convaincre). C'est un débat qui déborde au-delà des seules cargaisons d'armes. Bill Roggio, le fondateur du Long War Journal, un service de blog avec informations, a argué récemment qu'un commandant taliban dans une province majoritairement chiite d'Afghanistan a été directement financé par l'Iran :
Une frappe américaine tue un commandant taliban soutenu par l'Iran dans l'ouest de l'Afghanistan
Les militaires américains ont tué un commandant -en-chef taliban lié aux milices Qods d'Iran lors d'une frappe aérienne dans l'ouest de l'fghanistan… L'armée américaine a déclaré que Mustafa avait des liens avec le corps des Gardiens de la Révolution Islamique d'Iran – la milice Qods, qui est la division des opérations extérieures spéciales, chargée de soutenir la révolution islamiste khomeiniste.
Registan.net a pourtant mis en doute cette accusation :
Il est intéressant d'explorer les allégations selon lesquelles il y aurait en Iran des éléments susceptibles de soutenir des fractions de l'insurrection en Afghanistan. Comme les observateurs de l'Iran l'ont remarqué, il n'y a en général guère plus que des affirmations que ce lien existe, sans rien de concret que le moindre responsable soit prêt à dire en public pour les étayer. Un cas parfait de Catch-22 (NdT : une situation kafkaïenne) : le gouvernement peut bien avoir toutes les preuves que l'Iran “soutient” les talibans… Mais ne dira en fait à personne ce qu'il en est. C'est trop sensible pour être explicité, mais pas assez pour être prétendu. C'est ça.
Evidemment, poursuit Registan.net, l'armée américaine a pris la précaution de dire que ce n'est probablement pas la politique officielle de l'Iran :
Il est aussi intéressant de noter que les autres sources d'informations insistent sur le fait que les responsables afghans ignorent si Mustafa a le soutien direct de l'Iran, et même les responsables américains affirment qu'ils ne font que soupçonner l'implication d'individus, sans décrire une relation officielle.
Intéressant, en effet. Il ne subsiste ni résolution, ni consensus ou narration établie dans les blogs américains à propos de l'engagement de l'Iran en Afghanistan—la question est, peut-être, trop partisane. Ce qui est étrangement absent, c'est une discussion sur cette question dans les blogs anglophones écrits en Afghanistan. Ils sont restés quasiment silencieux là-dessus, ce qui amène à se demander de quoi peuvent bien parler les blogs persans (quand ils parlent d'autre chose que des élections, évidemment).
(NdT : le billet d'origine a été publié le 14 juin)