Manifestations au Belarus : une philosophe féministe nourrit de grands espoirs pour l'avenir

Sur une place délimitée par de hauts bâtiments en béton percés de fenêtres régulières, des gens sont assis, vus de dos tandis que plus au fond, d’autres, aussi de dos, sont debout,. Ils portent des drapeauxs qui flottent au vent. Au premier plan, une femme debout , lunettes noires, pull blanc, jeans, regarde l’appareil photo en tenant devant son buste, une large pancarte blanche sur laquelle sont 2 lignes de caractères cyrillique ; rouges en haut et noirs en bas.

Lors d’une manifestation devant l'Hôtel du gouvernement à Minsk, au Bélarus, Olga Shparaga tient une pancarte sur laquelle est écrit : « Notre présidente, c'est Tsikhanovskaya. » Photo par Olga Shparaga, utilisée avec permission.

Au grand regret du gouvernement, les manifestant·e·s biélorusses ne perdent pas espoir. Lorsque le président de longue date Alexandre Loukachenko a tenté d’obtenir un sixième mandat consécutif lors des élections du 9 août, des accusations crédibles pointant des fraudes électorales ont suscité la fureur d'un grand nombre de citoyen·ne·s. Dans tout le Belarus, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues, créant les plus grandes manifestations dans le pays depuis son indépendance de l’Union soviétique en 1991, et n’exigeant rien de moins que la démission de Loukachenko, dont le ton est devenu de plus en plus belliqueux pour dénoncer le mouvement de protestation. La police leur a répondu avec des balles en caoutchouc et des arrestations massives.

Les femmes ont été sur la ligne de front de ces manifestations, un fait dûment remarqué par les médias internationaux, allant du Washington Post [en] aux États Unis, au Guardian [en] en Grande-Bretagne. Les « femmes en blanc » [en] font face à la police anti-émeute, brandissant des bouquets de fleurs et exigeant la démission de Loukachenko. Ces prises de position sont sans doute liées au rôle de Sviatlana Tsikhanovskaya, la principale adversaire de Loukachenko qui a officiellement reçu 10 % des voix contre 90 % pour Loukachenko. Mariée à un blogueur célèbre dont la candidature présidentielle a été annulée, elle a depuis fui vers la Lituanie voisine, où elle a mis en place un conseil de coordination pour l’opposition biélorusse [ru] et d’où elle exhorte le monde à ne pas reconnaître la légitimité du pouvoir de Loukachenko.

Ce conseil de coordination comprend plusieurs personnalités de la vie publique biélorusse, dont beaucoup sont toujours au Belarus et participent aux manifestations. L’une d’elles est la philosophe féministe et politique Olga Shparaga, professeure à l’École européenne des lettres et des sciences sociales et humaines du Belarus [en] (European College of Liberal Arts in Belarus). Je lui ai parlé du rôle que jouent les femmes en cette période politique charnière pour le pays, ainsi que de ses espoirs pour le futur. L’interview a été éditée pour alléger le texte et pour des questions de style.

Maxim Edwards (ME) : Qu’est-ce qui vous a poussée à vous engager dans ce mouvement de protestation ? Pourriez-vous expliquer votre rôle au sein du nouveau Conseil de coordination de l’opposition ?

О.Ш.: Первая встреча Координационного совета прошла 19 августа, на ней был избран президиум и определены важнейшие направления работы Совета. Однако 20 августа из Генпрокуратуры Беларуси сообщили, что в связи с созданием Координационного совета возбуждено уголовное дело по статье 361 Уголовного кодекса Беларуси. Непонятно, что это значит для Совета и его участниц и участников, но и по этой причине, и по причине ограниченного времени, Совет только возник, – пока мне сложно говорить о своей роли, или о том, чем я буду заниматься в нем. Очень надеюсь, что Совет продолжит свою работу, и я в нее включусь.

Что меня мотивировало участвовать в этих протестах? Кроме острого недовольства авторитарным режимом, разделяемого с другими беларусками и беларусами, для меня очень важен главный посыл этой предвыборной кампании, выборов и протестов – только вместе мы можем изменить ситуацию в нашей стране. Эту позицию отстаивал штаб одного из кандидатов Виктора Бабарико (который с 18 июня находится в тюрьме), а затем объединенный штаб Светланы Тихановской, Марии Колесниковой и Вероники Цепкало. И ее постоянно озвучивает Мария Колесникова.

Мое понимание действенной, а не номинальной демократии связано с широким политическим участием, с децентрализацией, самоуправлением на всех уровнях и пониманием политиков и лидерок_в как «одних из нас», а общества – как сетей горизонтального сотрудничества. То, как работала команда объединенного штаба, например, через сообщество «Честные люди» (https://honest-people.by), стало подтверждением, что «мы вместе» существует не только на словах.

Но это сообщество только один пример. Такие сообщества теперь повсюду – в кафе «Зерно» в соседнем доме сейчас проходит выставка о росте коллективного самосознания; мои друзья в Бресте работают со множеством других людей над созданием Брестского общественного совета; волонтерки_ы сидят на телефонах психологической помощи пострадавшим от насилия и пыток, и так далее и тому подобное. Это бесконечный список, в котором – миллионы людей, и всем им не нужны лидерки_ы и политики, потому что они сами – ответственные и связанные сетями солидарности акторы.

Olga Shparaga (OS) : La première réunion du Conseil de coordination s’est tenue le 19 août, au cours de laquelle les membres du présidium ont été élu·e·s et ses objectifs ont été décidés. Cependant, le 20 août, le Parquet général biélorusse annonçait qu’une procédure pénale avait été ouverte contre les membres du Conseil de coordination en vertu de l’article 361 du code pénal. On ne sait pas encore exactement quelles en seront les ramifications pour le conseil, ses membres et les participant·e·s. Aussi, du fait que le conseil n’existe que depuis peu de temps, il m’est difficile de parler de mon rôle ou de ce qu’il va impliquer précisément. Cependant, j’espère vraiment que le conseil poursuivra ses travaux et que j'y participerai.

Quelle a été ma motivation ? Je partage avec d’autres Biélorusses une profonde insatisfaction à l’égard de notre régime autoritaire. De plus, le message principal de cette campagne électorale et de ces manifestations est très important pour moi : ce n'est qu'ensemble que nous pouvons changer la situation de notre pays. Cette prise de position a reçu le soutien du siège de la campagne électorale de Viktor Babaryka (en prison depuis le 18 juin), puis du siège commun de la campagne de Sviatlana Tsikhanovskaya, Maria Kalesnikova et Veronika Tsepkalo. Aujourd’hui, Maria Kalesnikova [la seule des trois politiciennes citées qui soit encore au Belarus, ndé] ne cesse de mettre l'accent sur ce fait.

D’après ce que je comprends, la démocratie réelle plutôt que la démocratie nominale s'accompagne d'une large participation politique, de décentralisation, d'autonomie gouvernementale à tous les niveaux, d'une conception des politicien·ne·s et des dirigeant·e·s politiques comme étant « l’un·e d’entre nous » et de la société comme un réseau de coopération horizontale. La façon dont les équipes au siège commun de la campagne électorale ont réussi à travailler ensemble, par exemple à travers la communauté des « Honnêtes gens », confirme que « tous ensemble » n’est pas seulement un slogan.

Mais cette communauté n’est qu’un simple exemple. Maintenant, on trouve de telles initiatives un peu partout : il y a actuellement une exposition sur la montée de cette conscience de soi collective à côté du café Zerno à Minsk ; mes amis de Brest œuvrent à la création du Conseil public de Brest. Des bénévoles sont au bout du fil pour fournir une aide psychologique aux victimes de violence et de torture – une liste interminable comprenant des millions de personnes. Celles-ci n’ont pas besoin de chef·fe·s de file ou de politicien·nes·s, parce qu’elles sont elles-mêmes des acteurs et actrices responsables, relié·e·s par des réseaux de solidarité.

ME : Que pensez-vous de la façon dont Sviatlana Tsikhanovskaya a été traitée par la presse internationale ? Plusieurs publications ont dit qu’elle était une « femme au foyer » (ce qui est quelque peu trompeur puisqu’elle est aussi professeure d’anglais), mais elle est probablement plus en vue que son mari, le blogueur Syarhei Tsikhanovski.

О.Ш.: Светлана Тихановская сыграла и продолжает играть очень важную роль как одна из видных акторок протестов и перемен. На наших глазах она стала политиком, т.е. той, кто готова брать ответственность за большое сообщество – всю страну. Поскольку Сергей Тихановский был задержан еще 29 мая, мне сложно судить о нем как о политике, у него не хватило времени показать себя в этом качестве.

С одной стороны, Светлана Тихановская стала символом того, что политиком может стать практически каждый человек. С другой стороны, все же это образованная и очень открытая и искренняя женщина, а это значит, речь об определенном типе политика. Эти ее качества – открытость, искренность и готовность к самопожертвованию, – думаю, сыграли существенную роль для признания ее обществом. Она говорила с обществом на одном языке – сопереживания и со-участия. Я очень рада, что наше общество откликнулось именно на этот язык/дискурс.

OS : Sviatlana Tsikhanovskaya a joué et continue de jouer un rôle très important : elle fait partie des figures les plus importantes de ces manifestations et du mouvement pour le changement. Elle s’est transformée en politicienne sous nos propres yeux. Je veux dire par là qu’elle est maintenant prête à prendre la responsabilité d’une communauté considérable – du pays tout entier. Étant donné que [son mari] Syarhei Tsikhanovsky a été détenu le 29 mai, il m’est difficile de juger de ses mérites en tant que politicien. Il n’a tout simplement pas eu assez de temps pour faire ses preuves.

D’une part, Sviatlana Tsikhanovskaya est un symbole : quiconque, ou presque, peut devenir politicien·ne. D’autre part, c'est une femme instruite, sincère et très ouverte, et donc un type très particulier de politicien·ne. Ces qualités – ouverture, sincérité et sens du sacrifice – ont joué un rôle clé dans la reconnaissance que la société biélorusse a montré à son égard. Elle a fait preuve de ces mêmes qualités – d’engagement et d’empathie – dans son contact avec les gens. Je suis très heureuse que notre société ait si bien répondu à ce discours.

ME : Néanmoins, en dehors du sexisme affiché envers elle par Loukachenko lui-même, il y a le fait qu’elle a également utilisé des stéréotypes qu’on pourrait catégoriser comme de « l’essentialisme de genre » dans sa propre campagne. Elle a joué la mère qui veut être laissée tranquille afin de s’occuper de sa famille, mais que la nécessité et les circonstances ont projetée sur la scène publique. Dans quelle mesure ce cadrage est-il, ou pas, féministe ?

О.Ш.: О феминистском измерении фигуры Светланы Тихановской я бы говорила в смысле impowerment(а) женщин. В беларусском обществе много женщин активисток, женщин в общественных организациях, в сфере независимой культуры. Но они часто не видны, поскольку мужчины остаются на руководящих позициях и поддерживают друг друга, в том числе в СМИ, значительно больше, чем женщин или женщины друг друга. Светлана Тихановская как символ выхода в сферу публичности служит мощным мотиватором для роста решительности других женщин. И я очень надеюсь, что мужчины это также понимают, уважают и принимают во внимание.

Однако я не считаю верным и правильным рассматривать Светлану Тихановскую только как единичную фигуру. Для усиления ее позиция огромную, если не решающую роль сыграло возникновения 16 июля объединенного штаба: три женщины, – кроме Светланы, еще Мария Колесникова, глава штаба Виктора Бабарико, и Вероника Цепкало, представляющая своего мужа, также участвовавшего в предвыборной компании и вынужденного из-за преследований уехать из страны, – сделали то, что не удавалось оппозиционным политикам в Беларуси на протяжении 26 лет, создав объединенный штаб с поддержкой в виде всего общества! Это придало сил и энергии Светлане Тихановской, и в этом смысле я также говорила бы о ней как о коллективном субъекте, своего рода ассамблеи (assembly) в духе Джудит Батлер. И вот внутри этого коллективного субъекта мы видим более четкую феминистскую позицию – Марии Колесниковой сказала о том, что она феминистка в одном из интервью.

Понятно, что это не тот феминизм, о котором размышляет сегодня Нэнси Фрезер, или та же Батлер – где речь идет о полноценном, всестороннем и реальном равенстве женщин (я писала про эту повестку тут например). Речь, скорее, о формировании нового коллективного женского субъекта в Беларуси, который является образцом для солидаризации, ненасильственного сопротивления и горизонтального сотрудничества всего общества.

OS : Quand il s’agit de comprendre le rôle de Sviatlana Tsikhanovskaya dans un contexte féministe, je préfère parler de l’émancipation des femmes. Il y a beaucoup de militantes dans la société biélorusse, beaucoup de femmes dans les organisations publiques ou dans la culture indépendante. Mais elles sont rarement visibles, car les hommes occupent les postes de direction et se soutiennent mutuellement, y compris dans les médias, beaucoup plus que les femmes ne le font les unes pour les autres. Sviatlana Tsikhanovskaya est donc un facteur de motivation important pour les autres femmes, les aidant à devenir plus déterminées. Et j’espère vraiment que les hommes comprennent et respectent cela.

Cependant, je ne crois pas qu’il faille vraiment considérer Tsikhanovskaya comme une figure unique. Le siège [de campagne] commun, créé le 16 juillet, a joué un rôle important, voire décisif pour consolider sa position. Il est dirigé par deux autres femmes aux côtés de Sviatlana [Tsikhanovskaya]. Maria Kalesnikova a dirigé le siège de la campagne pour [le candidat de l’opposition] Viktor Babaryka. Veronika Tsepkalo, qui représente son mari, a également participé à la campagne électorale, et elle a été forcée de quitter le pays pour cause de persécution. Elles ont accompli ce que les politiciens de l’opposition biélorusse n’avaient pas réussi à réaliser ces 26 dernières années : elles ont créé un quartier général uni avec le soutien de toute la société ! Cela a donné de la force et un coup de pouce à Tsikhanovskaya ; en ce sens, je voudrais parler d’elle comme d’un « sujet collectif », d'un « assemblage » dans le sens où l’entend [la philosophe américaine] Judith Butler. La position féministe peut être vue plus clairement dans ce « sujet collectif ». Après tout, Maria Kalesnikova s’est elle-même qualifiée de féministe dans une interview.

Bien sûr, ce n’est pas le genre de féminisme dont parle aujourd’hui Nancy Fraser, ni même le féminisme de [Judith] Butler. Ces deux positions concernent l’égalité complète, globale et réelle des femmes dans tous les domaines (j’ai écrit sur la question ici [en], par exemple). Il s’agit plutôt de la formation d’un nouveau « sujet collectif féminin » au Belarus, qui serait un modèle de solidarité, de résistance non-violente et de coopération horizontale dans la société.

ME : Il y a une juxtaposition très prononcée entre l’image de Loukachenko, le président patriarcal, et les femmes en blanc. Que pensez-vous de l’efficacité de cette forme de « protestation genrée » dans le contexte des normes sociales patriarcales ?

О.Ш.: Я не скажу, что беларусское общество такое уж консервативное. Так, исследование ценностей нашего общества 2019 года, проведенное Research Center IPM, показало, что 90% граждан осуждают насилие в семье. Однако если мы обратимся к общественным организациям, то увидим типичный для значительного числа современных, поляризованных обществ раскол между (правыми) консерваторами и приверженцами эмансипации. А большинство партий, которые были основаны еще в 1990е, позиционируют сегодня себя как право-центристы. Однако у них очень небольшая поддержка в обществе! А вот Светлану Тихановскую и объединенный штаб поддержало чуть ли не все общество.

OS : Je ne pense pas que la société biélorusse soit si conservatrice que ça. Par exemple, une enquête sur les valeurs sociales menée par le centre de recherche de l’Institut de privatisation et de gestion en 2019 a montré que 90 % des citoyen·ne·s sont contre les violences conjugales. Cependant, si nous nous tournons vers les organisations sociales, nous voyons un clivage entre, d’une part, les conservateurs (de droite) et, d’autre part, les défenseurs d’une émancipation sans réserve. Un tel clivage est typique de nombreuses sociétés modernes et polarisées. La plupart des partis politiques fondés dans les années 1990 se positionnent aujourd’hui comme des centristes de droite. Cependant, ils reçoivent très peu de soutien dans la société actuelle ! En revanche, Sviatlana Tsikhanovskaya et l'équipe du siège commun [de l'opposition] sont soutenus par presque toute la société.

ME : Il me semble que le rôle des femmes dans les manifestations évolue. Elles ne sont plus considérées comme passives, soutenant leurs maris ou leurs fils, en cousant des drapeaux ou en leur rendant visite en prison. Tout comme Sviatlana Tsikhanovskaya n’est plus « l’épouse du blogueur », mais une actrice politique à part entière. Voyons-nous l’émergence dans le discours populaire au Belarus, des femmes en tant que citoyennes, plutôt qu’en tant qu'épouses de citoyens engagés politiquement ? Cette émancipation des femmes pourrait-elle former la base d’une nouvelle prise de conscience féministe dans la vie publique biélorusse ?

О.Ш.: Отсюда я делаю вывод, что в нашем обществе есть предпосылки для поддержки широкого феминистского движения и феминисткой повестки. Это не значит, что их представительницам_ям не придется бороться за свои ценности и их воплощение в моральных и правовых нормах (например, в Законе о противодействии насилию в семье, за который в Беларуси борется в первую очередь такая кампания, как «Маршируй, детка!»). Однако мне очень хочется надеяться, что после беларусской революции с женским лицом и обществу, и участницам феминистского движения и повестки это будет делать легче.

OS : Cela m’amène à conclure que des conditions préalables sont nécessaires pour que la société biélorusse soutienne un vaste mouvement féministe et un programme féministe. Cela ne veut pas dire que les représentant⸱e⸱s de tels mouvements n’auront pas à se battre pour leurs valeurs et pour les intégrer dans les normes morales et juridiques (par exemple, la nécessité d’une loi contre les violences conjugales, pour laquelle les militant·e·s ont lancé la campagne « Défile, chérie ! ») Cependant, j‘aimerais tant qu’après cette révolution biélorusse au visage féminin, les choses deviennent plus faciles pour les membres du mouvement féministe et pour la société en général.

ME : Que représente le tableau Eva de Chaim Sutin pour les manifestant⸱e⸱s?

Timbre. Portrait de femme sur fond sombre. Visage ovale, cheveux courts et noirs. Elle regarde droit devant elle, les bras croisés.

Eva, un tableau de Chaim Sutin de 1928, sur un timbre bélarussien de 2015. Image tirée de Wikimedia Commons, domaine public.

О.Ш.: Для меня «Ева» была важна по нескольким причинам. Во-первых, это работа из коллекции «Парижской школы», которая сформировалась в Париже выехавшими в начале 20-го века с территории Беларуси еврейскими художниками. Самый известный ее представитель – Марк Шагал. Для меня это символ пост-национальной, многокультурной Беларуси.

Во-вторых, конечно же, с первой минуты «Ева» стала для меня символом, лицом политически и социально активных женщин в Беларуси. В этой коллекции много работ, но именно Ева – не та, на которую смотрят, а та, которая смотрит сама; сложившая руки так, словно требует отчета о своей деятельности других; строгая и серьезная, – стала символом всей, арестованной 14 июня арт-коллекции Белгазпромбанка.

И этот облик Евы – субъекта взгляда и оценки – опять же поддержали не только беларусские женщины, связанные с искусством, но и мужчины, – например, Николай Халезин из беларусского «Свободного театра» в Лондоне или Никита Монич, написавший о Еве стихотворение, за которое он лишился работы экскурсовода в Беларусском Национальном художественном музее в Минске. Значит, «Ева» ответила на запросы людей, связанных с культурой, а затем и более широкого круга людей, что, на мой взгляд, сыграло свою роль и для формирования объединенного штаба – солидаризация вокруг Евы показала потенциал женского политического участия для солидаризации и протестов в Беларуси.

OS : Pour moi, Eva est un tableau important pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il s’agit d’un tableau de l’École de Paris, formée au début du XXe siècle par des émigrés juifs du territoire du Belarus moderne, et représentée notamment par Marc Chagall. Pour moi, c’est le symbole d’un Belarus post-national et multiculturel.

Deuxièmement, il va sans dire qu’Eva est devenue pour moi très tôt un puissant symbole : c'est le visage des femmes politiquement et socialement actives au Belarus. Il y a beaucoup d’œuvres dans cette collection, mais Eva, on ne la regarde pas, elle se regarde elle-même. Elle est sévère, sérieuse, les bras croisés, comme si elle nous demandait des comptes pour nos propres actions. Eva est devenue le symbole de la collection d’art de Belgazprombank [banque commerciale russe basée en Biélorussie, ndt], dont la haute direction a été arrêtée le 14 juin [arrestation largement considérée comme politiquement motivée, puisque le PDG de longue date de la banque était le candidat de l’opposition Viktor Babaryka, ndé].

Cette perception d’Eva, qui fait l’objet d'un vaste débat, est non seulement soutenue par les femmes biélorusses dans le monde de l’art, mais aussi par des hommes tels que Nikolaï Khalezine du Théâtre libre biélorusse (Belarusian Free Theatre) établi à Londres, ou Nikita Monitch, qui lui a perdu son emploi de guide touristique à la Galerie nationale d’art biélorusse de Minsk après avoir écrit un poème dédié à Eva. Ainsi, Eva a d’abord séduit les gens du monde de la culture, puis un cercle beaucoup plus large qui, à mon avis, a joué un rôle dans la formation d’un quartier général de l’opposition unie. Cette solidarité autour d’Eva a démontré le potentiel de la participation politique des femmes, le potentiel de la solidarité et le potentiel des manifestations.

ME : Quels sont vos espoirs et que présagez-vous pour l’avenir ? Peut-on espérer un apaisement ?

О.Ш.: Когда мне удается дистанцироваться от происходящего, я вижу, какую огромную работу проделало наше общество: совсем недавно мы сомневались, выйдет ли 100 тыс на улицы Минска – вышло больше; потом волновались, будут ли забастовки на гос предприятиях – они начались и продолжаются; нас поразили регионы, и так далее и тому подобное. Поэтому мы верим в победу, однако остаемся и реалистами – думаем про то, что революция может затянуться, и нам предстоит работа. Однако, я очень надеюсь, и вижу признаки этого, что общество готово и к ней – как большая децентрализованная горизонтальная сеть солидарности и взаимопомощи.

OS : Quand j’arrive à prendre un peu de recul par rapport à tout ce qui se passe, vraiment je constate l'énorme travail que notre société a accompli. Jusqu’à tout récemment, nous doutions que 100 000 personnes descendent dans les rues de Minsk. Alors qu’en fait, il y a en a eu beaucoup plus. Ensuite, nous nous sommes demandé s’il y aurait vraiment des grèves dans les entreprises détenues par l'État. Mais elles ont démarré, et continuent toujours aujourd’hui. Nous avons été tout aussi surpris par la réponse des régions. La liste est longue. C’est pourquoi nous croyons à la victoire, tout en restant réalistes. Nous pensons aussi que la révolution risque de s’éterniser et il y a encore beaucoup de travail à faire. Cependant, j’espère vraiment que la société, qui est devenue un vaste réseau horizontal décentralisé de solidarité et d’assistance mutuelle, est prête. Des signes indiquent bien, qu'en effet, elle est prête.

Pour en savoir plus sur la crise politique au Belarus, consultez notre dossier spécial.

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