Aïta : ce film yakoute censuré en Russie

Capture d'écran de la bande-annonce officielle du film sur YouTube. Utilisée avec permission.

[Sauf indication contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.]

« Aïta », film du réalisateur yakoute[fr] Stepan Birnashev[fr], a été retiré[ru] des plateformes de streaming en Russie à la demande[ru] de Roskomnadozor [le Service fédéral de supervision des communications, des technologies de l'information et des médias de masse russe].

Selon[ru] Roskomnadzor, le film essaye de « briser les principes de l'unité des peuples en Russie ». L'intrigue du film se déroule autour d'une histoire de viol, où un policier russe est suspecté d'avoir violé une fille yakoute.

Bande-annonce officielle du film Aïta.

Le journal en ligne Meduza a publié[ru] l'intrigue du film. Aïta est un film dramatique enrichi de nuances policières. Tourné en Yakoutie [également appelée République de Sakha] en 2019, l'histoire commence lorsque Nikolaï Innokentyevitch, l'officier de police [yakoute] du village, apprend qu'Aïta, une écolière du coin, est hospitalisée après avoir tenté de mettre fin à ses jours. La raison de cette tentative de suicide ? Un mot dans sa poche disant « Afonya, je te déteste !!!.» Afanasy [Afonya] Shchukin, un officier de police [russe] du coin, a raccompagné Aïta chez elle après l'avoir retrouvée avec un groupe tapageur d'adolescents ivres. L'intrigue se corse lorsque l'on apprend que le mot indiquant que la mère d'Aïta était soi-disant chez elle a été écrit par Shchukin lui-même. Malheureusement, Aïta décède et l'annonce de sa grossesse choque tout le village, portant des doutes sur Shchukin. Malgré les nombreuses accusations du village, Innokentyevitch place Shchukin en cellule pour le protéger de potentiels dangers. La tension montant d'un cran, le suspense est intensifié par les conditions météorologiques isolant le village, portant le public à se demander quel est le véritable ordre des événements.

Contrairement à ce que pourrait croire Roskomnadzor, ce film ne cherche pas à faire le contraste entre les bonnes et mauvaises facettes de différentes nationalités. Tandis que le chef de la police Nikolaï Innokentyevitch est représenté comme étant un officier sévère, quoique brusque, un autre policier, Ayaal Sleptsov [également yakoute], est représenté comme étant lunatique bien que pas totalement malveillant. D'un autre côté, le portrait de Shchukin se pencherait vers celui d'une pipelette sympathique, malgré ses défauts. La vitesse de propagation des rumeurs et l'ère digitale de la désinformation sont des thèmes majeurs, menant à de fausses accusations et une hystérie générale. Le réalisateur place habilement le doute dans la tête des spectateurs quant à l'innocence de Shchukin et aux véritables raisons derrière le terrible destin d'Aïta.

La conclusion, bien que didactique, met l'accent sur les leçons apprises par les personnages telles que l'importance de la patience, la compréhension et la communication dans notre ère digitale où tout va à 100 à l'heure. Certains critiques ont trouvé la nature explicite de cette fin légèrement gênante. Cependant, c'était cette même clarté qui a échappé à l'interprétation de Roskomnadzor.

Comme l’a écrit[ru] en 2020 le critique cinématographique Anton Dolin,

It's become a recurring sentiment among film critics to emphasize the uniqueness of Yakut cinema. Even though Yakutia is a part of the Russian Federation, its cinematic style distinctively stands apart from mainstream Russian films. While Yakut films find a dedicated audience within their region, they are often met with curiosity and hesitation in the larger parts of Russia. 

The true essence of Yakut cinema is its deep connection to the daily life, issues, and cultural richness of the Republic of Sakha. It captures the breathtaking Yakut landscapes and age-old traditions without the intent of broad universal appeal. This authenticity is what draws local audiences in droves, making even the riskiest and most experimental of films profitable within Yakutia, whereas they might be deemed too adventurous to produce or distribute in cities like Moscow or St. Petersburg.

Les critiques cinématographiques semblent de plus en plus mettre l'accent sur l'unicité du cinéma yakoute. Même si la Yakoutie est une région appartenant à la Russie, son style cinématographique se détache des films traditionnels russes. Tandis que les films yakoutes cherchent à avoir un public spécial au sein de leur région, ils déclenchent souvent de la curiosité et de l'hésitation dans de plus grandes parties de la Russie.

L'essence même du cinéma yakoute est sa profonde connexion avec la vie quotidienne, les problèmes, et la richesse culturelle de la République de Sakha. Il capture les paysages yakoutes à couper le souffle et les vieilles traditions sans l'intention d'un vaste attrait universel. C'est cette authenticité qui donne envie aux locaux de regarder ces films, rendant les films les plus risqués et expérimentaux rentables au sein même de la Yakoutie, tandis qu'ils seront peut-être vu comme trop risqués à produire ou diffuser dans des villes telles que Moscou ou Saint- Pétersbourg.

Il demeure toujours incertain quant à ce que Roskomnadzor remette Aïta sur les plateformes de streaming. Comme l'a souligné[ru] Meduza, l'essence du film, qui défend la compréhension et l'unité au milieu d'une tragédie, serait célébrée plus que censurée, si la Russie était une société normale.

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