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En cette nouvelle année, la polémique sur les “rolezinhos” [“petites virées”] a révélé que, pour une certaine frange de la population brésilienne, tout le monde n'a pas le droit d'accéder aux lieux de consommation. Les “rolezinhos” sont des rendez-vous que les jeunes de banlieue se donnent à travers les réseaux sociaux, pour une virée dans les centres commerciaux de la région métropolitaine de São Paulo.
La définition de rolezinho, c'est draguer beaucoup, se divertir, créer une certaine confusion, mais sans voler. Ces rencontres interrogent la culture de la consommation, la perception des inégalités et la revendication d'accéder à l'espace public fréquenté par la classe moyenne de São Paulo.
Ce phénomène social est lié à l'augmentation du niveau de vie des classes populaires. Ce qu'il apporte de nouveau c'est qu'il met en évidence la culture propre à ces classes, dont le vocabulaire, les tenues et le comportements célèbrent la lutte pour la reconnaissance. Emicida, le rappeur qui a commencé sa carrière dans la périphérie de São Paulo, a twitté :
Involuntariamente ( ou não ), o fenomeno já é uma das mais inteligentes formas de denunciar o racismo no Brasil. http://t.co/bY8UuxrQFv — emicida (@emicida) 17 dezembro 2013
Involontairement (ou non) le phénomène est déjà l'une des façons les plus intelligentes de dénoncer le racisme au Brésil.
Dans une vidéo postée sur le site de Estadão, Jefferson Luís, 20 ans, organisateur du rolezinho du Centre Commercial International de Guarulhos [Shopping Internacional de Guarulhos], explique que l'objectif est d'offrir un loisir à ces jeunes discriminés.
“Trouble à l'ordre public” ?
Depuis que 6000 jeunes se sont réunis au Centre Commercial International de Guarulhos le 7 décembre 2013, les rencontres ont été traitées comme un trouble à l'ordre public. Le 14 décembre, 23 personnes ont été arrêtées lors des premiers “rolezinhos”, en raison d'une forte présence policière et alors même qu'aucun vol n'a été constaté. Le Comando SP, canal d'informations sur le trafic routier à São Paulo, a twitté :
Mesmo sem crimes, “rolezinho” causou pânico e levou polícia a shopping de Guarulhos: Um fantasma … http://t.co/OMzAqLrxtY #Noticia #SP — COMANDO SP (@COMANDO_SP) 16 dezembro 2013
Même sans délits, le “rolezinho” a provoqué la panique et a amené la police au centre commercial de Guarulhos : Un fantasme…
Dans un message transmis via Estadão, le 14 décembre, la Police Militaire a prévenu :
Como tratam-se de ambientes cuja competência pela segurança é privada, a atuação ocorrerá mediante eventual quebra da ordem e acionamento. É importante esclarecer que a PM não pauta sua conduta na repressão pura e simples, mas procura agir de maneira preventiva, atuando para restabelecer a ordem pública quando esta é quebrada, diz a nota.
Comme il s'agit d'environnements dont la responsabilité en matière de sécurité est privée, l'intervention n'aura lieu qu'en cas de signalement d'un éventuel trouble de l'ordre. Il est important de préciser que la police militaire n'oriente pas sa conduite dans la répression pure et simple, mais cherche à agir de manière préventive, afin de rétablir l'ordre public quand celui-ci est mis en cause, dit le message
Le samedi 4 janvier, les portes du Shopping Metrô Tucuruvi, dans la zone nord de São Paulo, se sont fermées avec 3 heures d'avance après que 400 jeunes s'y furent réunis. L'événement a divisé l'opinion sur les réseaux sociaux. Alors que quelques twittos, comme Radical Livre (@RLivre) ont félicité les organisateurs du rolezinho, le considérant comme “un acte politique d'une grande répercussion qui a obligé tout le monde à se remettre en question”, d'autres, comme l'utilisateur Ribocom VS (@advemconstrucao), ont critiqué ce rassemblement de la part “d'une jeunesse qui voit dans la terreur une forme d'amusement”, proférant souvent des commentaires révélateurs d'un profond racisme d'une partie de la population brésilienne.
La journaliste et écrivain Eliane Brum (@brumelianebrum) a écrit sur ce thème un article dans le journal El Pais. Elle décrit la situation comme une criminalisation de la jeunesse pauvre et noire par la classe moyenne et les médias. Elle écrit :
A resposta violenta da administração dos shoppings, das autoridades públicas, da clientela e de parte da mídia demonstra que esses atores decodificaram a entrada da juventude das periferias nos shoppings como uma violência.
La réponse violente de l'administration des centres commerciaux, des autorités publiques, de la clientèle et d'une partie des médias démontre que ces acteurs ont interprété l'entrée de la jeunesse des banlieues dans les centres commerciaux comme une violence.
Le professeur de l'Université Fédérale de São Paulo (Unifesp) Alexandre Barbosa Pereira, auteur d'une recherche sur les manifestations culturelles des banlieues de São Paulo, décrit le “Rolezinho” comme un terme simplement lié à l'idée de loisirs, une revendication du droit de se divertir dans la ville. Dans un entretien accordé à Eliane Brum, le chercheur affirme que :
Os rolezinhos não são protestos contra o shopping ou o consumo, mas afirmações de: Queremos estar no mundo do consumo, nos templos do consumo. Entretanto, por serem jovens pobres de bairros periféricos, negros e pardos em sua maioria, e que ouvem um gênero musical considerado marginal, eles passam a ser vistos e classificados pela maioria dos segmentos da sociedade como bandidos ou marginais.
Les rolezinhos ne sont pas des manifestations contre le centre commercial ou la consommation, mais des affirmations : “nous voulons faire partie du monde de la consommation, [être] dans les temples de la consommation”. Cependant, parce qu'ils sont de jeunes pauvres des quartiers périphériques, en majorité noirs et métis, et parce qu'ils écoutent un genre musical considéré comme marginal, ils sont mis dans des cases par la majorité des secteurs de la société et considérés comme des bandits ou des marginaux.
La frime est funk
Le mouvement a aussi été associé au “funk de la frime” [“funk da ostentação”], étant donné que les participants des rolezinhos pénètrent dans les centres commerciaux en scandant les paroles de chanteurs des banlieues du littoral et de la région métropolitaine de São Paulo. Leurs phrases évoquant le luxe, l'argent et le plaisir, donnent l'image d'une consommation accessible à la population des périphéries.
Une de ces idoles est Mc Daleste, un funkeiro assassiné durant un concert à Campinas en juillet 2013. La tendance est expliquée dans le documentaire Funk Ostentação. Le film a été réalisé en 2012 par Konrad Dantas, habitant de la banlieue de Santos. A 23 ans il a abandonné son travail dans une agence de publicité pour ouvrir son agence de production, Kondzilla, responsable d'environ 50 clips de funk et de 50 millions de visualisations.
Pendant ce temps là, de nombreux jeunes utilisent le mot-clé #rolezinho sur Twitter, Facebook et Instagram pour partager des photos de leurs “rolezinhos”.
#Rolezinho no shoppis de leves, comer aquele McDonald's Brasil, e jaja será que rola uma Eazy club, to querendooo… http://t.co/oQNiwSFrnf
— Will Brigadeiro (@Willbrigadeiro) 4 janeiro 2014
#Rolezinho au centre commercial en toute tranquillité, manger au McDonald's Brasil, et lol est-ce qu'on va avoir un Eazy club, c'est ça que je veux…
Renato Rovai, éditeur de la revue Fórum, a écrit sur son blog un texte intitulé “O rolezinho e um Natal na periferia” [“le rolezinho est un Noël en banlieue] où il attire l'attention sur la signification des rolezinhos et lance un appel à la compréhension :
Os rolezinhos que assustam os frequentadores de shopping centers são café pequeno. Sobremesas do que essa garotada passa diariamente. E são apenas um alerta. Um grito de existência. Por enquanto eles só estão pedindo para que se respeite o direito deles à diversão.
Les rolezinhos qui font peur aux clients des centres commerciaux sont du pipi de chat. Une petite douceur comparé à ce que cette génération vit chaque jour. Et ce n'est qu'une alerte. Un cri d'existence. Pour le moment, ils demandent seulement que leur droit à l'amusement soit respecté.
Et il termine:
É bizarro que a gente considere esse apartheid social algo normal.
C'est bizarre que les gens considèrent cet apartheid comme quelque chose de normal.