Trinité-et-Tobago peut-elle dépasser les clivages raciaux en politique ?

Kamla Persad-Bissessar, Prime Minister of Trinidad and Tobago, speaking in Washington, D.C. last year. Photo by Juan Manuel Herrera/OAS, used under a CC license.

Kamla Persad-Bissessar, Premier ministre de Trinité-et -tobago, s'exprime à Washington, D.C. l'an dernier. Photo de Juan Manuel Herrera/OAS, sous licence Creative commons.

Satnarayan (Sat) Maharaj semble être une personnalité politique et religieuse clivante à Trinité et Tobago. Ses déclarations en tant que secrétaire générale du Sanatan Dharma Maha Sabha, l'organisation hindoue la plus importante et active, ont souvent divisé les autres communautés ethniques du pays, les Trinidadiens d'origine africaine. A savoir: les Indo-trinidadiens ont toujours historiquement voté en faveur du parti du Premier ministre actuel Kamla Persad-Bissessar, le United National Congress, tandis que les Afro-trinidadiens votent majoritairement pour le People's National Movement.

Plus récemment, les propos de Maharaj lors d'une commémoration au Maha Sabha de l'arrivée des premiers Indiens – et le silence du Premier ministre – ont fait les gros titres. Cette journée de commémoration marque l'anniversaire de l'arrivée des premiers Indiens envoyés pour travailler sur l'île. La dénomination de ce jour férié, auparavant simplement dénommé Jour de l'arrivée, est controversée, puisque les personnes du sous-continent indien qui ont migré pour travailler les terres agricoles de la Trinité n'appartenaient pas à un seul groupe ethnique et n'étaient que l'un des groupes qui sont arrivés et ont permis de créer une société multiculturelle. La république insulaire, constituée de deux îles, à ce jour, est l'un des territoires les plus multiculturels de la région.

Dans son discours, Maharaj prétendait que ces générations de fonctionnaires loyaux au People’s National Movement (PNM), un parti fondé sur la base d'électeurs d'origine africaine qui a constitué le tout premier gouvernement indépendant du pays à la fin de la période coloniale, en 1956, ont empêché un autre parti d'accéder à un second mandat.

Les propos dérangent un grand nombre de personnes, dont Reginald Dumas, ancien responsable du service public qui s'est exprimé à ce sujet, demandant que le Premier ministre Kamla Persad-Bissessar fasse une déclaration pour dire si elle approuve ou non les propos de Maharaj, en faisant remarquer que cette mise en cause pouvait susciter des divisions ethniques dans le pays et renier le dur labeur des fonctionnaires. D'après le blog d'information Trinidad and Tobago News, Dumas est allé plus loin, accusant les déclarations de Maharaj d'être une “attaque sérieuse contre le service public.”

Les propos de Maharaj ne sont pas passés inaperçus dans les médias sociaux non plus. Bien que les utilisateurs de Twitter se préoccupaient des cérémonies dédiées au Jour de l'arrivée des Indiens, Facebook était engagé dans une discussion sur les propos de Maharaj, considérés comme un sujet sensible sur la page Facebook du journal Trinidad Express Newspapers au point d'en faire la “question importante” du jour” :

Que pensez-vous des propos de Sat Maharaj disant que certains fonctionnaires pro-PNM travaillent contre le gouvernement ?

Il y a eu une quantité importante de réponses. Kevin Niles laissait entendre que “personne ne mettait son gouvernement hors de lui”, tandis que Allan Joseph demandait :

Quel âge a Sat ? Combien de temps va-t-il encore diviser T&T de cette manière ? Il doit [se morfondre] quand il se souvient que son règne devra un jour prendre fin… et au cas où il ne le saurait pas, de nombreux emplois ont changé d'occupant en mai 2010, donc [c'est] probablement ses propres partisans qui travaillent contre eux maintenant, il faut le signaler.

Joy Thompson pensait que cela concernait plus que l'habituel vieux clivage politique :

Diviser pour régner. C'est leur leitmotiv. Ses jours sont comptés.

Sapphire Mohan, cependant, pensait que les propos n'avaient pas été suffisamment approfondis :

C'est vrai… et tout comme [il y a] des fonctionnaires pro PNM, il y  aussi des fonctionnaires pro UNC/COP/ILP. C'est lorsqu'ils mettent en oeuvre leur agenda politique sur leur lieu de travail que cela devient problématique et je suis sûr que cela arrive car si l'on peut accuser n'importe quel gouvernement de népotisme, etc. pourquoi ne peuvent-ils pas accuser ceux opposés au gouvernement de suivre leur propre agenda politique ?

D'autres commentateurs sur le fil de discussion, comme Nadiyah Sarransingh, jugeaient Maharaj hors de propos :

Pourquoi les médias accordent autant d'attention à cet homme ? Il est temps de changer de sujet.

Changer de sujet était l'une des choses que le blog politique The Eternal Pantomime n'était pas prêt à faire, clamant que l'association étroite du Premier ministre avec le chef du Maha Sabha était le signe d'un désespoir politique :

Imaginez que vous misiez de grands enjeux politiques, le vainqueur emporte tout, et la seule carte entre vos main est Sat Maharaj ?

Cela correspond assez à la situation difficile dans laquelle se retrouvent Kamla et son gouvernement.

Le parti travailliste et Jack Warner les ont abandonnés : donc le soutien populaire et les caisses noires de Warner ont (pour une fois) tous deux disparu. Le COP [Congress of the People, l'un des autres partis de la coalition gouvernementale] que nous connaissons tous, est un cheval mort et sans cavalier.

Plusieurs autres groupes de la société civile qui louaient les paroles de Kamla et la soutenaient ont tous disparu et plusieurs d'entre eux  s'engagent désormais contre elle dans des manifestations très médiatisées. Pour résumer, toute la bonne volonté que Persad-Bissessar a engrangée… a disparu.

C'est ce qui, pour le blogueur surmised, laisse le partenariat gouvernemental au milieu du gué et une situation difficile l'attend avec les élections nationales de l'an prochain :

Du point de vue du PP ou de l'UNC, quel que soient leurs candidats à l'élection en 2015, cela se résume à deux groupes : les soutiens d'un criminel ou ceux d'un jusqu'au-boutiste.

Même les partisans de Kamla en ont par-dessus la tête de son mode de non gouvernance. Pour quelle autre raison faudrait-il retirer votre carte maîtresse de dirigeant religieux Maha Sabha, pour la journée dédiée à l'arrivée des Indiens, dans la course pour un siège électoral avec un électorat à majoritairement indien à moins que……Sat soit votre seul atout et que les choses étant si difficiles, vous ayez besoin de rassembler votre électorat ?

Un billet rappelait aux lecteurs que les promesses de campagne actuelles du gouvernement renvoyaient à 2010 :

1. Un gouvernance juste, la transparence et rendre des comptes. Le pays attend toujours.

2. La fin des gabegies et de la folie du gaspillage. Avez-vous lu les deux derniers rapport de la Cour des comptes sur les dépenses de l'argent public ? Nous avons une dette de 30 millions de dollars. Oui, 30 millions de dollars.

3. La fin des activités criminelles violentes et du crime en col blanc. Deux mots : Dana Seetahal [avocate et sénatrice s'intéressant notamment aux affaires criminelles, assassinée en mai 2014].

4. Le droit de révoquer des députés inefficaces. Les cabinets changeant et se remaniant chaque année, mais désormais il n'est plus question de révoquer qui que ce soit. Je me demande pourquoi ?

La blogueuse s’adressait à ce qu'elle appelait “le criminel” :

Abu Bakr, du célèbre coup d'Etat de 1990, a souvent fait allusion au rôle que son organisation, Jamaat Al Muslimeen [un groupe religieux musulman], a joué en appelant à voter pour les partis politiques.

Comme le montrent les articles sur le Life Sport Programme* [lire ici], le gouvernement de Kamla s'est étroitement rapproché d'un groupe faisant planer des activités criminelles sur ce programme. En tant que corps électoral, nous devons nous interroger sur le nombre de groupes similaires que le gouvernement UNC finance et pour quel montant.

*[programme visant à promouvoir le sport pour aider les jeunes entre 18 et 25 ans vivant dans un environnement sensible, actuellement suspendu pour cause d'irrégularité, selon The Guardian]

Elle était consternée de ce que l'instrumentalisation politique de Sat Maharaj pouvait signifier pour le pays et espérait que les Trinidadiens – d'origine africaine, indienne ou autre – dépassent le clivage ethnique et donnent priorité au pays :

Après avoir mené une campagne de communication bien huilée en 2010 qui prétendait s'intéresser aux enjeux, Persad-Bissessar est revenue aux fondamentaux et s'apprête à participer à une course de vitesse. En se rassurant sur le fait que le coeur de l'électorat de Kamla est prêt à réactiver la Race Bogey [sous-entendu une compétition de propos racistes, voir cet article] . Nous sommes revenus en 1961 [lorsque le PNM faisait presque la même chose]. Sat Maharaj demeure l'un des individus les plus emblématiques et clivants que le pays a créé. Ses propos racistes sont désormais considérés comme lde a liberté d'expression par le Premier ministre. Et celle-ci doit pourtant encore s'excuser pour les propos ethniques brutaux et préjudiciables qu'elle a utilisés lors de la campagne électorale des quatre élections de l'année dernière. Les partisans de la dissimulation et les caricaturistes pratiquent la même liberté d'expression et j'espère qu'elle en est consciente.

Il ne tient désormais qu'à nous, citoyens sensés, de rejeter la rhétorique ethnique et obliger les campagnes politiques à venir de s'intéresser aux problématiques essentielles qui nous préoccupent au quotidien.

Il reste à voir si le parti du Premier ministre, le United National Congress, dont le logo représente un soleil se levant, peut dépasser les banalités ethniques. L'électorat, sans aucun doute, constatera si l'opposition se saisit elle aussi de l'occasion.

L’image utilisée dans ce billet est de OEA – OAS, sous licence Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivs 2.0 Generic. Consulter le profil Flickr de OEA – OAS.

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