Une révolte populaire restaure la démocratie au Pérou

Manifestants masqués brandissant des pancartes dont une affiche le message : « Merino ne me représente pas ».

Manifestants à Miraflores, Pérou, le 12 novembre 2020. Photo de Samantha Hare/Flickr, sous licence CC BY 2.0.

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en espagnol.

L'une des plus grandes manifestations populaires du Pérou a eu lieu en novembre 2020. Dans tout le pays, des milliers [en] de personnes sont descendues dans les rues dans un élan spontané mené par la jeunesse et les groupes populaires.

Les manifestants dénonçaient ce qui était perçu comme un coup d’État illégal contre le Président, Martin Vizcarra, qui a été destitué par le congrès péruvien le 9 novembre dernier.

Pendant que les législateurs tentent d’échapper aux enquêtes judiciaires anti-corruption, la police arrache le drapeau péruvien des mains des manifestants. C’est le peuple péruvien qui défend la démocratie, pas le congrès.

Le congrès a utilisé un mécanisme constitutionnel pour évincer le président Vizcarra qui, accusé de corruption, a été démis de ses fonctions pour inaptitude morale. Pourtant, de nombreux constitutionnalistes ont fait valoir que les législateurs avaient interprété la constitution en leur faveur : le sens originel de « l’inaptitude morale » dans ce contexte était « l’incapacité mentale » et non l'ineptie éthique ou morale.

Une majorité écrasante des membres du congrès a encouragé la mesure impopulaire d’éviction du président populaire. S’il est vrai que Vizcarra était accusé de corruption, 68 membres du congrès sur 130 avaient également des démêlés avec la justice, dont plusieurs dans des affaires de corruption [en]. Pour cette raison, les Péruviens ont estimé que leurs représentants politiques essayaient davantage de protéger leurs propres intérêts et privilèges en adoptant des lois qui les avantagent. S’en sont suivies des protestations populaires en face du parlement. Les manifestants décrivent le retrait de Vizcarra comme un coup d'État de la part du congrès.

Jeunes manifestants portant des masques hygiéniques dans la rue, la nuit. On peut voir 3 banderoles dont une montre le message: "dis-le fortement Pérou"

Manifestations à Miraflores, Pérou, le 12 novembre 2020. Photo de Samantha Hare/Flickr, sous licence CC BY 2.0.

Les membres du congrès ont alors élu Manuel Merino président du Pérou. Ce politicien peu connu de centre-droite est affilié au parti Action Populaire et originaire de la région Tumbes, au nord du pays. Il est devenu pour beaucoup, le président illégitime [en].

Les protestations ont pris de l'ampleur quand Merino a nommé le conservateur Antero Florez Aráoz, comme chef de cabinet. Antero Florez Aráoz fût ministre de la Défense dans le gouvernement du président Alan Garcia, lors de l’intervention de l’armée fédérale qui a causé la mort de 33 personnes dans un incident désormais connu sous le nom de « Baguazo ». L’origine de ce nom est « Bagua », la région amazonienne en territoire indigène dont le peuple local se défendait contre l’exploitation minière. Pour beaucoup, ce choix signifiait un retour aux heures noires de l’Histoire péruvienne récente. Le lendemain, le 12 novembre, un cabinet composé en majorité de personnalités d'extrême droite a été nommé.

Des manifestations de masse se sont organisées à travers le pays à l’aide des réseaux sociaux et sans planification ; c'était une action spontanée des citoyens montrant leur répudiation de la corruption de la classe politique.

Le 12 novembre, des personnes ont été blessées dans l’altercation entre forces policières répressives et manifestants pacifiques. De plus en plus de citoyens rejoignaient les manifestations et ceux qui ne pouvaient pas se déplacer ont organisé des « cacerolazos » [concerts de casseroles] à la maison, faisant résonner leur batterie de cuisine en soutien aux manifestants. L’évènement était en train de s’inscrire dans l’Histoire péruvienne.

Des appels à une mobilisation massive furent lancés pour le 14 novembre. Des milliers de personnes ont envahi les rues dans tout le Pérou avec des banderoles dénonçant à la fois ce qu’ils voient comme une trahison envers la démocratie et la brutalité croissante de la police. Un panneau affichant : « maman, si je ne rentre pas, c’est que la patrie m’a pris », montre l’état de tension du côté des protestataires. Les manifestants venaient de tous les horizons sociaux, depuis les femmes vêtues de « polleras », l’habit traditionnel andin, aux hommes en costumes de Power Ranger, en passant par les nonnes, des hommes jouant de la flûte de pan (zampoña). Ceci dit, l’élément le plus marquant était le port du masque quasiment systématique lors des rassemblements.

C'est cette démonstration d'indignation contre la corruption du milieu politique qui unifiait les manifestants lors de ces rassemblements gigantesques. Il ne s’agissait pas de défendre Vizcarra mais de défendre la démocratie.

Bien que beaucoup s’accordent pour dire que les manifestations se déroulaient pacifiquement, la police a commencé à attaquer les manifestants à la nuit tombée avec des gaz lacrymogènes et des balles de plomb. Personne n’a reculé. Certains ont utilisé des tableaux et des skateboards comme boucliers improvisés et les groupes féministes ainsi que les fans de football ont prêté main forte en aidant à la désactivation des bombes lacrymogènes en les jetant dans des bidons d’eau. Néanmoins, deux jeunes hommes, Jack Bryan Pintado et Inti Sotelo, sont décédés plus tard dans la nuit des suites de violences policières. Ils étaient étudiants, tout comme le reste des manifestants qui se battaient pour un meilleur avenir. Les appels à la démission de Merino ont résonné dans tout le pays.

Manifestants vus de dos, de nuit. Au premier plan une banderole dit : « le pire ennemi d’un gouvernement corrompu est un peuple instruit »

Manifestants à Miraflores, Pérou, le 12 novembre 2020. Photo de Samantha Hare/Flickr, sous licence CC BY 2.0.

Le lendemain, Merino ne pouvait que démissionner [en]. Le consensus parmi la population était que le Congrès devrait élire un nouveau président parmi les rares qui n’ont pas voté contre l’éviction de Vizcarra. Le 16 novembre, le Congrès a élu le centriste Francisco Sagasti, une décision qui a apaisé [en] la population. Sagasti est un ingénieur, universitaire et auteur péruvien.

L'investiture du nouveau président a eu lieu le lendemain et il a fait la promesse [en] qu’il n’y aurait pas d’impunité pour les responsables des violations des droits humains pendant les manifestations. Sagasti a également assuré que le Pérou organiserait des élections présidentielles l'année prochaine comme prévu dans le calendrier électoral.

Plusieurs personnes disparues lors des manifestations ont refait surface au cours des jours suivants. Un jeune homme, Luis Fernando Araujo, atteste de son enlèvement et de coups assenés par la police. Deux hommes qui avaient participé aux manifestations —Gabriel Rodriguez Medrano et Johan Arenas Aguirre—sont toujours portés disparus. Les Péruviens pleurent Jack Bryan Pintado et Inti Sotelo en tant que martyrs de la démocratie et réclament justice pour leur mort.

Les sondages indiquent que la majorité du peuple péruvien est convaincu du rôle de la révolution populaire dans le démantèlement du gouvernement illégitime. C’est avec courage et détermination que les Péruviens ont montré au monde entier que la résistance aux tactiques politiques injustifiées était possible.

Si le Pérou s'apprête à célébrer 200 ans d’indépendance l’an prochain, l'intensité de ces manifestations a démontré que le pays n’avait pas seulement un passé, mais également un avenir.

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