Qui peut devenir parent en France ?

Graffiti rose dont le message " PMA pour toutes " a été réalisé au pochoir sur un mur gris.

Graffiti réclamant l’accès à la PMA (procréation médicalement assistée) pour toutes, Paris, 2018. Photo d’Ittmostt sur Flickr (CC BY 2.0

L’article original a été publié en anglais le 09 mars 2021.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en français, ndlt.]

Les familles ne correspondant pas à la norme hétérosexuelle cisgenre « traditionnelle » existent depuis plusieurs décennies et ont progressivement été acceptées par la société française. La reconnaissance parentale et l’accès aux traitements d’assistance médicale à la procréation ne sont toutefois pas encore protégés par la loi. Cette situation atteste des inégalités qui persistent lorsqu’un individu souhaite fonder une famille.

Dans une démarche visant à tenir la promesse émise lors de sa campagne de 2017, le président français Emmanuel Macron exerce aujourd’hui une certaine pression pour que le projet de loi soit adopté « d’ici l’été 2021 ». L’article principal de ce projet de loi devrait permettre de légaliser l’accès à la FIV et à l’insémination artificielle pour les femmes célibataires et les couples de femmes. Le rejet récent par le Sénat de cette réforme clé a causé la déception des nombreux·ses militant·e·s impliqué·e·s dans cette longue bataille juridique. Certain·e·s espèrent que le projet de loi finira par être adopté par l’Assemblée nationale.

Il s’agit d’une question complexe bien plus profonde qu’un simple débat sur un État homogène confronté à des courants progressistes.

Une chose est certaine : pour l’exécutif français tout le monde n'a pas les mêmes chances de devenir parent. Les femmes célibataires sont curieusement qualifiées de « vulnérables » par certain·e·s député·e·s et les personnes transgenres souffrent d’un manque de considération tel, qu’elles sont à peine mentionnées dans le plan national de lutte contre les discriminations LGBT+. Tout porte à croire qu’en France, le désir de procréation de certaines catégories de personnes serait illégitime et considéré comme anormal, obligeant de nombreuses femmes célibataires et personnes LGBTQI+ à se tourner vers d’autre pays en attendant que le leur ne décide de leur garantir un accès à la procréation médicalement assistée (PMA).

Le fait que les couples lesbiens ou les femmes célibataires puissent avoir un enfant sans père, soit en les « empêchant d’accéder à leurs véritables origines », est l’une des polémiques déclenchées par le collectif de La Manif Pour Tous, opposé au projet de loi. La question de l’équilibre psychologique de l’enfant pourrait facilement être résolue, non pas en empêchant les femmes d’accéder à la PMA mais par l’adoption de la proposition de loi concernant les dons semi-anonymes, grâce à laquelle des informations sur le donneur pourraient être accessibles sous certaines conditions.

Le fond du problème semble surtout reposer sur la crainte que les hommes pourraient perdre leur place dans la société. Les opposant·e·s au projet de loi estiment qu’autoriser les femmes à accéder à la procréation sans l’intervention d’un homme, le donneur de sperme excepté, reviendrait à approuver le fait qu’ils deviennent des « pères à usage unique ». Il semblerait que cela menace de façon intrinsèque une société organisée autour d’une séparation de genre binaire.

La question de la charge mentale qui pèse déjà sur les femmes en matière de procréation et d’éducation des enfants est également occultée par les partisans de La Manif Pour Tous. Le médecin français Baptiste Beaulieu a, à ce propos, souligné dans un tweet que les femmes s’occupaient bien souvent davantage des enfants bien qu’« à la simple évocation de la PMA pour toutes, vous verrez des troupeaux d’hommes défendre leur droit à investir une paternité qu’ils délèguent souvent dans la vie réelle ». Nous pourrions, dès lors, rétorquer avec une pointe d’impertinence en demandant s’il est sain que les couples hétérosexuels aient des enfants. Ce n’est pas à nous d’en décider, comme nous tentons de le démontrer ici.

Le profil type du « bon candidat » pour l’adoption d’un enfant est un couple stable financièrement, menant une vie « équilibrée », de préférence hétérosexuel, blanc et non handicapé, selon une récente étude portant sur les procédures d’adoption en France. Les assistant·e·s sociaux·ales se positionnent en fonction de ce qui est supposé être « le meilleur choix possible » pour l’enfant. L’application de la loi est assurée par des agents autonomes qui prennent nombre de décisions impactant directement la sphère intime des citoyen·ne·s.

On est en droit de s’interroger sur ce que l’on entend par le terme « bonne famille » et, plus précisément, ce qui définit une famille aux yeux du gouvernement français, du reste majoritairement composé d’élu·e·s non concerné·e·s par ces questions.

Qu'est-ce qu'une « famille » ?

Le droit français, resté assez conservateur en la matière, a conservé le principe de primauté biologique. La loi considère expressément comme parents les deux individus censés avoir apporté le matériel génétique nécessaire à la conception de l’enfant, c’est-à-dire la personne ayant accouché et l’homme qui est marié avec elle ou qui se présente en mairie comme étant le père. Aujourd’hui, tous les autres cas, qu’il s’agisse de coparentalité [en], de familles recomposées [en] ou de parents LGBTQ+, se résolvent par un bricolage juridique impliquant, dans la majorité des cas, une procédure d’adoption.

Cela signifie, par exemple, que lorsque trois ou quatre personnes décident de s’engager dans la voie de la coparentalité, seules deux d’entre elles sont considérées comme parents au regard de la loi, les autres étant totalement exclues de la famille jusqu’au dépôt des dossiers d’adoption. Les couples de femmes sont confrontés à un problème similaire, en effet, seule la mère ayant donné naissance peut être inscrite sur l’acte de naissance. Dans les cas précédemment cités, si une séparation a lieu avant que le processus d’adoption ne soit finalisé, l’un des parent peut être complètement exclu de la vie de l’enfant.

Grâce à des familles « atypiques » aujourd’hui de plus en plus visibles et qui se font désormais entendre, la définition sociale du concept de famille évolue. Il s’agit d’un phénomène qui s’amplifie au sein de la société mais les juges et le pouvoir législatif ont la capacité de le restreindre en délimitant les contours d’une parentalité « légitime ». L’enjeu est de taille et ne se limite pas à une question purement juridique. En effet, meme si le projet de loi qui se fraye en ce moment un chemin dans les couloirs du gouvernement est adopté, il restera encore beaucoup à faire pour que la diversité des familles françaises soit pleinement admise.

Le chemin à parcourir pour normaliser la parentalité en dehors des normes strictes définies par la loi est encore long. Dès lors que la parentalité est inaccessible sans assistance médicale ou du moins sans l’intervention d’un donneur, chacun·e, du religieux au politique, tente de prendre part au débat. Les entraves matérielles et mentales sous jacentes à ces questions peuvent, hélas, empêcher certains futurs parents de mener à bien leur projet. Quoi qu’il advienne, ceux et celles qui choisissent d’affronter ces procédures administratives fastidieuses car il·elle·s désirent être parent tôt ou tard, le font en toute connaissance de cause et en ayant conscience de contourner la loi.

Il semble difficile d’anticiper la direction que prendra le Parlement à ce sujet, mais ce dont nous sommes sûres c’est que les militant·e·s, dans un camp comme dans l’autre, n’abandonneront pas. 

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