Les consommateurs-blogueurs irascibles, qui épancheraient désormais leur bile contre un restaurant qui les a déçus devront-ils désormais veiller à choisir pour leur billet un titre passe-partout de façon à être référencés dans les profondeurs invisibles des moteurs de recherche ?
Telle est la mésaventure arrivée à la blogueuse L'Irrégulière, condamnée le 30 juin 2014 en référé par le tribunal de grande instance de Bordeaux à 1.500 euros de provision sur dommages et intérêts et 1.000 euros de frais de procédure, sur plainte d'un restaurant de Cap-Ferret. Ulcérée par l'accueil et le service déficients selon elle, lors d'un repas fin août 2013, elle avait publié sur son blog littéraire, Cultur'elle, une critique au vitriol. Sous le titre “L'endroit à éviter au Cap-Ferret : Il Giardino”, l'article s'était hissé en tête du référencement de Google pour une recherche sur le nom de l'établissement. La restauratrice a vu rouge, et le tribunal lui a donné raison, non pour la critique elle-même, qui selon le jugement, “relève de la liberté d'expression”, mais pour le titre, qui tomberait sous le coup du dénigrement.
La blogueuse, qui n'avait pas pris d'avocat, a d'elle-même retiré son article, ce que le tribunal ne lui demandait pas. Mais on peut en lire le texte sur le blog de tuxicoman ici, ou en cache. Echaudée, elle a décidé de ne pas faire appel.
Un jugement qui surprend
Le jugement – en référé, le tribunal ne se prononce pas sur le fond – en a surpris plus d'un, et d'abord sur le plan juridique. Le célèbre et très lu avocat-blogueur Maître Eolas – 142.000 abonnés sur Twitter – a écrit, retweeté 100 fois :
Nouveau : des restaurants poursuivent leurs clients qui osent les critiquer. Il faut dire qu’ils trouvent des juges pour leur donner raison.
— Maitre Eolas (@Maitre_Eolas) 7 Juillet 2014
avant de décrypter, pour le magazine L'Express, l'affaire sous tous ses aspects et conséquences :
Il ne faut pas donner à cette décision une portée plus large qu'elle n'a […] Le droit de critique existe. Il peut être sanctionné en cas d'abus. La distinction classique est quand il y a intention de nuire ou concurrence déloyale si le dénigrement est fait par un concurrent. Ainsi, si cet article avait été publié par quelqu'un qui tient un autre restaurant de pizza du Cap Ferret, on aurait été dans le cas de la concurrence déloyale puisqu'il y aurait volonté de dénigrer pour faire fuir le client. Or ici, c'est une cliente mécontente qui raconte une expérience malheureuse. On a tout à fait le droit d'expliquer pourquoi on n'est pas satisfaits, en mettant le titre que l'on veut.
Des blogueurs découvrant l'affaire, évoquent d'abord avec bon sens l'encombrement de la justice, comme Lady Waterloo :
Les juges ont donc condamné cette malheureuse blogueuse, pour L'endroit à éviter au Cap Ferret: Il Giardino, cela en valait il la peine? Je ne le pense pas. Si les juges commencent à s'occuper des blogs qui dénoncent des apéros servis avec du retard sans cacahuètes et du vin trop froid ou trop chaud, j'ai oublié, la Justice sera complètement paralysée.
ou les malentendus toujours fréquents entre touristes, restaurateurs et internet, comme Le Parisien libéral :
La vérité, c'est que désormais, tout resto, tout hôtel, doit faire avec l'existence du Net. Au lieu de faire une pub monstrueuse pour l'Irrégulière, pourquoi Il Giardino n'a pas crée son propre site web, ou fait le dos rond en attendant que ses clients qui ont aimé le resto s'expriment, comme Berthomeau.
Censure d'Internet et résultats Google
Peut-on invoquer les résultats Google pour attaquer un blogueur ? La restauratrice se justifiait ainsi :
“Peut-être qu'il y a eu des erreurs dans le service, ça arrive parfois en plein mois d'aout, je le reconnais. Mais cet article montait dans les résultats Google et faisait de plus en plus de tort à mon commerce […]. On peut critiquer mais il y a une façon de le faire, dans le respect, ce qui n'était pas le cas ici. Maintenant la justice s'est prononcé et pour moi l'affaire est close“
De fait, l'article, et la controverse suscitée par le jugement, restent en bonne position dans les résultats de recherche sur Google. Tubbydev s'étonne de la cible choisie par le juge et de la méconnaissance du fonctionnement d'un moteur de recherche :
Mais surtout, le vrai scandale à notre humble avis est tout entier dans le bout de phrase de la restauratrice: Mais cet article montait dans les résultats Google ..C'est Google qui montre le résultat, avec et par ses algorithmes mais c'est le contenu initial qui est “puni”. Personne ne demande à Google de corriger .. Et a priori aucune demande n'a été faite à Google. […]
Google est devenu un Dieu ou tout du moins un des éléments de la nature…Non seulement, il est donc IRRESPONSABLE mais en plus, sa force est telle qu'il attise encore plus la censure et les problèmes contre les malheureux qui y sont bien considérés .. Le monde à l'envers non ?
Dangereuse, l’optimisation pour les moteurs de recherche ? Telle est l’interprétation du blogueur américain Greg Sterling sur computerworld [anglais] :
Le seul crime, ici, était de se classer trop haut dans les résultats de recherche.
Si efficacitic.fr conseille la prudence dans la critique, Elisabeth Porteneuve, “vétéran de l'Internet” selon son profil Twitter, anticipe un usage du droit à l'oubli :
@Maitre_Eolas L'étape suivante: droit à l'oubli, enlever la critique de @Google avec l'aide de la @CNIL … des juges et législateurs!
— Elisabeth Porteneuve (@EPorteneuve) 7 Juillet 2014
Si les conséquences de cette affaire pour la liberté d'expression sur Internet restent matière à discussion, le mauvais effet de publicité immédiat pour le restaurant se prolonge, et l'affichage de la controverse est toujours présent sur la page de résultats de Google.
6 commentaires
La publicité faite par le résultat du procès sera certainement plus négatif encore que le billet de cette bloggeuse et le manque à gagné supérieur que les 1 500€ de condamnation.
Comme mentionné dans votre article, je ne comprend pas que le restaurateur n’est pas lancé une contre-offensive sur le web en publiant un site contenant les avis positifs de ces clients, plutôt que de se lancer dans un procès qui risque de lui porter tord, même si la décision est en faveur du restaurateur.
Mais b*rd*l, qu’est-ce que ça veut dire ? Où est la liberté d’expression ?
Même en mettant de côté l’ignorance crasse des juges concernant la partie informatique de cette affaire, ce jugement va à l’encontre des droits humains fondamentaux : pouvoir s’exprimer, tout simplement (étant donné que la blogueuse ne travaille pas pour un concurrent).
Qu’est ce que tout ceci signifie donc ? Le juge est-il un pote du restaurateur ou bien il s’est juste trompé d’affaire lorsqu’il a donné sa sentence ?
Pour moi, ce sont les juges qui sont en tors.
Encore une fois la Justice Française condamne à des peines Effectives sans savoir de quoi elle parle.
Le résultat est qu’une citoyenne perd de l’argent au profit d’un mauvais restaurant, que la mauvaise publicité pour ce restaurant est amplifiée à cause de l’effet Streisand et, pire que tout, le Droit à l’expression est encore attaqué…
Donc maintenant, grâce à ces Juges maladroits on une jurisprudence bien Française qui nous conduit à faire très attention quand on a affaire à des mauvais… La critique doit être politiquement correcte, on ne peut pas dire “l’endroit à éviter” mais “attention ici le service peut être lent”…
Et surtout, il faut s’assurer que cette critique reste largement inconnue car si elle “monte” dans les résultat Google on est toujours attaquable ?
Autre preuve de l’incompétence de ces juges: ils ont condamné à un amende sans demander le retrait de l’article.
Donc en fait, si on est riche, et qu’on peut payer, ça veut dire qu’on peut se payer la réputation d’un restaurant ?
Quand on est pauvre on reste “discret” ?
Ce jugement montre bien le problème de la culture et de la formation des juges.
Les juristes d’Etat, engoncés dans leur monde, séparé de la réalité du commerce et des rapports civiques voient la vie à travers le tube des Lois et Droits au passé Glorieux mais mal adaptés à l’évolution qu’apportent les nouveau médias et le droit de la communication qui s’en dégage. Un droit Internationalisé et dans lequel l’argent n’est pas le moteur mais plutôt le partage.
En quelque sorte, il y avait une économie basée sur l’exclusivité. Celui qui avait un droit exclusif ou une connaissance unique pouvait en faire une richesse en défendant aux autres de s’en servir. C’est sur ce type de logique que les juges possèdent un pouvoir exclusif, incontestable et souvent irresponsable.
L’évolution porte vers un droit qui prend d’autant plus de valeur qu’il est partagé… Plus il est connu et plus il devient la norme…