
Visages de participants à la manifestation de Lafayette Park à Washington contre l'interdiction d'entrée des musulmans, 29 janvier 2017. Photos: Ivan Sigal
[NdT : “l'oeil de la foule” du titre renvoie à ce dessin de l'artiste Anna Nielsen] Dimanche dernier dans la matinée, les habitants de Washington D.C. sont sortis de leurs maisons et appartements. A pied, à bicyclette et en bus, ils ont convergé vers Lafayette Square, face à la Maison Blanche, en une manifestation spontanée, en même temps que d'autres à travers les Etats-Unis, contre le décret de Trump excluant de l'entrée aux États-Unis les immigrants, détenteurs de visas et réfugiés de sept pays.
Peut-être 5.000 personnes, apparemment novices des rassemblements protestataires. Dans un espace compact entre les barrières restant de l'investiture présidentielle du week-end précédent, la manifestation a commencé dans le même esprit d'improvisation que celui de son organisation : par une page Facebook, suivie d'ondes concentriques à travers les médias sociaux avant de s'incarner dans le monde de chair et de sang.
En l'absence de podium ou de leader évident, les gens dans l'assistance se questionnaient mutuellement du regard. Ils étaient moins une mobilisation en marche qu'un rassemblement d'individus décidant, sur place, de leur conduite. C'étaient là des gens sortis de leurs coquilles de médias sociaux, des collectifs définis par le travail ou l'école, et entrés dans un espace pleinement civique. Il y a eu des rumeurs de présence de responsables politiques, restés invisibles ou inaudibles de tous les angles que j'ai pu observer. Au lieu de cela, les gens négociaient avec leurs voisins, pour de la place, pour une directive. Est-ce parce que cette foule n'était pas unie par un quelconque principe d'organisation autre que la nécessité de manifester une résistance ? Ces négociations avaient lieu pour la plupart en silence, par des regards, des signes de tête et des gestes occasionnels.

Visages de participants à la manifestation de Lafayette Park à Washington contre l'interdiction d'entrée des musulmans, 28 janvier 2017. Photos: Ivan Sigal
Peut-être étaient-ils en colère, ou déterminés ; mais les slogans et les cris “Honte”, “Non à l'exclusion, non au mur” et “Non à la haine, non à la peur, les réfugiés sont les bienvenus ici” s'élevèrent dans des poches contestataires à l'intérieur de l'assistance, sans jamais atteindre un volume ou une intensité qui aurait pu passer pour agressive. Comme la foule était poussée par l'arrière, d'aucuns prirent l'initiative d'annoncer une marche le long de Pennsylvania Avenue, vers l'Hôtel International Trump, puis vers le Capitole. L'embouteillage se relâcha, et nous nous mîmes en mouvement.