Cet article fait partie de la série #PaísDeLasMujeres, (PaysDesFemmes – série d'histoires autour des femmes latino-américaines) de Kurtural et est reproduit ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu.
On a refusé à Clara Guillén le droit de se présenter à un examen de droit car elle avait amené sa fillette à la faculté. “Reviens étudier à l'université lorsque tu auras fini d'élever tes enfants” lui a dit Concepción Sánchez, professeure à l'Université Nationale d'Asunción (UNA). C'était en mai 2016. Au mois de février de cette même année, Bethania Ruiz Diaz, qui étudiait dans la même faculté, a vécu ce genre de mésaventure alors qu'elle suivait les cours en présence de son bébé âgé de quelques mois. María del Mar Pereira, la professeure qui l'a renvoyée, lui a dit que “cet endroit n'était pas une crèche mais une université”, et qu'elle devrait plutôt s'occuper de trouver quelqu'un à qui confier son enfant. “Je n'ai su que répondre, et je suis restée sans voix car je me suis sentie rabaissée et méprisée” raconte Bethania Ruiz Diaz.
Bien que les enseignantes aient été démises de leurs fonctions lorsque ces affaires ont été rendues publiques, Clara Guillén et Bethania Ruiz Diaz, comme bien d'autres mères étudiantes, sont confrontées chaque jour à un système antagoniste qui glorifie les mères mais se montre hostile envers celles qui veulent poursuivre des études.
Ce qui est arrivé aux deux jeunes mamans étudiantes a incité le centre des étudiants (CE) de l'université dont elles dépendaient à mettre en place une crèche. Mais le projet a échoué. Selon Alejandro Koopmann, membre du CE, le projet a été abandonné lorsque le président Horacio Cartes n'a pas approuvé l'augmentation du budget global de 2017.
La participation grandissante des femmes au marché du travail en Amérique Latine n'a rien changé à la situation établie : le rôle qu'elles jouent dans l'éducation des enfants et dans les tâches domestiques, le rôle qui leur fut historiquement assigné, continue à bien être le leur. Lorsque ce ne sont pas les mères, ce sont les grand-mères, les tantes ou les sœurs qui exercent ce que l'on appelle un “métier non rémunéré”.
Selon une enquête de la Direction générale des statistiques, enquêtes et recensement (DGEEC, Dirección General de Estadísticas, Encuestas y Censos) à propos de la façon de gérer son temps, les Paraguayennes consacrent plus de la moitié de leur temps à ce travail non rémunéré. Cela représente deux fois plus d'heures que ce que les hommes y consacrent en général, et presque quatre fois plus en ce qui concerne les tâches domestiques. Ces écarts sont supérieurs à ceux que l'on observe dans d'autres pays comme l'Argentine et l'Uruguay.
“L'espoir que l'on plaçait dans l'idée que le travail salarié allait libérer les femmes ne s'est pas concrétisé”, dit dans une interview Silvia Federici, écrivaine et militante féministe. “Aujourd'hui les femmes ont deux métiers et beaucoup moins de temps disponible pour se battre, participer à des mouvements sociaux et politiques ou bien encore pour suivre des études” affirme-t-elle. C'est ce que l'on appelle communément “la double charge de travail”. Cela concerne les femmes qui, en plus de leur travail et de leurs études, doivent tenir la maison, s'occuper de leurs filles, de leur nièces et de leurs petits-enfants.
A 25 ans, Cristina Moreno Re, étudiante en quatrième année de psychologie à l'Université nationale d'Asunción et maman d'un petit Gaspar âgé de 5 ans, travaille comme vendeuse dans un supermarché de la capitale. “Garder les enfants est un travail fatigant, qui demande beaucoup d'énergie” dit-elle. Mais elle raconte que pour ses collègues de travail, “nous les femmes, nous ne pouvons pas nous lasser de nous occuper de nos enfants”.
Travaillant en moyenne 42 heures par semaine, elle a dû mettre en place une grille d'emploi du temps complexe qu'elle partage avec le père de Gaspar dont elle est séparée, et surtout avec les grands-mères paternelles et maternelles. De toutes façons, elle estime qu'elle est privilégiée. Depuis que Gaspar va à l'école maternelle, les horaires sont plus appropriés pour toute la famille car au moins, elle peut l'accompagner elle-même à l'école tous les jours. C'est un privilège au Paraguay, où seulement trois enfants sur dix ont accès à l'école maternelle.
La scolarisation de son fils lui permet de consacrer du temps à ses études. Mais à la Faculté de philosophie de l'Université nationale d'Asunción, il n'existe pas d'alternative pour les mamans d'enfants en bas âge. “En général, les professeurs acceptent la présence des enfants en classe. Ils reconnaissent chaque année la nécessité d'avoir des crèches, mais ils prétextent chaque fois qu'ils n'ont pas le budget” explique Jazmín Coronel, la vice-présidente du centre d'étudiants de cette faculté. Bien qu'il n'existe pas de données sur le nombre d'étudiantes qui abandonnent leurs études en raison de la maternité, Jazmín Coronel affirme que nombre d'entre elles battent en retraite pour se conformer aux exigences de leur rôle de mères.
Dans les universités privées, la situation des mamans étudiantes est identique. La sœur de Cristina Moreno Ré, Romina, âgée de 24 ans, poursuit des études de vétérinaire à l'Université de Columbia. Elle a accouché après avoir passé un examen. Après avoir accouché de sa fille Alicia, elle a eu beaucoup de mal à obtenir une prorogation pour passer les autres épreuves, et c'était pourtant nécessaire en raison de sa maternité. “Selon eux [les autorités de sa faculté], j'ai déposé ma demande trop tard”, explique-t-elle.
Comme Cristina, Romina Moreno compte aussi sur sa mère pour s'occuper de sa fille qui a maintenant 20 mois. “Ma mère est vendeuse. C'est le genre de personne qui s'efforce de ne pas tomber malade. Si elle ou ma sœur ne peuvent pas, c'est mon mari qui s'occupe de ma fille. Lui, il est présent, mais pas vingt heures par jour comme moi” dit-elle. Au Paraguay, l'inégale répartition du temps consacré aux activités parentales entre les hommes et les femmes se reflète même dans les congés de maternité et paternité. Les mères ont droit à dix-huit semaines de congés, alors que les pères ont seulement deux semaines.
Romina qui travaillait dans la production d'événements sociaux, se consacre maintenant exclusivement à ses études. La maternité a aussi changé d'autres aspects de sa vie. “On ne t'invite plus à sortir. Ou bien on te demande de rester auprès de tes enfants. Si tu sors seule, on te demande à qui tu les as laissés. Ce sont des choses que l'on ne demande pas aux hommes” dit-elle. “Par exemple, si je veux fumer, et que je suis avec ma fille, je ne peux pas”.
Si la scolarisation en maternelle est faible, les services de gardes d'enfants de 0 à 4 ans sont très peu développés voire quasi inexistants. La Secrétaire d'État à l'Enfance affirme ne pas avoir de chiffres à ce sujet.
Suite aux événements qui ont eu lieu à la faculté de droit de la UNA, le député Hugo Rubín a présenté au Congrès un projet de loi qui rendrait obligatoire le financement publique de crèches au sein des instituts d'enseignement supérieur privés et publiques. Mais depuis le mois de décembre 2016, on attend l'approbation de cinq commissions de députés pour pouvoir traiter le dossier.
Selon la sociologie Karina Batthyány, “étant donné que l'offre de services de gardes d'enfants n'a pas encore pu être mise en place en tant que droit social”, ce sont les femmes dont les salaires sont bas ou moyens qui rencontrent les plus grandes difficultés car elles n'ont pas accès à ces services. À l'instar de Bethania Ruiz, elles doivent donc choisir entre travailler ou étudier, ou bien elles doivent s'appuyer sur d'autres femmes de la famille. C'est ce que font Cristina et Romina Moreno Re. Avec l'aide de leurs mères, belles-sœurs et belles-mères, elles organisent un réseau d'entraide pour la garde des enfants.”