Jugement historique pour la liberté de la presse en Angola : Le journaliste Rafael Marques acquitté

Rafael Marques de Morais | Cérémonie du Prix Allard 2015 | Wikimedia Commons CC-BY-SA 3.0

Un tribunal de Luanda a acquitté le journaliste Rafael Marques et le rédacteur en chef Mariano Brás des charges d’insulte à l’État angolais, ce qui est considéré comme une étape importante pour la liberté de la presse dans le pays.

Marques a été inculpé en juin 2017 après avoir publié en octobre 2016 un article alléguant que le procureur général de l'époque, João Maria de Souza, avait utilisé la corruption pour acquérir une propriété en bord de mer où il avait construit un complexe résidentiel. L'article avait été publié sur le site d'information indépendant Maka Angola, dont Marques est le fondateur et l'éditeur.

Mariano Brás, rédacteur en chef du journal O Crime, qui a publié l'article dans la presse écrite, faisait face aux mêmes accusations. Marques était en outre accusé d'avoir “offensé un organe de souveraineté” en la personne de l'ex-président José Eduardo dos Santos.

Lors de la dernière audience du 6 juillet, la juge Josina Falcão, qui présidait le procès à la cour provinciale de Luanda, a déclaré que les deux journalistes se sont contentés de “remplir leur devoir d'informer” et a rejeté toutes les accusations contre eux.

Si ce n’était pas la première fois [fr] que Marques était traduit en justice pour son travail journalistique, c’était son premier acquittement par le tribunal provincial de Luanda : dans les affaires précédentes, il avait seulement été condamné avec sursis.

L'affaire a été suivie par divers journaux et militants sur les médias sociaux. Il s’agit de l’une des premières affaires judiciaires très médiatisées sous le gouvernement de João Lourenço, qui a succédé en septembre 2017 au président José Eduardo dos Santos, resté longtemps au pouvoir.

La militante angolaise Luaty Beirão, qui était présente au procès, a tweeté au fur et à mesure du déroulement de son déroulement :

“C'est l'interprétation de ce tribunal que la vérité existe dans le texte publié par le défendeur et qu’il n’a fait que remplir son obligation d’informer le public. Nous ne percevons aucune intention de diffamer le demandeur “.

1er Tweet: “Il a été prouvé lors de ce procès que le processus d’acquisition des terrains, à l’origine de l’article de l’accusé qui a déclenché l’affaire qui arrive aujourd’hui, est entaché d’irrégularités”. Conclusion ? Qui a commis le crime? Qui aurait dû être sur le banc des accusés ? Le messager ?

2ème Tweet: La lecture du verdict

1er Tweet: Après 3 heures de lecture de ce qui semblait être une thèse de doctorat, nous arrivons à ce qui nous intéresse : RafaelMdeMorais, innocenté de toutes les charges.

2ème Tweet: “Le tribunal comprend que nous nous trompons si, en tant que société qui veut évoluer, nous décidons de punir les messagers des mauvaises nouvelles. En prenant des positions publiques, il faut s'habituer à être scruté et critiqué. Si vous ne supportez pas la chaleur, vous ne pouvez pas travailler dans la cuisine”

Après l'audience, Marques, qui a reçu le World Press Freedom Hero en 2018 décerné par l'Institut international de la presse, a déclaré que la décision du tribunal était “historique”. Il a assuré au public qu'il “continuerait à dénoncer tous ceux qui nuisent au pays”.

Un nouveau départ pour l'Angola ?

Certaines organisations de la société civile espèrent que la décision du tribunal reconnaissant l'innocence de Rafael Marques marque le début d'une nouvelle ère dans la liberté de la presse en Angola.

Dans un entretien avec DW África , Alexandre Solembe, président de l'Institut de communication sociale d'Afrique australe en Angola, a déclaré qu'il n'avait aucun doute sur le fait que le résultat aurait été différent si José Eduardo dos Santos, l'ancien président angolais était encore au pouvoir.

Sous le règne de l'ancien président, il y a eu de nombreux cas [fr] de harcèlement de journalistes et de militants qui critiquaient le gouvernement.

De même, la Fédération africaine des journalistes, une organisation regroupant des professionnels de la communication sociale de tout le continent, a accueilli favorablement la nouvelle :

La FAJ salue la libération de Rafael Marques et Mariano Bras le 6 juillet et demande aux autorités angolaises de revoir la loi sur les médias, de dépénaliser la diffamation et de créer un environnement propice au travail des journalistes.

Pour Human Rights Watch [fr], c’ est une victoire pour la liberté de la presse, comme l'a souligné la chercheuse de l'organisation pour l'Afrique, Zenaida Machado :

The unexpected ruling is a victory for freedom of the press in a country where the media has been on a tight leash, with authorities often repressing coverage of cases of corruption involving government officials, through intimidation and abusive use of defamation laws. Following today’s historic court ruling, the Angolan government should now go further and seek to amend the 2017 media law so that journalists are able to do their jobs in a free environment.

Cette décision inattendue est une victoire pour la liberté de la presse dans un pays où les médias ont été tenus en laisse, les autorités réprimant souvent ceux qui dénonçaient les cas de corruption impliquant des responsables gouvernementaux, par des actes d’intimidation et l’utilisation abusive des lois sur la diffamation. Après cette décision judiciaire historique, le gouvernement angolais doit maintenant aller plus loin et faire modifier la loi de 2017 sur les médias afin que les journalistes puissent faire leur travail dans un environnement libre.

Le réseau africain de journalistes, RSF África, a également salué le cas, déclarant que c'était un signe positif pour le journalisme d'investigation :

Angola : RSF est soulagé d'apprendre que Rafael Marques et Mariano Bras ont été acquittés le 6 juillet, mais demande aux autorités de “remettre à plat la législation draconienne sur la presse” qui menace la liberté d'informer

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