‘Même en nous quittant elle nous donne une leçon’ : le Tadjikistan bouleversé par la mort de son inlassable défenseure des droits humains

Fayzinsso Vohidova. Arrêt sur image, source : chaîne YouTube de CATV News.

[Article d'origine publié en anglais le 7 janvier 2018] Fayzinisso Vohidova, une avocate tadjike de premier plan, renommée pour sa disponibilité à défendre les prisonniers politiques, et sa critique sans relâche de l'autocratie au Tadjikistan, est décédée le 4 janvier.

Sur Facebook, où la contestation ouverte des pouvoirs dans ce pays d'Asie centrale se fait de plus en plus rare, l'effusion de chagrin en dit long.

Mère de trois enfants, Vohidova était souvent surnommée par ses admirateurs “Gurdofarid”, du nom de l'héroïne intrépide de la Perse antique dans le poème épique persan le Livre des Rois.

Elle a perdu une courte bataille contre une pneumonie, une semaine seulement après avoir fêté son 55ème anniversaire.

Ces dernières années, Mme Vohidova subissait régulièrement le harcèlement des autorités tadjikes, les agressions verbales des partisans du régime et des restrictions à ses activités professionnelles.

Si l'arrestation lui a été épargnée, Vohidova a vu sa licence d'avocat suspendue et, au moment de sa mort, avait interdiction de sortir du pays.

Steve Swerdlow de Human Rights Watch a écrit sur Twitter un fil émouvant et largement partagé en l'honneur d'une femme qu'il considérait comme une amie autant qu'une consœur.

Ce matin tôt, le monde a perdu une personne merveilleuse, une héroïne des droits humains, une avocate intrépide, une figure d’opposition, une combattante des droits des femmes et de la dignité humaine fondamentale : l'avocate tadjike des droits humains, Fayziniso Vohidova, décédée à Khujand des complications dues à une pneumonie.

‘Mère courage’

Mme Vohidova est née dans un district isolé dans le nord du Tadjikistan, et a étudié le droit à la prestigieuse Université d’État de Moscou..

Membre du Parti social-démocrate du Tadjikistan, dans l'opposition, elle s'est fait connaître en défendant des jeunes gens encourant la prison sur des accusations d'extrémisme appliquées à grande échelle par les autorités civiles.

Lorsqu'un reporter de la BBC, Urinboy Usmonov, fut arrêté sur des charges similaires en 2011, il allait de soi que Vohidova prenne l'affaire en mains. Usmonov fut jugé coupable mais remis en liberté quand les médias internationaux braquèrent leurs projecteurs sur le pays.

Un autre journaliste de la BBC, basé à Londres, Darius Rajabian a écrit sur Facebook que la réaction en ligne à la mort de la défenseure des droits était sans précédent :

Ҳаргиз Файзбуки Тоҷикистон ин ҳама сӯгвор набуд ва ин ҳама файз намеборид, ки ҳоло меборад. Рафтанаш ҳам дарсе буд…

Le Facebook tadjik n'a jamais été aussi endeuillé qu'il l'est à présent. Même en nous quittant elle nous donne une leçon.

Autre journaliste, Anora Sarkorova a décrit Vohidova comme “l'honneur et la conscience de la nation tadjike.”

“Elle ne s'est pas tue quand les autres ont caché leur tête dans le sable. Elle risquait sa vie chaque jour et connaissait la valeur de ce risque”, a ajouté Sarkorova.

Le mur Facebook de Vohidova, rempli de félicitations d'anniversaire il y a seulement deux semaines, déborde maintenant de condoléances.

Les utilisateurs tadjiks de médias sociaux, réduits au silence ces dernières années par le ciblage des voix critiques en ligne, ont brisé ce silence pour exprimer leur profond chagrin du décès de Vohidova et leur sentiment d'être sans droits.

Dans un pays passionné de poésie, on ne s'étonnera pas de ce que certains utilisateurs aient exprimé leur désarroi en vers.

Abduqodir Rustam a écrit sur Facebook [lien devenu inactif] :

Боли мурғи озоди адолат шикаст! Модари ҷасорат мурд! Дар ин чанд соли охир худро боре ҳам чунин танҳо эҳсос накарда будам, агарчи боре ҳам ӯро надида ва рӯ ба рӯ суҳбат накарда будем……. Алвидоъ Файзинисо!

L'oiseau de liberté et de justice a une aile cassée ! La mère courage est morte ! je ne me suis jamais senti aussi seul depuis des années, bien que je ne l'aie jamais rencontrée ni ne lui aie parlé en personne (Fayzinisso). Paix à ton âme Fayzinisso !

Le 9 décembre, dans son ultime billet Facebook, Vohidova avait écrit sur deux femmes qu'elle admirait particulièrement : la chancelière allemande Angela Merkel et la célèbre militante russe des droits humains Lioudmila Alexeïeva, décédée la veille.

Tout en écrivant qu'elle aimait Merkel pour sa simplicité et, de façon émouvante, pour la récente décision de la dirigeante allemande de se retirer du pouvoir, Vohidova a célébré Alexeïeva comme “la défenseur de ceux qui sont tombés, de ceux qui souffrent, des démunis.”

“De toute manière, il n'y a qu'un chemin (vers Dieu) ! Et ce chemin doit être le chemin de l'honneur, de la bonne volonté et des bonnes actions, dans la dignité humaine, pure et modeste. Prions Dieu pour demander que chacun de nous soit pleuré avec des larmes de gratitude !” écrivait Vohidova.

Note de la rédaction : Global Voices a livré un bref portrait de Fayzinisso Vohidova dans l'article de 2016 Six Tajik mothers who rule the roost on Facebook. [Six mères tadjikes qui règnent sur Facebook, non traduit en français]

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