Le fonds pétrolier du Kazakhstan est l'un des plus opaques au monde

Réunion du conseil de gestion du Fonds national sous l'ancien président Nursultan Nazarbayev en 2014. Photo en provenance d’Akorda.kz, le site officiel du cabinet du président.

Cet article a été écrit par Dmitriy Mazorenko pour Vlast.kz. Une version éditée est publiée sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partenariat médiatique.

Le Fonds national du Kazakhstan a été créé en 2000 comme mesure de protection au gouvernement en temps de crise. Cependant, même en période de prospérité économique, le gouvernement a continué à soutenir son budget en effectuant des retraits sur ce fonds. Cela va à l'encontre de la promesse du président Kassym-Jomart Tokayev d'imposer une plus grande discipline financière au gouvernement en limitant ces retraits. Son objectif ultime est de doubler les actifs du fonds d'ici 2030, pour les porter à 100 milliards de dollars américains.

Simultanément, le gouvernement a également été chargé de lancer un programme de redistribution des richesses par l'intermédiaire du Fonds national pour l'enfance nouvellement créé et de moderniser les infrastructures stratégiques avec l'argent du Fonds. Dans ce contexte, l'indulgence du président à l'égard des retraits effectués pour équilibrer le budget montre à quel point l'objectif de doubler les actifs du Fonds est improbable dans ces circonstances.

Photo de Kassymkhan Kapparov. Utilisée avec permission.

Vlast s'est entretenu avec le doyen de l'école d'économie et de finance de l'université AlmaU, Kassymkhan Kapparov, sur l'évolution du Fonds national au cours des dernières années. Kapparov, qui a également fondé Ekonomist, une plateforme d'experts sur l'économie du Kazakhstan, a répondu aux questions concernant le contrôle du fonds, son manque de transparence et les contradictions dans les plans d'utilisation.

Dmitriy Mazorenko (DM) : Comment le Fonds national a-t-il été créé ? Quel était l'objectif de sa création ?

Kassymkhan Kapparov (KK) : Le fonds a été créé en 2000, après la révélation de l'existence de comptes gouvernementaux secrets dans une banque suisse. En 2002, le Premier ministre de l'époque, Imangali Tasmagambetov, a déclaré que le gouvernement avait ouvert ces comptes pour se protéger. Le parlement a accepté cette version et a approuvé la création du f, grâce auquel l'État a pu mettre de côté les recettes provenant de l'augmentation des prix du pétrole.

En 1997, l'homme politique Galymzhan Zhakiyanov avait lancé l'idée de créer un fonds national afin d'éviter la surchauffe de l'économie pétrolière du Kazakhstan. Ce fonds était censé devenir un fonds à part entière pour les générations futures et servir de stabilisateur macroéconomique. Il aurait permis de maintenir les liquidités en devises étrangères à l'écart du marché national, empêchant ainsi une forte hausse du taux de change du tenge et, par conséquent, le “maladie hollandaise“, par lequel le secteur pétrolier pourrait tuer l'ensemble de l'industrie manufacturière.

Au lieu de cela, le gouvernement a essentiellement créé sa propre réserve. Depuis que j'étudie le fonds, au cours de la dernière décennie, les questions concernant le fonds n'ont pas été discutées de manière transparente et, plus important encore, ces discussions n'ont pas influencé la prise de décision.

DM : Comment le Fonds national est-il utilisé ?

KK : Depuis 24 ans, les actifs du fonds sont transférés chaque année au budget. C'est ce qu'on appelle les “transferts garantis”, qui s'élèvent actuellement à environ 8 milliards de dollars américains. Cela permet essentiellement au gouvernement de vivre au-dessus de ses moyens. Les transferts représentent environ 25 % des dépenses budgétaires. Le fonds permet de maintenir la configuration économique actuelle, avec un niveau élevé de participation de l'État.

Si le gouvernement mettait fin à ces transferts, il devrait entreprendre des réformes structurelles et optimiser le travail dans les agences gouvernementales et les entreprises nationales. Cela pourrait entraîner des tensions sociales. Le fonds est donc également utile pour la stabilisation politique.

Outre les transferts garantis, il existe également des transferts ciblés. Le président définit la stratégie et la plupart de ces transferts ont été utilisés dans le passé pour résoudre des crises. Lorsque le système bancaire s'est effondré en 2008, un transfert ciblé de 10 milliards d'USD a permis de surmonter la tempête.

Les transferts ciblés sont cependant encore moins transparents. Cet argent est alloué directement à des tâches spécifiques sans contrôle du parlement. Au cours des cinq dernières années, M. Tokayev a souvent répété que le Kazakhstan devait abandonner la pratique des transferts ciblés. Cela a conduit à une utilisation moins importante de cet outil. Mais maintenant que le gouvernement a montré qu'il avait besoin d'injections de liquidités supplémentaires, de nouvelles méthodes de retrait des actifs du Fonds national ont été mises en place.

DM : Le fonds n'est donc pas une institution indépendante et il est géré par le président en collaboration avec le gouvernement. N'y a-t-il pas de contrôle public sur ce fonds ?

KK : Il ne s'agit même pas d'une entité juridique. Personne n'est directement employé par le fonds. Il s'agit d'un compte détenu par le ministère des finances, qui publie un solde mensuel des actifs équivalents à des tenges entrant et sortant du fonds.

La Banque centrale est le gestionnaire de ce compte, responsable de la stratégie d'investissement du fonds. Son rapport mensuel est rédigé en dollars américains, ce qui montre que l'argent reste en dehors de l'économie. La Banque centrale gère le fonds par l'intermédiaire d'un département spécial, qui gère également les réserves d'or et de devises. Les actifs du fonds sont investis par l'intermédiaire de grandes organisations financières internationales.

La société est absente de ce tableau. La population n'a aucun contrôle sur la gestion du fonds. Son conseil d'administration est presque entièrement composé de fonctionnaires et dirigé par le président, qui a toujours le dernier mot. Le véritable gestionnaire du fonds était et reste le président.

Les membres du parlement ne peuvent pas réglementer le fonds ni contrôler ses activités, à l'exception des transferts au budget. Pourtant, même la partie des actifs du fonds qui est transférée à des entreprises nationales ne peut être examinée par le parlement. Certains députés ont essayé, mais la loi empêche tout contrôle ultérieur des budgets des sociétés nationales.

DM : Pourquoi la transparence est-elle si importante ? Pourquoi le Fonds national est-il si opaque ?

KK : En termes de transparence, le Fonds national du Kazakhstan est probablement l'un des fonds souverains les plus opaques au monde. Les informations relatives à sa stratégie d'investissement et à la structure de ses actifs qui sont publiées sur les sites web du gouvernement manquent de précision. Le retour sur investissement du fonds peut également être considéré comme opaque.

La transparence est essentielle pour les investisseurs, car c'est ainsi qu'ils comprennent la stabilité du fonds. Le manque de transparence arrange probablement quelqu'un. Le fonds est une réserve semi-secrète. Lorsque le public réclame la transparence, il se heurte à un mur de silence.

Notre président actuel et ses prédécesseurs n'ont parlé que vaguement de la stratégie d'allocation d'actifs du fonds. Les députés ont été dissuadés de poser toute autre question à ce sujet. Le fonds étant, par essence, un instrument créé par décret présidentiel, il peut à tout moment être dissous par décret présidentiel.

DM : Faut-il en conclure que, sans le Fonds national, le régime politique actuel n'aurait pas été viable ?

KK : Oui, toute cette architecture massive du pouvoir présidentiel serait impossible sans le fonds. Le Kazakhstan ne serait pas un pays superprésidentiel. Nous aurions plus de transparence en ce qui concerne le déficit budgétaire, sa structure serait visible, et toutes les dépenses seraient imputables au parlement. Cela créerait un espace de discussion publique.

Si le président peut combler le déficit budgétaire en signant simplement un décret, il n'y a pas lieu de débattre. La Banque centrale ne fait qu'exécuter les décisions du président. Maintenant, l'objectif est que les actifs du fonds atteignent un niveau de 100 milliards de dollars. La Banque centrale ne va pas s'y opposer.

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