Au Népal, une exposition met en lumière la marginalisation du peuple autochtone Tharu

“Ostracism.” Œuvre de Lavkant Chaudhary. Photo de Sanjib Chaudhary. Utilisée avec permission.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

Certaines castes et ethnies ont été et continuent d'être marginalisées au Népal. Le peuple des Tharus [fr], le quatrième groupe ethnique du pays, en fait partie. À travers sa série d'œuvres d'art intitulée ‘Masinya Dastoor’, l'artiste Tharu Lavkant Chaudhary s'efforce de raconter leurs histoires réduites au silence en se plongeant dans l'histoire de la marginalisation des Tharus.

Lavkant Chaudhary évoque un projet de recherche artistique de six mois sur l'histoire du peuple Tharu comme une expérience révélatrice des stéréotypes unidimensionnels sur sa propre communauté:

All I came across were recurring stereotypical ideas about the Tharu. We were just water snail eaters, jungle dwellers, alcohol drinkers, and an honest tribe. That was our identity.

Je n'ai entendu que des idées reçues sur les Tharus. Nous n'étions que des mangeurs d'escargots d'eau, des habitants de la jungle, des buveurs d'alcool et une tribu honnête. C'était notre identité.

Sanjib Chaudhary, auteur pour Global Voices, a rencontré Lavkant Chaudhary pour parler de l'histoire des Tharus et de son influence sur son travail.

Sanjib Chaudhary (SC): Qu'est-ce qui vous a incité à créer des œuvres d'art autour de questions sociales ?

Lavkant Chaudhary (LC): I came to know about the marginalization of Tharus and other indigenous peoples only after completing my Bachelors of Fine Arts. Searching the history of Tharus, I came across the preconceived notions about the Tharus — like people living in the jungle and eating water snails, alcohol drinkers and honest tribe among others. However, the question kept hovering in my mind: Why was the history of Tharus always kept in dark in Nepal? So, I thought of asking this through my artworks.

Lavkant Chaudhary (LC): Je n'ai pris conscience de la marginalisation des Tharus et des autres peuples indigènes qu'après avoir obtenu ma licence en Beaux-Arts. En fouillant dans l'histoire des Tharus, je suis tombé sur les idées préconçues à leur sujet,  des gens qui vivent dans la jungle, mangent des escargots, boivent de l'alcool, un tribu honnête entre autres. Cependant, la question n'a cessé de me trotter dans la tête: pourquoi l'histoire des Tharus a-t-elle toujours été tenue secrète au Népal? J'ai donc pensé à poser cette question à travers mes créations artistiques.

Masinya. Œuvre de Lavkant Chaudhary. Photo par Sanjib Chaudhary. Utilisée avec permission.

SC: Que veut dire ‘Masinya Dastoor’ ? De quoi parlent ces oeuvres?

LC: My artwork revolve around displacement and resistance of Tharus, and the discrimination the community has faced at the hands of the state. Various ethnic groups including the Tharus were categorized as masinya matwali, which literally means enslavable alcohol drinkers, by the state through the Muluki Ain (National Code of 1854). The installation ‘Masinya’ comprises 13 ghaila (clay pots) with texts from different periods carved on their surfaces. The text ranges from statements from King Prithvi Narayan Shah who is credited for unifying Nepal to the Constitution of Nepal, 2015 – all of them have helped marginalize the indigenous peoples.

The ‘Tamasuk’ series tells the stories of systematic marginalization of Tharus. During the regime of autocratic rulers, the land belonging to Tharus were distributed and rewarded to different royal administrators and bureaucrats, leaving the Tharus landless in their own place. The kamaiya and kamalari system were introduced by which Tharu men, women, and their children could be traded as commodities.

In the ‘Dastoor’ series I have used official documents from different time periods in Nepali history as a backdrop for portraits of day-to-day Tharu activities. The documents, issued by the Sen, Shah and Rana rulers of Nepal, record the way different rulers issued dastoor (legal orders) to control native people in their own land by enforcing taxes. Heavy taxes, imposed on nearly everything, from land to water, forest to agriculture, and crops to animals, impoverished the Tharus and others.

LC: Mon travail artistique tourne autour du déplacement et de la résistance des Tharus, et de la discrimination que la communauté a subi de la part de l'État. Divers groupes ethniques, dont les Tharus, ont été classés par l'État sous la catégorie de masinya matwali par le biais du Muluki Ain (code national de 1854), ce qui signifie littéralement « buveurs d'alcool asservis ». L'installation ‘Masinya’ comprend 13 ghaila (pots en argile) sur lesquels sont gravés des textes de différentes époques. Ces textes vont des déclarations du roi Prithvi Narayan Shah [fr], qui est reconnu pour avoir unifié le Népal, à la Constitution népalaise de 2015 [fr]. Tous ont contribué à marginaliser les peuples autochtones.

Dastoor. Œuvre de Lavkant Chaudhary. Photo par Sanjib Chaudhary. Utilisée avec permission.

La série ‘Tamasuk’ raconte les histoires de la marginalisation systématique des Tharus. Sous le régime des dirigeants autocratiques, les terres appartenant au peuple Tharu ont été distribuées à des administrateurs royaux et des bureaucrates, laissant les Tharus sans terre dans leur propre pays. Les systèmes kamaiya et kamalari [fr] ont permis d'échanger les hommes, les femmes et les enfants tharus contre des marchandises.

Dans la série ‘Dastoor’, j'ai utilisé des documents officiels de différentes périodes de l'histoire népalaise comme toile de fond pour les portraits des activités quotidiennes des Tharus. Ces documents montrent comment différents dirigeants, Sen, Shah et Rana, ont émis des dastoor (ordres légaux) pour contrôler les autochtones sur leurs propres terres en appliquant des taxes. Ces lourdes taxes, imposées sur presque tout, de la terre à l'eau, de la forêt à l'agriculture, et des cultures aux animaux, ont appauvri les Tharus et autres peuples.

SC: Votre œuvre ‘Ostracism’ (en français: Exclusion) contient des grains et des balles. Qu'est-ce que cela veut dire?

LC: The cereals and grains symbolize the traditional land of the Tharus. The bullets then are placed on top of the grains to connote the systematic violence through which these lands were taken away. Although the grains get older and decompose, they still have the power to procreate. Perhaps resistance functions in a similar manner, growing out of centuries of violence.

LC: Les céréales et les grains symbolisent la terre traditionnelle des Tharus. Les balles sont disposées au-dessus des grains pour évoquer la violence systématique par laquelle ces terres ont été arrachées. Bien que les grains vieillissent et se décomposent, ils ont toujours le pouvoir de se reproduire. Peut-être la résistance fonctionne-t-elle de la même manière, se développant après des siècles de violence.

SC: Vous avez choisi un thème inhabituel et moins attrayant, un insecticide, comme inspiration pour le titre de votre œuvre ‘DDT[fr]. Pourquoi?

LC: DDT, also popularly known as ‘Dangerous Dose to Tharus’, is based on one of the silenced histories of the Tharu community.

During the 50s and 60s, with support from the United States of America and the World Health Organization (WHO), the Nepali Government led a campaign to eradicate malaria in the Terai region. This led to a mass migration of hill people to Terai and large scale of deforestation in the region. The spraying of DDT not only eradicated malaria and the Anopheles mosquitoes but also reduced the Tharus to a minority in their own land. In this painting, I have used a Tharu wall relief technique to paint various objects including images of humans. Each image is approximately the same size as a mosquito.

LC: Le DDT, communément appelé “Dose Dangereuse pour Tharus”, s'inspire d'une des histoires passées sous silence de la communauté Tharu.

DDT. Œuvre et photo de Lavkant Chaudhary. Utilisée avec permission.

Durant les années 50 et 60, avec le soutient des États-Unis et de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) [fr], le gouvernement népalais a mené une campagne pour éradiquer le paludisme dans la région Teraï. Cela a entraîné une migration massive des populations des collines vers le Teraï et une déforestation à grande échelle dans la région. La pulvérisation de DDT a, non seulement éradiqué le paludisme et les moustiques anophèles [fr] mais a également fait des Tharus une minorité sur leurs propres terres. Dans ce tableau, j'ai utilisé une technique de relief mural tharu pour peindre divers objets, dont des images d'humains. Chaque image est approximativement de la même taille qu'un moustique.

SC: Vous vous exprimez avec force sur l'incident de Tikapur et affirmez que les grands médias n'ont pas cherché les véritables histoires. Que dit la série ‘Citizen From the Land of Inequality Series’  (en français : Citoyens du pays de l'inégalité) ?

LC: During the Tikapur incident of August 24, 2015, and its aftermath seven police officers, a young child, and more than fifty people from the area were killed. The state played a big part in terrorizing the Tharu community by performing targeted arrests, killings and burning their houses. The Tharu community was portrayed as being ‘violent’ by the Nepali media, while the violence the community faced at the hands of state forces was ignored.

My artwork ‘Once There was a Village’ comprises a video of a miniature traditional village recreated using clay, bamboo, cardboard, ceramic pots, printed maps, glass, plywood, LED tubes. This work questions indigenous identity, rights, equality, and social discrimination. In the aftermath of the Tikapur incident, more than 88 houses were burnt, specifically targeting the houses of Tharus. The video begins with a Tharu folk song while eye witness accounts of the harsh suffering faced by Tikapur locals is heard as the houses burn.

LC: Lors de l'incident de Tikapur du 24 août 2015 et des événements qui ont suivi, sept policiers, un enfant et plus de cinquante personnes de la région ont été tués. L'État a largement contribué à terroriser la communauté Tharu en procédant à des arrestations ciblées, des meurtres et en brûlant leurs maisons. Le peuple des Tharus a été décrit comme violent par les médias népalais, tandis que la violence à laquelle ils étaient confrontés à été ignorée.

Mon œuvre ‘Once There was a Village’ (en français: Il était une fois un village) contient une vidéo d'un village traditionnel miniature recréé à l'aide d'argile, de bambou, de carton, de pots en céramiques, de cartes imprimées, de verre, de contreplaqué et de tubes LED. Ce travail remet en question l'identité indigène, les droits, l'égalité et la discrimination sociale. À la suite des manifestations à Tikapur, plus de 88 maisons ont été brûlées, particulièrement les maisons de Tharus. La vidéo commence par une chanson folklorique tharu, alors que des témoignages de la dure souffrance des habitants de Tikapur sont entendus pendant que les maisons brûlent.

À lire également: Les appels à enquêter sur les représailles contre la communauté Tharu se font plus pressants

SC: Vous avez abordé la question de la marginalisation de la communauté Tharu dans votre travail artistique. Avez-vous également essayé de raconter les histoires des Tharus ?

The Diary: Barefaced Truth of the Suppressed’. Dessin et photo de Lavkant Chaudhary. Utilisée avec permission.

LC: My artwork ‘The Diary: Barefaced Truth of the Suppressed’ tells the story of Jokhan Ratgainya, a Tharu journalist, writer and revolutionary. I have recreated his diary by etching the texts and images on wood. Jokhan was murdered on June 11, 2001, by the then Royal Nepal Army at the time of the Civil War. This series depicts the situation of that period. It is rooted in the instability and killings faced by the Tharus of Far-Western Nepal at the hands of the Government of Nepal. People were arrested, murdered, and forcefully disappeared by the government in what came to be known as the ‘Operation Kilo Sera II’.

LC: Mon œuvre ‘The Diary: Barefaced Truth of the Suppressed’ (en français: Le Journal: La vérité cachée des opprimés) raconte l'histoire de Jokhan Ratgainya, un journaliste, écrivain et révolutionnaire Tharu. J'ai recréé son journal en gravant les textes et les images sur du bois. Jokhan a été assassiné le 11 juin 2001 par l'Armée royale du Népal de l'époque, lors de la guerre civile. Cette série dépeint la situation de cette période. Elle prend racine dans l'instabilité et les meurtres auxquels les Tharus ont dû faire face aux mains du gouvernement népalais. Des personnes ont été arrêtées, assassinées et portées
disparues par le gouvernement dans le cadre de ce qui a été connu sous le nom d’opération Kilo Sera II.

Retrouvez certaines des œuvres d'art de Lavkant Chaudhary sur sa page Instagram.

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