Alors que la lutte contre le COVID-19 bat son plein au Pakistan, un essaim de criquets pèlerins ravage les récoltes alimentaires

Criquet pèlerin en gros plan, posé sur une feuille.

Criquet pèlerin. Image par Sergio Boscaino via Flickr, sous licence CC BY 2.0.

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndt.]

Comme dans bien des pays à travers le monde, la pandémie de COVID-19 a secoué l'économie pakistanaise et a mis en exergue des problèmes d'inégalités, de conflits régionaux et de chômage croissant. Dans le cas du Pakistan, ces problèmes sont aggravés par l'arrivée d'une armée de sauterelles qui depuis juin 2019 s'attaque aux récoltes alimentaires, menaçant un secteur agricole en péril et déjà fragilisé par les effets de la pandémie.

Ces essaims de criquets pèlerins en provenance d'Iran ont fait la une de la presse internationale après leur entrée au Pakistan en juin 2019. Selon l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture des Nations unies (FAO), ces criquets représentent un véritable fléau car « un essaim de la taille de Paris dévore l'équivalent de ce que mange en un jour la moitié de la population française.»

En novembre 2019, les criquets ont atteint la ville de Karachi, qui a connu sa première attaque acridienne depuis 1961. En février, lors de la déclaration d'urgence nationale par le gouvernement pakistanais, cette armée de criquets avait déjà détruit, entre autres, des cultures de coton, de blé et de maïs. La décision de protéger les cultures et les agriculteurs grâce à un plan d'action national et à l'octroi d'un budget de 7,3 milliards de roupies pakistanaises (45,49 millions de dollars) a été prise conjointement par des responsables et des ministres fédéraux.

Selon la FAO, le criquet pèlerin a touché 28 districts du Baloutchistan, 11 à Khyber Pakhtunkhwa, 12 au Pendjab et 2 au Sind.

Les agriculteur·rice·s s'inquiètent de leur capacité à nourrir leurs enfants et de l'état la production agricole. Face à cette situation alarmante, de nombreuses personnes résidentes de la province se sont tournées vers les médias sociaux pour exprimer leurs préoccupations et leur craintes.

Cette invasion de criquets au Pakistan constitue un problème grave et une crise agricole en gestation. Aussi décoratif [sic] que l'on pourrait le considérer, ce fermier a l'air… ce qu'il veut vraiment que nous réalisions, c'est la gravité de la situation actuelle.

[image] Un agriculteur, l'air hagard, a la chemise et la tête couvertes de criquets.

Une effrayante vidéo de première main du nuage, réalisée par un témoin retraçant son parcours de Sibi (au Balouchistan) jusqu'à Sind, dans le sud-est du Pakistan, a fait le tour de Twitter.

Conduire à travers un essaim de criquets de Sibi jusqu'à Sind  #cauchemar (via WhatsApp)

[vidéo] La vidéo est tournée de nuit, depuis le siège du conducteur. Les criquets ne cessent de se heurter au capot et au pare-brise, et il n'y a aucune visibilité. Le conducteur klaxonne à plusieurs reprises.

Alors que beaucoup manifestent des inquiétudes quant aux pénuries alimentaires prévues, beaucoup rejettent la responsabilité sur le gouvernement fédéral et les ministères de l'Agriculture. Manoj Genani, journaliste indépendant, estime que la situation s'est aggravée en raison de la négligence du gouvernement et des autorités concernées :

Dans cette situation de pandémie, le département de la protection des végétaux n'a pas tenu compte des criquets, ils auraient pu commencer les pulvérisations biologiques dans la région plus tôt mais ne l'ont pas fait jusqu'à présent, les petits exploitants agricoles du Sind s'inquiètent, cela pourrait entraîner une perte énorme de cultures #ChangementClimatique

[images] Un criquet tenu entre deux doigts est photographié sous plusieurs angles.

L'impact dévastateur des infestations de criquets

Le Pakistan est avant tout une économie agraire, le secteur primaire représentant environ 24 % du produit intérieur brut (PIB). Une grande partie de ses 220 millions d'habitant·e·s dépend de l'industrie agricole, soit directement par l'agriculture et l'irrigation, soit par la chaîne d'approvisionnement et l'exportation des cultures.

En raison du COVID-19, nous observons déjà un effondrement de l'économie du Pakistan. Cependant, à présent, c'est au tour du secteur de l'agriculture de subir également une énorme perte de ses exploitations en raison du criquet pèlerin, ce qui s'avérera plus nocif pour les cultures du Sind…#YaAllahKhair #SauvezLeSindDesCriquets

[image] Un groupe de criquets monte sur une branche.

Si l'on en croit le rapport d'enquête concernant la mesure des niveaux de vie et des conditions sociales au Pakistan entre 2018 et 2019, près de 16 % de la population pakistanaise était menacée d'une insécurité alimentaire modérée à sévère.

L'inefficacité de la chaîne d'approvisionnement agricole du pays expose des millions de personnes au risque de malnutrition, en particulier dans les régions pauvres et particulièrement abandonnées du Sind et du Baloutchistan. Et depuis l'épidémie de COVID-2019, la situation ne s'est pas améliorée, loin s'en faut.

Aamer Hayat Bhandara, agriculteur au sud du Pendjab, a déclaré que la pénurie de main d’œuvre et de transports et l'absence d'une stratégie gouvernementale claire pendant le confinement, affectaient le système alimentaire du Pakistan.

Hashim Bin Rashid et Mohsin Abdali écrivent sur les causes premières de la crise alimentaire au Pakistan dans la revue Pakistan Left :

The complete shutdown of agricultural trading markets, especially those that purchase outputs from farmers, has led to significant losses for farmers. With the movement of goods suspended, crops ready for harvest, including grain, have been left to rot in the fields.

L'arrêt complet des marchés commerciaux agricoles, en particulier ceux qui achètent des produits aux agriculteurs et agricultrices, a entraîné des pertes importantes pour les exploitants agricoles. La circulation des marchandises étant suspendue, les récoltes prêtes à être récoltées, notamment les céréales, sont restées dans les champs où elles pourrissent.

Le blé et la farine sont des aliments de base de la cuisine pakistanaise, et de nombreux ménages pauvres en dépendent pour répondre à leurs besoins nutritionnels. L’essaim de criquets pèlerins a frappé pendant la période de récolte des cultures de rabi [fr] – dont le blé n’est qu’un exemple – et constitue une grave menace pour la population pakistanaise.

24 % des Pakistanais·es vivent en dessous du seuil de pauvreté national, ce qui signifie que 38 % de la population dépend du blé et de la farine. Les agriculteurs et agricultrices craignent que leurs enfants ne meurent de faim et ont supplié le gouvernement de prendre des mesures rapides, en demandant une assurance contre l'infestation.

Le président du Parti populaire du Pakistan, l'un des principaux partis politiques d'opposition au Pakistan, a mis en garde contre un risque de famine si le gouvernement fédéral n'intervenait pas à temps.

Une coopération régionale renforcée

Cette invasion de criquets a également menacé d'autres économies agricoles, et certains pays africains ont des difficultés à la surmonter. En Asie, la crise a permis d'instaurer une coopération au niveau régional avec les pays voisins du Pakistan, offrant une aide dans la lutte contre l'infestation.

En février, malgré la rupture des relations commerciales avec l'Inde à la suite du conflit au Cachemire, le Pakistan envisageait d'importer des pesticides en provenance du pays voisin. Selon nos informations les plus récentes, l'Inde a également sollicité l'aide du Pakistan et de l'Iran en vue d'une proposition de partenariat trilatéral.

La Chine a également apporté tout son soutien au Pakistan en envoyant près de 300 tonnes de pesticides anti-acridiens et en faisant don de 350 pulvérisateurs montés sur véhicule au cours des trois derniers mois. L'Iran et la Turquie ont également mis leur expertise à contribution pour aider le Pakistan à lutter contre ce fléau.

L'ambassadeur iranien au Pakistan, Syed Mohammad Ali Hussaini, a exhorté le Pakistan et l'Inde à travailler en coopération avec l'Iran pour combattre cet ennemi commun. Il estime que le partage de connaissances, de l'expertise et des meilleures pratiques permettra à ces trois pays de venir à bout de l'infestation acridienne et de protéger le secteur alimentaire déjà fragile.

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