[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]
Essayer de jurer dans une langue que vous ne parlez pas couramment peut être compliqué, mais pour ceux qui veulent prendre le risque, il existe désormais un compte Instagram qui apprend aux anglophones à jurer en russe.
curselikearussian s'est proposé d'enseigner aux utilisateurs l'usage du « мат [fr] », qui désigne cette véritable mine de jurons en russe et dans d'autres langues slaves. Le terme « мат » provient de l'expression russe « Ёб твою мать », qui signifie « n**** ta mère ».
Bien que largement utilisé au quotidien, мат a été passé sous silence pendant l'ère soviétique, puis accepté à nouveau après la chute de l'URSS en 1991. Ce concept a fait l'objet de nombreuses études par des universitaires et des lexicographes. En Russie, l'utilisation de мат a été interdite dans les espaces publics en 2014, sous l'article 20.1.1 [ru] du Code des infractions administratives, qui considère cette pratique linguistique comme une forme de hooliganisme, et impose des amendes ou des arrestations administratives aux contrevenants. Cela signifie en grande partie que les cas de мат sont censurés dans les films, à la télévision et à la radio, et dans les débats ou discours publics.
Rien de tout cela n'a empêché le blasphème de prospérer en Russie et dans d'autres contextes multilingues : les locuteurs du kirghiz, par exemple, utilisent les injures russes dans des conversations en langue kirghize juste pour le style.
Dans un entretien avec Global Voices, les créateurs de curselikearussian, la journaliste russe Elmira Kuznetsova et le dessinateur de BD et de dessins animés Jess Pollard, ont déclaré que leur but était d'honorer la richesse et la créativité des injures russes, mais aussi de souligner leur complexité. Kuznetsova explique comment tout a commencé :
Jess is learning Russian and one night I was trying to translate to her the Russian curse “На хую я вертел.” The phrase translates as “I don't care” but the literal meaning is “I spun it on my dick”. Just for laughs, Jess drew a sketch depicting random things being spun on male genitalia. We laughed so hard both at the image and at the absurdity of the literal translation, we decided to make more illustrations. This turned into a comic magazine that we called “An Illustrated Treasury of Russian Curses” that was printed in a batch of 50 copies and sold to our friends.
Jess apprend le russe et un soir j'essayais de lui traduire l'injure russe « На хую я вертел.» L'expression se traduit comme « j'en ai rien à foutre », mais le sens littéral est « Je l'ai fait tourner sur ma bite ». Juste pour rire, Jess a dessiné un croquis illustrant des choses au hasard tournant sur les organes génitaux masculins. Cela a fini en BD que nous avons appelée Un trésor illustré des injures russes et que nous avons imprimée en 50 exemplaires et vendu à nos amis.
Ils ont créé le compte Instagram en octobre 2020 pour faire la promotion du fanzine. Ensuite, encouragés par des amis et collègues, ils se sont mis à ajouter des choses à leur collection. Le compte a désormais plus de 50 000 abonnés.
À la question de savoir quelles étaient ses expressions préférées, Pollard a répondu :
My Russian teacher explained that “Я скучаю по тебе” does mean I miss you, but it is also connected to the word “bored”: in a way, we are almost saying “I have lost my zest for life without you.” While learning Russian has resulted in many laughs, I also find it an extremely beautiful and complex language.
Ma professeur de russe m'a expliqué que « Я скучаю по тебе » veut bien dire « Tu me manques », mais c'est également lié au verbe « s'ennuyer » : d'une certaine façon, c'est comme si on disait « J'ai perdu goût à la vie sans toi. » Même si mon apprentissage du russe a provoqué beaucoup de rires, je trouve également que c'est une langue très belle et complexe.
Pour Kuznetsova, la meilleure insulte russe est « сказочный долбоёб », qu'elle traduit comme « un merveilleux branleur ». Elle aime également cette expression car elle a fait l'objet de plusieurs procès ridicules en Russie.
Interrogés sur leurs stratégies face au défi de traduire des expressions très idiomatiques, Kuznetsova et Pollard ont répondu :
We go with the most literal, word-by-word translation of the curse. So there's no need to borrow. The process is usually pretty quick, although there are cases when even basic words or grammatical constructions in Russian require some adaptation to retain their meaning in English. Once we were stuck for an hour working on the phrase “Хуем груши околачивать”. We couldn't decide whether it was “to knock off” or “to knock from” that preserved the meaning of the verb better. The consensus was reached only after a Canadian friend with a Master's degree in English was invited to join this most heated discussion.
Nous utilisons la traduction la plus littérale, mot-à-mot, de l'insulte. Donc pas besoin d'emprunter. D'habitude, le processus est plutôt rapide, bien qu'il existe des expressions ou même des mots simples ou des constructions grammaticales en russe qui demandent une certaine adaptation pour garder le sens en anglais. Une fois, on est restés bloqués une heure sur l'expression « Хуем груши околачивать ». On n'arrivait pas à choisir entre « to knock off » ou « to knock from » pour préserver au mieux le sens du verbe. Nous sommes parvenus à un accord seulement après avoir invité un ami Canadien titulaire d'un master en anglais à prendre part à cette discussion animée.
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Pollard a remarqué que les traductions peuvent combiner à la fois des éléments linguistiques et visuels :
There are so many aspects to consider when translating: flow, comedy, meaning, and the emotional aspect. The illustrations are themselves a kind of translation that supports the phrase. Should this character look happy? Angry? Amazed? A further layer is added when we connect the two languages together: sometimes curse translations can be “supported” by existing English phrases, as in the case of “whackerfucker” (which mirrors the construction of “motherfucker.” This is why we chose to not add a dash between “whacker” and “fucker.”) While this makes the translation both accurate and easily understandable to English speakers, some of our Russian fans were convinced “whackerfucker” is a real English word. Perhaps, the translation was too good… This is the most swearing I've ever done in an interview. My hands are shaking!
Il existe tellement d'éléments à prendre en compte quand on traduit : le flux, l'humour, le sens, et l'aspect émotionnel. Les illustrations sont elles-mêmes une sorte de traduction qui appuie l'expression. Ce personnage devrait-il avoir l'air heureux? énervé? émerveillé? Une couche de plus s'ajoute quand on fait le lien entre les deux langues : parfois, la traduction d'injures peut être « soutenue » par des expressions anglaises existantes, comme c'est le cas pour « whackerfucker » [branleur] (qui reflète la construction de « motherfucker » [fils de pute] C'est pourquoi on choisit de ne pas ajouter de tiret entre « whacker » et « fucker».) Tandis que cela rend la traduction à la fois exacte et facile à comprendre pour les locuteurs anglophones, certains de nos fans Russes étaient convaincus que « whackerfucker » était un vrai mot anglais. Peut-être que la traduction était trop bonne… Je n'ai jamais autant juré dans une interview. Mes mains tremblent!