Cet article est extrait d'une publication sur The 88 Project, un site d'actualités indépendant qui couvre le Vietnam, une version modifiée est republiée sur le site de Global Voices en vertu d'un accord de partage de contenu entre les deux médias.
Après une avalanche de procès très médiatisés au cours des deux dernières semaines de 2021, l'activité soutenue du tribunal populaire du Vietnam s'est poursuivie en ce début de nouvelle année. Huit citoyens ont été arrêtés au cours des deux premières semaines de 2022 pour des actes de « propagande contre l'État » ou de violations de la liberté d'expression, et quelques peines de plusieurs années ont été ajoutées pour faire bonne mesure.
Le procès ayant le plus attiré l'attention à l'international est celui de Pam Doan Trang, auteure et journaliste indépendante, qui n'a eu connaissance de la date de son procès du 14 décembre seulement un jour avant qu'il ait lieu. À la suite du procès, la nouvelle de sa condamnation choquante à neuf ans de prison a à peine eu le temps de faire son chemin qu'elle a été suivie de trois autres procès qui se sont succédés rapidement.
Trinh Ba Phuong et Nguyen Thi Tam ont été reconnus coupables et condamnés le 15 décembre à dix ans et six ans de prison, respectivement, pour avoir aidé des villageois de Dong Tam à faire connaître leur histoire concernant une attaque contre leur village qui a entraîné la mort de trois policiers et d'un villageois. Le lendemain, Do Nam Trung, militant de longue date, a été condamné à dix ans de prison au titre de l'article 117, une disposition du Code pénal vietnamien souvent utilisée pour réduire les militants au silence.
La veille de Noël 2021 a été marquée par les procès en appel de Can Thi Theu et son fils Trinh Ba Tu. Comme prévu, le tribunal a confirmé la peine de huit ans d'emprisonnement pour chacun de ces deux militants de longue date pour les droits fonciers, qui ont également participé à l'aide aux victimes de la descente de police meurtrière de Dong Tam. Sans surprise, les deux accusés ont fait preuve de provocation et ont assuré fermement aux juges qu'ils n'avaient violé aucune loi.
Puis, vint le tour de Le Trong Hung, la veille du jour de l'an. Le défenseur de la Constitution s'est présenté aux législatives en tant que candidat indépendant et a été jugé et condamné à cinq ans de prison pour « propagande contre l'État ». La femme de Hung n'a même pas été autorisée à entrer dans la salle d'audience pour entendre la défense de son mari.
Comme si ces condamnations ne suffisaient pas, ce début de nouvelle année a été marqué par une affaire très inhabituelle et étrange. Le Tung Van, un homme de 90 ans ayant fondé un temple et un orphelinat dans la province de Long-An, a été arrêté, ainsi que trois de ses enfants adoptifs. Son temple, Tinh-That Bong-Lai, n'appartient à aucune tradition religieuse ou organisation qui serait sanctionnée par l'État. Depuis des années, ce lieu est connu pour avoir mis en avant des chanteurs talentueux ayant remporté de nombreux prix lors d'émissions télé. En réalité, l'une des chaînes YouTube du temple compte des millions d'abonnés.
Au départ, la police a accusé Van et son temple de trois crimes : fraude fiscale, inceste et abus des libertés démocratiques. Sur Facebook, des rumeurs ont commencé à circuler, accusant le vieux moine, entre autres, d'être le père d'enfants illégitimes et d'avoir eu des rapports sexuels avec certains d'entre eux, donnant ainsi naissance à encore plus d'enfants. Ces allégations malsaines ont provoqué une tempête sur les réseaux sociaux qui semble avoir été programmée pour détourner l'attention des citoyens d'un important scandale de corruption lié à la vente de « tests de dépistage du COVID-19 ». Plusieurs ministres et des centaines de millions de dollars sont impliqués dans cette affaire. Alors que les internautes ont commencé à remettre en question la véracité des accusations contre Van et les motivations derrière de telles rumeurs, les autorités ont rapidement retiré les deux premiers chefs d'accusation contre le temple.
Le Tung Van a par la suite été relâché mais il reste assigné à résidence. Les trois hommes maintenus en détention sont Le Thanh Hoan Nguyen, 32 ans, Le Thanh Nhat Nguyen, 31 ans, et Le Thanh Trung Duong, 27 ans. Les chefs d'accusation contre ces trois personnes ne sont pas encore connus.
Dans le même temps, les accusations non-officielles « d'inceste » gagne considérablement du terrain sur Facebook. Des groupes et des pages du réseau social sont suspectés d'appartenir à Force 47, l'armée de cyber-attaque dirigée par le Ministère de la Propagande vietnamien. L'objectif final de ces groupes reste incertain à ce jour.
Enlèvements illégaux
Le 5 janvier, la police est entrée de force chez le Youtubeur Nguyen Thai Hung alors qu'il était en train de diffuser du contenu en direct et l'a arrêté alors que la caméra était encore allumée. La vidéo surréaliste dans laquelle on entend des bruits de vitres brisées et les cris de policiers est devenue virale. La femme de Hung, Vu Thi Kim Hoang, a également été arrêtée. La soeur de Hoang a révélé plus tard aux micros de Radio Free Asia que les hommes ayant pénétré dans la maison ne portaient pas d'uniformes de policiers ce qui a conduit sa mère, qui vit juste à côté, à les prendre pour des cambrioleurs et à appeler à l'aide.
Lors de l'arrestation, aucun mandat d'arrêt et aucune explication n'ont été fournis à la famille du couple. Ce ne sont que quelques jours plus tard que les autorités ont dit à la famille que Hoang été accusé « d'abus des libertés démocratiques » selon l'article 331. Hung n'a pas encoré été inculpée et le couple reste en détention.
Une semaine plus tard, le 12 janvier, des policiers en civil ont enlevé Le Manh Ha alors qu'il voyageait dans la province de Tuyen Quang. Ha gère une chaîne YouTube sur laquelle il traite de questions juridiques liées à l'accaparement de terres. Il en a été lui-même victime par le passé. La femme de Ha, Ma Thi Tho, a déclaré que la police avait ramené son mari chez eux et ont procédé à une perquisition leur permettant de saisir plusieurs équipements et appareils électroniques. Bien que ces officiers de police ne portaient pas d'uniformes, ils ont toutefois présenté un mandat de perquisition et d'arrêt. Sans surprise, Le Manh Ha a été accusé d'avoir fait de la « propagante contre l'État » selon l'article 117.
Le 14 janvier, dans la province de Ha Tinh, la police a procédé à l'arrestation de Nguyen Duc Hung, 31 ans, accusé de « propagante contre l'État » également. Les actes illégaux que Hung est accusé d'avoir commis ne sont pas encore clairs à ce jour mais l'homme devient la huitième personne arrêtée depuis le début de l'année.
Des arrestations mais aussi des jugements
Plusieurs procès ont eu lieu au cours des deux premières semaines de 2022.Le 11 janvier, Mai Phan Loi, fondateur et directeur très respecté de l'ONG Center for Media in Educating Community (MEC), a été condamné à quatre ans de prison pour « fraude fiscale ». Il a également été condamné à payer une amende d'environ 90 000 dollars américains.
Loi, un journaliste discret et indépendant depuis maintenant cinq ans, informe discrètement ses lecteurs sur la Constitution et la loi vietnamiennes. En juillet de l'année dernière, cet homme a été arrêté, ainsi que son associé Bach Hung Duong qui a été condamné à 30 mois de prisons pour le même chef d'accusation. La « fraude fiscale » est un chef d'accusation fréquemment utilisé par le gouvernement pour faire taire les critiques qui sont souvent émises par des chefs d'entreprises. Dang Dinh Bach, directeur de l'ONG Law and Policy of Sustainable Development (LPSD), sera traduit en justice le 24 janvier 2022. Il est également accusé d'évasion fiscale.
Enfin, dans le cadre d'une affaire inquiétante de maltraitance de prisonnier, le chef de la police, Le Chi Thanh, a été condamné à deux ans de prison pour « entrave à l'action des fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions ». Thanh possédait une chaîne YouTube où il publiait régulièrement des récits dans lesquels il parlait de violences policières et de corruption. Dang Dinh Manh, l'avocat de Thanh, a déclaré que son client a affirmé lors du procès qu'il avait été torturé, battu et même accroché par les jambes plusieurs jours durant dans une pièce tapissée d'excréments humains. L'avocat a fait remarquer que l'on avait dû aider Thanh à marcher pour entrer au tribunal, lui qui était auparavant un policier fort et en forme physiquement. Une photo de Thanh révèle des bleus sur des parties de son corps. Après l'annonce de la condamnation de Thanh, le ministère public a déclaré qu'il ajouterait un nouveau chef d'accusation d'« atteinte aux libertés démocratiques » au titre de l'article 331; ce qui garantit pratiquement qu'une peine de prison supplémentaire sera prononcée.
Alors que débute la nouvelle année lunaire, l'année du Tigre, les observateurs des droits de l'homme attendent de voir si le Président vietnamien accordera des grâces de bonne volonté. Mais si l'on en croit les premières semaines de 2022, il est fort peu probable que des prisonniers politiques figurent sur une telle liste.