La diffusion de fausses informations sur le Kosovo encore une fois utilisée comme stratégie électorale en Serbie

Un parc à Pristina montrant une peinture murale de Ibrahim Rugova. Photo de Global Voices, CC-BY 3.0.

Cette histoire a été initialement publiée par Sbunker dans le cadre de l’initiative régionale Western Balkans Anti-Disinformation Hub. Une version éditée a été republiée par Global Voices avec permission.

C’est désormais devenu une habitude qu’à chaque élection en Serbie, le discours politique de la part des dirigeants concernant le Kosovo augmente. Les politiciens de gauche et de droite, du pouvoir et dans l’opposition, s’affrontent pour savoir qui sera le plus dur sur les politiques qui seraient menées à l’égard du Kosovo s'ils gagnaient les élections. La même situation s’est reproduite lors de la dernière campagne pour les élections législatives et les élections présidentielles serbes qui ont eu lieu le 3 avril dernier.

Depuis sa déclaration de l’indépendance en 2008, une habitude inacceptable a été établie au Kosovo visant à ce que toutes les élections serbes se déroulent également au Kosovo. Jusqu’à cette année, de telles élections étaient administrées par l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). En bref: un pays indépendant (la Serbie) a organisé des élections de manière complètement libre dans un autre pays, lui aussi indépendant (le Kosovo).

Le gouvernement du Premier ministre Albon Kurti a mis fin à cette pratique, tout en demandant qu’une solution permanente soit trouvée pour la participation des Serbes du Kosovo aux élections en Serbie. Selon les Kosovars, il y avait une bonne volonté de permettre aux citoyens serbes d’exercer leur droit de vote, une fois que c’était en accord avec les pratiques reconnues à l’international. La proposition du Kosovo a été rejetée par la Serbie.

Un événement similaire s’est produit dans le pays voisin, au Monténégro. Le gouvernement a refusé la demande de l’ambassade serbe visant à autoriser l’ouverture de bureaux de vote pour les élections serbes dans les villes monténégrines de Berane, Sutomore et Budva. Le gouvernement serbe a promis de riposter.

« Mises en garde » contre les menaces infondées à l'encontre des Serbes du Kosovo

Le vainqueur des élections serbes du 3 avril a été, sans surprise, le Président actuel Aleksandar et son gouvernement. Dans la plupart des cas, le président tente de construire un récit fantastique autour du Kosovo, sans négliger ses efforts de désinformer l’opinion publique serbe sur ce qui est supposé se passer au Kosovo. Ainsi, pendant la campagne électorale, Aleksandar Vučić a mentionné dans une interview à la télévision, « si les Serbes commencent à organiser les élections, la police albanaise va leur tirer dessus. Dans ce cas, il y aurait des dizaines de centaines de morts. »

Cette fausse alerte du Président Vučić a été émise pour au moins deux objectifs politiques. Premièrement, pour créer une situation de panique et de tension entre les citoyens serbes au Kosovo et ses institutions. Deuxièmement, le Président Vučić a essayé d’utiliser la manipulation pour transmettre le message selon lequel malgré les supposées « provocations » de la part des Albanais, les Serbes se montreraient plus prudents. Peu importe le fait que l’organisation des élections dans un territoire indépendant soit considérée comme de la provocation par les institutions et une majorité de la population au Kosovo.

De plus, pendant son discours à la fin du mois de mars dernier, Vučić a combiné ces déclarations accusatrices avec des menaces tacites faisant référence à la possibilité d’une intensification du conflit actuel en Ukraine (qui en découle de l’agression russe).  Selon le Président serbe, « Il y a des personnes qui attendent l’occasion de provoquer une guerre ».

Cependant, la situation sur le terrain a prouvé que ces déclarations étaient infondées.

Les subordonnés de Vučić se sont également adressés aux Albanais sur un ton menaçant et insultant, notamment le ministre de la Défense Aleksandar Vulin, bien connu pour être un négationniste du génocide, un réhabilitateur de criminels de guerre et un promoteur du « monde serbe ».

En ce qui concerne la suspension d’un juge serbe de la ville de Mitrovica à cause de sa participation à la réunion du Conseil de Sécurité de Serbie, Vulin a menacé :

This is the first step towards pulling Serbia in the armed conflicts in Kosovo, which the Albanians are undoubtedly preparing. If the European Union, which is the sponsor of the Brussels Agreement, does not convene a meeting in Brussels and stops every kind of violence against Serbs in Kosovo, then we can rightly say that Kurti's attack did not come from his hate-poisoned head.

C’est le premier pas pour entraîner la Serbie dans un conflit armé au Kosovo, dans lequel les Albanais ne sont pas du tout prêts. Si l’Union européenne, qui est le commanditaire de l’Accord de Bruxelles, ne se réunit pas à Bruxelles pour mettre fin à toute forme de violence à l’encontre des Serbes au Kosovo, alors nous pourrons affirmer à juste titre que l’attaque du Président Kurti ne venait pas de son esprit empoisonné par la haine.

Il y a eu une série d’actes qui ont précédé les menaces de guerre de la Serbie et qui sont liés aux élections présidentielles dans ce pays.

Après que le groupe des États QUINT (États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne et Italie) ait confirmé que le gouvernement du Kosovo avait rejeté les élections de la Serbie, Vučić a organisé une réunion avec des politiciens serbes et d’autres acteurs faisant partie des institutions indépendantes du Kosovo. Parmi les participants, il y avait Milan Radoičić, (qui s’écrit aussi « Milan Radojcic »), connu comme le leader de la Serbie Nord Mitrovica. Radoičić et plusieurs Serbes Kosovars faisaient partie de la liste des sanctions du département du Trésor nord-américain de l’année dernière.

Radojcic a aussi été déclaré suspect dans l’affaire de meurtre de l’ancien politicien Kosovar Oliver Ivanovic. Mais après un certain temps, il a été retiré de la liste de recherche par décision du procureur de l’affaire. Récemment, le procureur spécial du Kosovo l’a remis sur la liste des personnes recherchées.

De nombreuses déclarations aux tonalités hostiles ont également été publiées par les politiciens de la Liste serbe, qui ont été distribués aux médias locaux du Kosovo.

Les protestations serbes au Sud et au Nord du Kosovo

Au lendemain de la réunion avec Vučić, le Conseil judiciaire du Kosovo a suspendu le Président du Tribunal de Première instance de Mitrovica, Liljana Stevanović. Par conséquent, le parti politique Srpska Lista (Liste Serbe) – la seule entité avec le soutien officiel de Belgrade pour représenter les Serbes dans les institutions au Kosovo – a organisé des protestations au Nord Mitrovica et Gračanica.

Bien que la protestation ait été annoncée contre les Serbes du fait qu’ils n’étaient pas autorisés à voter aux élections du 3 avril, ses organisateurs avaient seulement une requête : lever la suspension de Stevanović. Tous les juges et même les représentants politiques serbes ont quitté leurs fonctions en soutien au juge.

Mais d’autres entités serbes qui sont des rivaux de Vučić, décrivent la protestation comme une tentative de manipulation envers les Serbes. D’après le parti serbe du Kosovo, « le rassemblement a été la preuve de la confusion des autorités du SNS et la crainte de leurs subsidiaires : la Liste serbe ».

Le rejet des élections étrangères

Pour la première fois, un gouvernement kosovar géré par un parti qui s’était opposé aux pratiques précédentes n’a pas autorisé l’ouverture des centres dits de collecte, qui seraient gérés par la mission de l’OSCE au Kosovo.  Les dernières élections parlementaires que la Serbie avait aussi organisées pour les Serbes du Kosovo étaient celles du 21 juin 2020. Les votes recueillis dans certains bureaux de vote ont été ensuite envoyés pour être comptés de l’autre côté de la frontière en Serbie, dans les villes voisines de Raška et Vranje.

À la veille des protestations, les inquiétudes sur les risques de l’intensification de la situation ont été exprimées par les chefs de mission français, italiens, américains et de l’Union Européenne. Leur annonce publiée par les ambassades mentionnait :

QUINT and the EU also reiterate their calls to Kosovo and Serbia to act prudently and refrain from any rhetoric or action that could raise tensions.

Le QUINT et l’UE ont également réitéré leur appel au Kosovo et à la Serbie d’agir prudemment et de freiner toute rhétorique ou action qui pourrait engendrer des tensions.

La protestation de la Liste serbe a été calme et sans incident.

À travers une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le Premier ministre du Kosovo Mr Kurti a remercié les Serbes en langue serbe pour la protestation pacifique, les appelant à rester calmes et à faire confiance aux institutions du Kosovo, tout en déclarant qu'il a appris par les médias la suspension du juge serbe. Il a déclaré :

But, I must say, it would be more credible if we were to protest, for example, for social justice, faster development and the fight against crime and organized corruption. Please do not be influenced by the authoritarian regime in Belgrade. They are not interested in the rights and benefits of Serbs in Kosovo. They are trying to destabilize Kosovo for their electoral objectives and perhaps even for the war-mongering interests of some great power.

Mais je dois dire qu'il serait plus crédible de protester, par exemple, pour la justice sociale, un développement plus rapide et la lutte contre le crime et la corruption organisée. Ne vous laissez pas influencer par le régime autoritaire de Belgrade. Ils tentent de déstabiliser le Kosovo pour leurs objectifs électoraux et peut-être même pour les intérêts belliqueux d'une grande puissance.

Malgré les efforts des pays du QUINT pour trouver une modalité qui garantirait aux Serbes du Kosovo le droit de voter aux élections serbes, ils ont échoué, car il n'y a pas eu d'accord entre les deux parties. L'incapacité à trouver une formule pour l'organisation des élections serbes au Kosovo a été constatée après l'arrivée de deux lettres au bureau de l'UE à Pristina. L’une des deux lettres était de l’officier de liaison de la Serbie, qui n’a pas mentionné le gouvernement du Kosovo ni demandé l'autorisation d'organiser des élections, mais seulement une coopération pour permettre à l'OSCE de collecter les bulletins de vote.

Entre-temps, Mr Kurti a énuméré dans sa lettre les problèmes posés par la lettre de l'officier de liaison serbe. Selon lui, si les élections étaient autorisées à se tenir selon la proposition de Belgrade, la Constitution serait violée. Le Président Kurti a défendu le fait que les désigner comme « électeurs éligibles » et non comme « électeurs à l'étranger » était en contradiction avec les meilleures pratiques internationales.

Toutefois, la décision du gouvernement a suscité des critiques de la part des États du QUINT qui ont déclaré que cette approche fragilisait les aspirations européennes du Kosovo. Ils ont déclaré :

With this decision, Kosovo’s Government failed to demonstrate its commitment to the principle of protecting the civil and political rights of all its citizens, including members of minority groups. Such an attitude of the Kosovo Government is not in line with our values and principles and will undermine their European aspirations.

Avec cette décision, le gouvernement du Kosovo n’a pas réussi à démontrer son engagement envers le principe de la protection des droits civils et politiques de tous ses citoyens, y compris les membres des groupes minoritaires. Une telle attitude du gouvernement kosovar n’est pas en ligne avec nos valeurs et nos principes et ruinera leurs aspirations européennes.

Néanmoins, les Serbes en possession de leur citoyenneté serbe et vivant au Kosovo ont exercé leur droit en allant voter de façon organisée dans des dizaines de bus dans les villes voisines serbes, lors des élections du 3 avril. Ils ont utilisé des bureaux de vote dans les villes de Bujanovac, Kuršumlija, Raška et Tutin, dans le centre, le sud et le sud-ouest de la Serbie.

Commentez

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.