En Côte d'Ivoire, le journalisme d'investigation environnementale se développe: Interview avec Ismael Angoh

Photo d'Ismael Angoh, utilisée avec son autorisation

Mauvaise exploitation des richesses environnementales, déversement des déchets toxiques en plein air, ou des eaux usées dans les cours d’eau et rivières: les problèmes environnementaux en Afrique sont légions. Voilà pourquoi le travail des journalistes d'investigation environnementale est essentiel. Global Voices a interviewé le journaliste ivoirien Ismael Angoh pour comprendre les défis que pose ce métier.

En août 2006, les populations d’Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire, font face à un déversement de 540.000 litres de déchets toxiques issus d'un navire dans les périphéries de la ville. En janvier 2018, soit plus de dix ans après, le rapport d’audit environnemental réalisé par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) révèle que l’incident a fait des milliers de victimes qui souffrent de nombreux problèmes de santé.

Quelques années plus tard en 2021, 12 villages de la ville Korhogo ( situé au nord de la Côte d’Ivoire à 635 km d'Abidjan) sont privés d'eau potable et utilisable à cause des pollutions engendrées par le déversement des eaux usées de  l’huilerie Cotraf dans la Korhogo. Le ras-le-bol des populations, paru dans un article de l’Agence Ivoirienne de Presse (AIP) publié le 9 août 2022 attire l’attention d’Ismael Angoh. Il mène alors une enquête sur le problème afin de rendre public les difficultés que traversent les populations des 12 villages victimes de cette pollution.

Global Voices (GV) s’est entretenu avec lui afin de comprendre les motivations qui le poussent à faire ce travail d'investigation

GV : Vous avez mené une investigation sur la pollution des rivières causée par les déchets d’une usine au nord de la Côte d'Ivoire. Qu'est ce qui vous a motivé dans ce cas précis? 

Ismael Angoh (IA) : En Août 2022, j’ai pris part aux formations sur les nouvelles approches d’investigation environnementale sensible au changement climatique organisées par l’Institut Panos Afrique de l’Ouest (IPAO), en partenariat avec le ‘’Centre for Investigative Journalism’’ dans le cadre de la mise en œuvre du projet ‘’Open Climate Reporting Initiative‘’ (OCRI) en Côte d’Ivoire. Par la suite, l’IPAO a lancé un appel à projets d’enquête environnementale. Dans les recherches de sujets, j’ai découvert l’article de l’Agence Ivoirienne de Presse (AIP) dans lequel des populations de 12 villages de Korhogo ont dénoncé, à travers un sit-in, la pollution de leur rivière par des eaux usées de l’huilerie COTRAF. Cet état de fait a provoqué la perte des cultures de riz et un fort taux de mortalité des animaux. Je me suis senti interpellé et j’ai décidé de me pencher sur l’impact de cette pollution sur la vie des autochtones et leurs cours d’eau, leurs récoltes et la faune, de mettre en relief les responsabilités et les mesures entreprises pour y remédier.

Une rivière polluée dans le village de Lakpolo (Korhogo). Photo d'Ismael Angoh, utilisée avec son autorisation

GV : Huit mois après la publication des résultats de votre enquête, peut-on noter des changements? 

IA : C’est toujours la même situation. Les populations n’ont reçu aucune compensation financière. Elles sont livrées à elles-mêmes. Par contre, l’ONG Jeunes Volontaires pour l’Environnement en Côte d’Ivoire (JVE-CI) m’a contacté suite à mon enquête. Leurs membres projettent de se rendre sur les lieux impactés et de faire un plaidoyer auprès de notre gouvernement et des bailleurs de fonds à l’extérieur du pays si rien n’est fait.

Un des entrepôts des eaux usées de fortune de la Cotraf, Quartier Natio-Kobadara (Korhogo). Photo utilisée avec l'autorisation d'Ismael Angoh

GV : Vous êtes journaliste environnementaliste, pourquoi ce choix? 

IA : D’abord, produire des contenus sur l’environnement ou le changement climatique peut permettre de sauver des vies. Ensuite, couvrir le phénomène peut influer sur l’action politique et donner aux gens la capacité de faire des choix éclairés. Enfin, en réalisant des sujets bien documentés, en tant que journaliste environnementaliste, je peux mettre en lumière les actions que certains mènent d’ores et déjà pour se préparer au changement climatique.

J’espère également travailler avec des ONGs et des médias audiovisuels et en ligne. Par ailleurs, j’aimerais mettre en place une radio et télévision spécialisées en environnement et capable de lutter contre le changement climatique, afin de partager ma petite expérience avec les plus jeunes en matière de journalisme d’investigation.

GV : Quel a été votre parcours pour en arriver à cette spécialisation? 

IA : Je suis titulaire d’un Diplôme d'Études Supérieures en Communication (DESCOM) et d’un Diplôme Supérieur en Communication (DISCOM) à l’Institut des Sciences et Technique de la Communication (ISTC) Polytechnique à Cocody, à Abidjan. Depuis 2013, je suis journaliste-producteur radio à ISTC FM, 103.8 FM, une radio thématique « Population et Développement », avec laquelle j'ai réalisé des reportages radios et un magazine intitulé “Enfance et Droits”. Ma passion pour les médias m’a amené à me former au métier de Journaliste Reporter d’Images (JRI). Je me suis également intéressé à la presse en ligne et au journalisme d’investigation de données en genre grâce au projet « Médias Lab pour elles » de CFI et au journalisme d’investigation de données en environnement depuis août 2022.

GV : Quels sont les défis auxquels vous faites face en tant que journaliste d'investigation? 

IA : Cela fait dix ans que je suis journaliste. Mes principaux challenges se situe à trois niveaux : sur le plan économique, le financement n’est pas à la hauteur de nos espérances pour la réalisation des enquêtes sur des régions souvent reculées de la Côte d’Ivoire. Par exemple, l’enquête sur la pollution des rivières à Korhogo m’a coûté au moins plus de 600 000 FCFA (soit 984 dollars américains). Sur le plan humain, nous sommes confrontés au manque de coopération de certains responsables d’institutions étatiques ou d’entreprises impliquées dans la pollution des rivières des villages de Korhogo. Au niveau logistique, il nous fallait un véhicule de type 4X4 pour rallier les sites de pollution. Pour pallier à ce problème, nous avons loué des motos et nous avons aussi marché. Nous avons également manqué d’équipement technique et scientifique pour prélever des échantillons d’épis de riz et d’eau des rivières polluées. Sur le plan temporel, dans le cadre du projet OCRI, l’Institut Panos nous a fixé un délai de trois mois pour rendre notre enquête mais nous avons mis six mois pour terminer notre travail vu ces difficultés.

GV : Que doit faire un journaliste qui couvre cette thématique pour la rendre accessible au public? 

IA : Il faut diffuser les résultats du travail sur les médias classiques et nouveaux. En ce qui concerne mon enquête, je l’ai diffusé sur ISTC FM, 103.8 FM. Je l'ai relayée sur www.vocaroo.com, un site de podcast, sur LinkedIn et WhatsApp. L’enquête a été partagée avec ceux ou celles qui ont témoigné lors de nos interviews, avec des ONGs et mes confrères. J’ai aussi parlé de l’enquête dans l’émission “ Panorama des Régions sur la radio de la Paix”.

GV: Travaillez-vous en réseau avec d’autres confrères journalistes sur la même thématique en Côte d’ivoire? 

IA : Je rêve de travailler en réseau avec d’autres confrères journalistes sur la même thématique en Côte d’Ivoire, dans la sous-région, mais pour le moment, ma vraie collaboration, c’est avec la journaliste Aïssatou Fofana. Grâce à elle, j’ai pu relayé mon enquête sur son site en ligne : www.lecologiste.com.

GV : Quelle est votre vision pour la lutte environnementale?

IA : Je compte renforcer mes capacités sur le journalisme d’investigation et le journalisme de solutions pour lutter contre le changement climatique. Les responsables des médias doivent comprendre que cette thématique représente pour eux une occasion de se développer et d’améliorer leur offre en direction du public. Parce que les populations veulent obtenir des informations fiables sur le phénomène et savoir ce qu'elles peuvent faire pour contribuer à la lutte.

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