En Guinée, une forêt au cœur de la capitale disparaît à cause d'une urbanisation non-contrôlée

Une forêt située au cœur de Conakry disparaît à vue d’œil en raison d'une urbanisation non-contrôlée qui détruit les derniers espaces verts disponibles.

Kakimbo est une des forêts classées de la République de Guinée. Elle est située dans la commune de Ratoma, au nord-est de Conakry qui comptait 1.6 million d'habitants selon le Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH-2014) et doit aujourd'hui dépasser les 2.3 millions.

En Guinée, le taux d'urbanisation est relativement peu à 3.81%  mais le rôle de cette forêt est capital. En effet, en raison de sa grande capacité de stockage des gaz à effet de serre, Kakimbo sert de puits de carbone et de rempart naturel contre le changement climatique. Mais l’anthropisation a considérablement réduit sa superficie qui est passée de 117 hectares à quinze hectares, en l’espace de quatre décennies.

Kantala Camara, chef de quartier adjoint de Ratoma centre est un quadragénaire et autochtone de cette forêt classée. Il se rappelle avec émotion des anecdotes sur Kakimbo qui pourraient remplir des pages d'histoires. Interviewé par Global Voices, il se souvient d'une de son enfance ; celle dans laquelle la forêt a une grande importance dans son imaginaire:

« Il y avait des fruits ici et là. Nous les récoltions et les mangions quand nous étions enfants. Mais aujourd'hui, Kakimbo n'inspire que craintes et incertitudes. Tout cela a été détruit maintenant. Ce n'est plus une forêt », raconte-t-il.

Forte de ses immenses grottes de 18m de hauteur et 8m de profondeur, la forêt classée de Kakimbo était autrefois un lieu de culte des Bagas, une communauté minoritaire de 60.000 habitants. Mariame Sylla, résidente de Ratoma centre, circonscription mitoyenne de Kakimbo se rappelle encore des bienfaits que cette forêt procure pour sa communauté Bagas et déplore:

Des gens venaient prier le génie de Kakimbo pour exaucer leur vœux. Kakimbo a été un lieu sacré pour les chefs d’État qui sont passés en Guinée notamment Sékou Touré (premier président de la Guinée de 1958 à 1984) et Lansana Conté (président de 1984 à 2008). L’équipe de Football de Hafia ne sortait jamais en compétition sans passer par là. Mais aujourd’hui, on en parle seulement parce que nous avons assez interpellé l’État pour sauver notre Kakimbo. Regardez les alentours, ce lieu est pourri.

Conakry perd progressivement son puits carbone

Tours Jumelles Kakimbo, érigés sur une partie de la forêt de Kakimbo. Photo de Aïssata Sidibe, utilisée avec permission

De 117 à 15 hectares, Kakimbo a connu une diminution de 75% en dépit du fait qu’elle fut « classée » en 1943, et déclarée « zone d’utilité publique » en octobre 1983.

Camara pointe du doigt les constructions anarchiques qui se sont installées près de la rivière Kakimbo, là où il y avait autrefois la forêt, jusqu'à l'emplacement actuel de la Radiotélévision Guinéenne. La source de Kakimbo a même été remplacée par deux tours jumelles et Camara dénonce une entorse à la loi:

Pourtant, nous n'avons pas vu de décrets qui déclassent cette forêt pour construire ces infrastructures.

Aujourd’hui, cette forêt a tout perdu. Ses alentours sont complètement dégradés. Le lieu ressemble à une forêt dégarnie, clairsemée, dont la biodiversité disparaît à un rythme vertigineux, du fait des constructions anarchiques, qui en se métastasant, ont empiété sur la superficie initiale de Kakimbo. Interviewé par Global Voices, le Commandant Mohamed Fofana, Directeur National des Eaux et Forêts au Ministère de l'Environnement et du Développement Durable (MEDD) s'exclame:

Nos forêts sont la proie privilégiée des citoyens, partout les constructions d’habitations sont faites même sur les berges de cours d’eau.

Des immeubles à caractères d’habitation construits au nez et à la barbe des autorités guinéennes continuent de grignoter cette forêt, comme l'explique Mohamed Lamaine Camara, locataire d’une des habitations construites au cœur de Kakimbo.

Ça fait 6 ans que j’habite ici. Nous avons de l’air tout le temps malgré que la forêt diminue.

Le cours d’eau qui traverse cette forêt paie également un lourd tribu à cause de l’urbanisation rapide et incontrôlée de la zone, explique Kantala Camara:

Maintenant on a pratiquement plus d’eau ici après la saison des pluies. En plus il fait très chaud actuellement. Le cours d’eau est bloqué par les constructions et les sources tarissent.

Voici ce qui reste de la forêt Kakimbo. Photo d'Aïssata Sidibe, utilisée avec permission

Activistes et acteurs de la société civile fortement impliqués

En face de cette situation alarmante, des activistes écologiques ne cessent de mener des initiatives et d'interpeller les autorités pour une protection de cette forêt classée. Oumou Hawa Diallo, jeune activiste climat fait du reboisement et de la restauration de cette forêt classée un combat personnel. Dans un reportage, le journal Le Monde parle de son engagement pour la conscientisation des Guinéens face aux défis environnementaux.

Mais au-delà des actions de la société civile, Vayanga Donzo, activiste climat en Guinée interpelle l’État. Au micro de Global Voices, il dit:

Le constat sur la situation actuelle de la forêt de Kakimbo est alarmant et très écœurant. Au-delà des ONG et des collectivités locales, l’État n’est pas impliqué dans la gestion de cette forêt alors qu’on peut même considérer cette forêt comme le poumon de la ville de Conakry. Il y a tellement d’industries qui rejettent des carbones dans cette ville. Kakimbo stocke ces carbones rejetés et joue un rôle très important dans l’équilibre écologique à Conakry. Il faut que l’État mène vraiment des actions conséquentes pour la survie et la sauvegarde de cette forêt.

Manque de collaboration entre ministères

Le manque de synergie d’actions entre les structures du Ministère de l’environnement et du développement durable (MEDD) et celles du Ministère de l’urbanisme, de l’habitat et de l’aménagement du territoire (MUHAT) ne sont pas exempts de tout reproche dans la persistance du mal qui ronge à petit feu la forêt de Kakimbo.

Le Commandant Mohamed Fofana, directeur national des eaux et forêts au MEDD déplore l’insuffisance de collaboration entre son département et celui de l’Urbanisme, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire. Il regrette:

La collaboration entre le ministère de l’habitat et de l’environnement est mince malgré la mise en place d’une commission mixte qui n’a jamais été opérationnelle. C’est le département de l’habitat qui délivre généralement les permis de constructions dans les forêts.

Selon Fofana, la superficie restante de la forêt classée de Kakimbo qui est en voie de disparition, peut être sauvée si les dispositions idoines sont prises, notamment par une bonne coordination entre les départements en charge de l’environnement et celui de l’habitat. Il souligne:

Il est impérieux qu’il ait une bonne collaboration comme la réactivation de la commission mixte créée entre les deux ministères.

Ceci est essentiel car la forêt est aussi une source d'approvisionnement en eau:  Kakimbo loge en son sein au total sept forages de la Société des Eaux de Guinée (SEG).

Mais le cas de Kakimbo n'est malheureusement pas isolé. Malgré des mesures qui ont été prises depuis 2015 pour le déguerpissement des occupants de sa zone, le mont Kakoulima qui est pourtant classé, continue d'être envahi par les constructions anarchiques et des champs de cultures des populations. Un exemple très illustratif de la situation générale dans le pays, comm l'explique ce reportage vidéo de Caducée TV, un média guinéen d'information sur la santé et l'environnement:

En plus de son climat exceptionnel, la forêt de Kakimbo loge en son sein au total sept forages de la Société des Eaux de Guinée (SEG). Toutes ces choses lui ont valu le sobriquet de ‘‘poumon vert’’ de Conakry.

Hélas, Kakimbo, souvent nommé le poumon vert de la capitale, se trouve de plus en plus cloisonné et congestionné par le béton et l’acier des constructions anarchiques. C’est un poumon, qui, pour retrouver son élasticité et son activité de ventilation initiales doit subir une véritable thérapie de choc s'il doit continuer à jouer son rôle pour le bien de Conakry.

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