La rhétorique anti-réfugiés et la nouvelle extrême droite sur les réseaux sociaux turcs

Image reproduite avec l'aimable autorisation de Giovana Fleck

Cet article a été écrit dans le cadre du partenariat d'Advox avec Small Media Foundation pour vous présenter l'initiative UPROAR, une collection d'essais qui mettent en exergue les défis des droits numériques dans les pays soumis au processus d'Examen Périodique Universel de l'ONU.

Il y a une vague de rhétorique anti-réfugiés qui se déchaîne sur les réseaux sociaux turcs. Commençant par les déclarations ouvertement racistes effectuées par des dirigeants de partis politiques d'extrême droite jusqu'aux comptes prétendant être des « agences de presse » diffusant des désinformations pour inciter à la violence, les réseaux sociaux ne rendent pas la vie plus sûre pour les plus de 4 millions de réfugiés à l'intérieur des frontières turques. Il y a eu plusieurs points d'escalade dans la rhétorique. La prise de contrôle de Twitter par Elon Musk a fourni un espace sûr à l'extrême droite turque, tout comme ses compatriotes internationaux, et les élections turques en mai 2023 ont vu les réfugiés ciblés par des campagnes politiques. Pourtant, indépendamment de ces pics, cette tendance à l'augmentation des discours de haine contre les réfugiés dans les réseaux sociaux turcs a une histoire plus longue.

Une explication intuitive serait basée sur les nombres ; parce que le nombre de réfugiés augmente, le sentiment anti-réfugiés augmente également. Il y a cependant peu de choses pour étayer ce récit. Il y a plus de preuves empiriques pour le phénomène exactement opposé : le contact social avec les immigrés conduit à plus de tolérance et à des sentiments positifs plutôt qu'à une augmentation de la haine. Bien qu'il n'y ait pas de données directes en tant que telles dans l'exemple spécifique de la Turquie, Zafer Partisi, un parti politique d'extrême droite qui promet d'expulser tous les réfugiés de Turquie, a obtenu un pourcentage de voix supérieur que sa moyenne nationale dans une seule des cinq premières provinces avec la plus forte concentration de réfugiés, et dans deux des 10 premières, selon les données du centre de gestion des migrations du ministère de l'Intérieur.

Il existe de nombreux documents prouvant que l'exposition à des récits pro ou anti-immigrés dans les médias affecte les attitudes à l'égard de l'immigration. Les preuves que l'exposition négative aux médias crée de l'hostilité et de la discrimination contre les immigrants sont solides. Le rôle des plateformes de médias sociaux dans ce récit fait toujours l'objet de recherches. Les résultats existants suggèrent que les réseaux sociaux sont très réceptifs aux récits produits par les médias traditionnels, et il ne serait pas exagéré de supposer que le contraire est également vrai. Cela nous oblige à nous attaquer au radicalisme anti-réfugiés dans les réseaux sociaux turcs en tant que phénomène indépendant et très dangereux en soi. De toute évidence, l'atmosphère politique du pays affecte les médias tout comme elle affecte à peu près tout en Turquie. Les réseaux sociaux eux-mêmes sont un agent (ou, plus précisément, une collecte du grand nombre d'agents) dans ce changement, cependant, pas seulement un récepteur passif.

Réseaux de haine

Des influenceurs, des streamers et des célébrités similaires des réseaux sociaux conduisent des hordes de jeunes hommes frustrés à cibler les réfugiés. Le streamer Twitch, Ahmet Sonuç, connu sous le nom de « Jahrein », est l'une de ces figures. Utilisant sa popularité auprès des jeunes hommes en tant que streamer de jeux, il cible et déshumanise régulièrement les réfugiés. Sonuç vise également les organisations nationales qui n'ont pas de vision raciste envers les réfugiés turcs, ciblant fréquemment les partis politiques qui favorisent les politiques d'intégration et laissant entendre que les organisations féministes qui refusent de définir les problèmes de harcèlement sexuel en termes racistes méritent d'être harcelées. Le compte Twitter de Sonuç a été bloqué par l'administration Twitter pré-Musk en octobre 2022 pour conduite haineuse, mais il a été restauré après la prise de contrôle de Musk.

Un autre exemple en tant que tel est le créateur de contenu YouTube d'extrême droite anonyme connu sous le nom de « Erlik ». Connu pour promouvoir des histoires alternatives militaristes et des théories du complot, Erlik utilise son compte Twitter de la même manière pour affirmer que les réfugiés sont un danger démographique et pour louer les politiques anti-réfugiés des gouvernements de droite comme celui du Royaume-Uni, que le Conseil européen sur les Réfugiés et les Exilés (ECRE) a appelé à promouvoir des politiques qui alimentent la violence d'extrême droite. Erlik est également célèbre pour ses vidéos YouTube appelant les femmes féministes combattant les agressions sexuelles fascistes et ciblant les utilisateurs de réseaux sociaux de gauche et pro-Kurdes, affirmant qu'elles sont liées à des organisations terroristes.

Les sentiments les plus ignobles proviennent de comptes Twitter anonymes. Enhardis par leurs coches bleues, qui peuvent désormais être facilement acquises en l'absence de toute vérification et de tout contrôle, ces comptes déshumanisent régulièrement les réfugiés et lancent des accusations contre la population immigrée en Turquie pour tous les problèmes, à savoir la propagation de maladies contagieuses et, ce faisant, ravivent le récit des « immigrants sales ».

Ajans Muhbir (Agence d'information) est l'un des principaux comptes provocateurs. Il est affilié au politicien d'extrême droite Ümit Özdağ, le chef d'un parti politique radical de droite nouvellement fondé, Zafer Partisi. Le compte précédent d'Ajans Muhbir, avec une longue histoire de partage de contenu faux et obsolète pour cibler les immigrants a été fermé  par Twitter pour avoir enfreint les règles de Twitter à l'époque pré-Musk. Mais cela n'a pas empêché d'alimenter le récit anti-immigrés, ce qu'il continue de faire sous un nouveau nom en toute impunité. Il y ae également des comptes non anonymes régulièrement engagés dans la propagation de la haine. L'un de ces comptes importants appartient à Ümit Özdağ, qui l'utilise comme plate-forme pour instiller la peur via des vidéos insinuant que les Turques deviendront une minorité en Turquie à l'avenir. Il n'a pas non plus hésité à partager des théories du complot racistes qui blâment la minorité kurde en Turquie pour les vagues d'immigration massive. Le récit incontrôlé et alimenté par la haine d'Özdağ a attiré des dizaines de racistes turcophones et de démagogues d'extrême droite de tous bords sur ses plateformes de réseaux sociaux.

Özdağ a également utilisé son compte pour louer un trafiquant d'êtres humains d'avoir fait sortir des réfugiés des frontières du pays et d'avoir ciblé des médecins immigrés en publiant leurs informations personnelles sur Twitter. Ces récits doivent être considérés comme des crimes selon la loi turque.

Le politicien a constamment propagé l'idée que les réfugiés syriens prendraient le contrôle de la Turquie sur le plan démographique et feraient des Turcs une minorité opprimée, en quelque sorte une version traduite et localisée de la théorie du « Grand Remplacement » – une théorie du complot antisémite d'extrême droite qui est née en France au début du XXe siècle et s'est progressivement étendue au monde occidental, atteignant un sommet de popularité dans les années 1930. Il a été relativement oublié jusqu'à ce qu'il refait surface une fois de plus au 21e siècle par la résurgence de l'extrême droite.

Avec la combinaison de « l'effet de coche bleue » sur le nouveau Twitter de Musk qui aggrave la rhétorique d'extrême droite dans le monde et la nouvelle légitimation des élections turques par deux parties du bloc d'extrême droite acceptées à la fois dans le parti au pouvoir Justice et Développement et dans les alliances de l’opposition ; il est difficile d'imaginer que cette tempête de réseaux sociaux ralentisse de si tôt.

La Turquie est l'un des principaux centres de réfugiés au monde, avec une économie assez importante et une population nombreuse très active sur les réseaux sociaux. Toutes ces qualités en font presque un laboratoire d'interactions entre l'extrême droite, les réseaux sociaux et les réfugiés. L'atmosphère des réseaux sociaux dans le pays devrait être surveillée de près par quiconque tente de comprendre et de discerner les nouvelles relations qui se forment entre la nouvelle extrême droite et les nouveaux médias à l'échelle mondiale.

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