Le Manipur, petit état du Nord-Est de l'Inde, connaît une situation de crise humanitaire, avec une forte hausse du prix des produits essentiels, victime du blocus de la Route Nationale 39 qui relie Imphal (Manipur) à Kohima (Nagaland). Depuis le 12 avril 2010, la Fédération des Étudiants Nagas (NSF) et l'Association de Tous les Étudiants Nagas du Manipur (ANSAM) ont lancé ce blocus pour protester contre la tenue des élections de six conseils de district autonomes, dans la région des Collines dominée par les Nagas [ces protestataires estimant les pouvoirs de ces assemblées insuffisants pour développer leur région]. Le blocus s'est intensifié après que l'état ait refusé l'entrée sur son sol des dirigeants du Conseil National Socialiste du Nagaland (Isak-Muivah), le NSCN (IM) [en anglais], le 3 mai. Les stocks des marchandises nécessaires pour survivre sont presque épuisés.
Cette vidéo [en anglais] de NTDTV [en anglais] explique à quel point le manque de carburant touche le Manipur. Des commerces vont jusqu'à offrir du carburant [en anglais] pour l'achat de téléviseurs, de lave-linge ou de réfrigérateurs.
Les disputes territoriales entre les Meiteis [en anglais], le groupe ethnique dominant qui vit dans les vallées de l'état, et les Nagas qui vivent dans les collines, sont à l'origine de ce conflit. Namrata Goswami publie [en anglais] un article sur le site de l’Institute For Defense Studies and Analysis qui explique le contexte de ce conflit et en souligne les conséquences :
Alors que le reste de l'Inde et que le monde entier vont vers l'interaction et l'inclusion, malgré de nombreux obstacles, la population du Manipur et du Nagaland régresse vers la nostalgie, l'exclusivité territoriale, la xénophobie et les tendances à la ghettoïsation, qui ne sont plus en phase avec le monde actuel. […]
Les conséquences de ce blocus sont multiples.
D'abord il a ranimé les haines ethniques et les divisions entre les Nagas et les Meiteis, au point que le Président de l'organisme qui représente la société civile naga, le Naga Hoho (Conseil Tribal Suprême Naga), Keviletuo Kiewhuo, a déclaré le 22 mai 2010 à Kohima que « nous voulons la séparation totale des peuples, c'est-à-dire des Nagas et des Meiteis. Nous devons vivre en tant qu'identités différentes, nous ne pouvons plus coexister ».
Ensuite cette division s'est encore plus politisée.
Enfin le Manipur doit affronter une tragédie humanitaire. Un kilo de riz coûte à présent 30 roupies (0,50 euros), un litre d'essence vaut entre 150 et 200 roupies (entre 2,60 et 3,50 euros). Il n'y a plus de diesel dans les stations-services et une bonbonne de GPL vaut entre 1000 et 1500 roupies (entre 17,50 et 26 euros). Le Système de Distribution Publique (PDS, aide alimentaire distribuée par l'État indien) ne fonctionne plus.
Teresa Rahman explique sur The Hoot [en anglais] de quelle façon les préjugés ethniques se sont aussi glissés dans les médias locaux, et comment les reportages des grands médias ont alimenté les divisions qui se sont encore accentuées.
Chitra Ahanthem a écrit ce billet [en anglais] sur le blog The Spaniard In The Works :
On pourrait se demander ce qui rend le Manipur si vulnérable en cas de blocus de son économie. La réponse tient au relief et au peuplement d'un petit état enclavé qui dépend de ses deux Routes Nationales par lesquelles entrent toutes les marchandises essentielles comme les produits alimentaires, les médicaments, les carburants (essence, diesel, GPL). Les Meiteis, qui forment la majorité de la population, vivent dans les plaines, alors que plusieurs autres groupes tribaux minoritaires vivent dans les régions accidentées par lesquelles les routes nationales passent. À chaque fois que les Routes Nationales sont bloquées, non seulement la vie quotidienne en est affectée, mais aussi l'économie étant donné que beaucoup de gens dépendent de la circulation sur ces routes : chauffeurs, transporteurs, passagers des autocars qui se déplacent entre les districts et les états.
[…] Le blocus est devenu un jeu politique subtil : une communauté contre l'autre. Des camions transportant des marchandises ont été attaqués et incendiés, et les chauffeurs et les transporteurs ont refusé de rouler sur les Routes Nationales.
Par conséquent, non seulement les produits de consommation sont hors de prix et presque introuvables, mais on doit se sentir heureux quand on arrive à contacter quelqu'un par téléphone mobile : sans diesel pour faire fonctionner les antennes-relais, se connecter au réseau est souvent un coup de chance. L'électricité ? Bon, on l'a toujours de façon irrégulière : au mieux 5 heures sur 24, et on s'estime chanceux que le blocus n'entraîne pas plus de coupures. Hier soir, les responsables de l'école de mon fils nous ont informé que l'école serait fermée, étant donné que les véhicules devaient rester à faire la queue pour avoir leur ration de carburant.
Ce n'est pas la première fois qu'un tel blocus se produit. Chitra nous l'explique [en anglais] :
Il y a eu un blocus économique de 52 jours des routes nationales en 2005, imposé par l'Association des Étudiants qui demandait une Université Tribale séparée.
Kapil Arambam confirme sur My Manipur [le lien ne fonctionne plus au moment où la traduction de ce billet est effectuée] que les Manipuris sont bien habitués à cette situation, et qu'ils ont fait preuve de beaucoup de patience. Mais cette patience a des limites, et la population pourrait bientôt réagir plus violemment [en anglais].
Le gouvernement central a été accusé d'indifférence [en anglais] face à cette situation. Khumanthem Seilesh écrit [en anglais] :
La situation de crise actuelle que subit la population du Manipur est entièrement la conséquence du mauvais traitement infligé au Manipur par le Centre. […] Pourquoi le Centre est-il incapable de mettre fin au blocus imposé depuis plus de 2 mois par quelques organisations étudiantes, alors que des gens meurent de faim dans un état voisin à cause du blocus de leur ravitaillement ?
Le Centre ne peut-il pas envoyer des forces de sécurité assurer que les camions chargés de marchandises atteignent le Manipur en toute sécurité, ou ne peut-il pas employer les forces paramilitaires [en anglais] ou les policiers d'état pour réprimer un petit syndicat étudiant en lutte ?
Dans un communiqué commun [en anglais], Human Rights Alert et Asian Human Rights Commission accusent :
Le gouvernement indien porte l'unique responsabilité de laisser ce problème prendre une telle proportion. La situation actuelle est le résultat prévisible des politiques erronées du gouvernement indien, qui négocie avec des éléments criminels opérant dans la région, comme Muivah et Ibobi.
Peut-être un peu tard, après 65 jours de blocus, le gouvernement central a finalement décidé d'envoyer des forces de sécurité [en anglais] pour mettre fin au blocus du Manipur. Aux dernières nouvelles [en anglais], le groupe étudiant tribal a annoncé qu'il suspendait temporairement le blocus à partir du 14 juin 2010, après des demandes personnelles en ce sens du premier ministre et du ministre de l'intérieur.
Cette organisation a toutefois assuré qu'elle reprendrait son blocus si ses revendications essentielles, qui comprennent de meilleurs équipements pour les 500 000 Nagas environ installés au Manipur, n'étaient pas satisfaites. Et demeure la question de savoir combien de temps encore ce genre de blocus continuera à perturber le travail et la vie de plus d'un million de personnes.